Intervention de Sébastien Lecornu

Séance en hémicycle du lundi 22 mai 2023 à 16h00
Programmation militaire 2024-2030 — Présentation

Sébastien Lecornu, ministre des armées :

En tout cas, le Parlement aura à se prononcer ; c'est le sens de l'amendement que vous avez adopté en commission.

Je rappelle à la représentation nationale que les marches annuelles d'augmentation répondent certes à la soutenabilité de nos dépenses publiques – qui pourrait le contester ? – mais qu'elles sont aussi définies en fonction du besoin capacitaire physique en crédits de paiement exprimé par nos armées, et en fonction de la capacité de nos industriels à produire ces équipements. Aussi la proposition de certains consistant à basculer le gros de l'effort en début de cette LPM supposerait-elle une solution magique pour livrer en douze ou vingt-quatre mois des grands programmes d'équipements majeurs prévus parfois sur une décennie ! À moins que, sans le dire, ils ne souhaitent acheter du matériel sur étagère à l'étranger. Cette position a sa propre cohérence mais ce n'est pas celle du Gouvernement et elle ne correspond pas non plus à l'ambition du général de Gaulle, celle d'une armée équipée par une industrie de défense purement souveraine.

La trajectoire budgétaire qui vous est proposée répond, elle, à un impératif de soutenabilité et de sincérité de nos dépenses militaires. Sans quoi, en fin de programmation, on reprocherait aux armées de ne pas avoir été en mesure de dépenser les crédits qui leur sont attribués. Cette position enverrait un signal de faiblesse et serait à bien des égards non crédible.

Sur l'inflation, les nombreuses auditions en commission ont permis à chaque parlementaire, je le crois, de mieux comprendre les nombreux mécanismes qui sont propres au ministère des armées pour en limiter les effets. Ces mécanismes n'existent d'ailleurs dans aucun autre ministère de la République. Il suffit de constater, s'il était besoin d'une preuve de leur efficacité, qu'aucun programme n'a pris de retard en 2022 ni en 2023.

Les travaux en commission ont enfin soulevé des débats intéressants sur le fonctionnement réel des armées, et donc sur l'équilibre à trouver, la cible efficace à atteindre pour les équipements dont nous allons doter nos armées. Je veux d'abord vous dire très directement que lorsque le budget des armées double en l'espace de treize années, il est difficile d'y voir des renoncements puisque toutes les lignes budgétaires augmentent pour les trois armées. Les équipements de celles-ci seront très largement renouvelés ; sur sept ans, ce sont près de 200 milliards d'euros qui iront vers les programmes industriels. Cela appelle des efforts majeurs en termes de qualité – nous y reviendrons –, de délais de production, de maîtrise des coûts, de maintenance et de gestion des stocks pour notre base industrielle et technologique de défense. Néanmoins, il ne s'agit pas d'investir sur toutes les lignes à l'aveugle sans répondre à un objectif clair : celui de la cohérence du modèle d'armée que nous souhaitons, que j'évoquais en introduction.

Avec l'appui du chef d'état-major des armées et sous l'autorité du Président de la République, j'ai donc pris le parti de privilégier la cohérence d'une capacité militaire dans son ensemble, par rapport à la seule quantité des matériels. C'est au fond l'exigence de regarder, dans le rapport annexé, autant le tableau des contrats opérationnels que celui des équipements capacitaires – le second, je le rappelle, n'étant au service que du premier. Il ne servirait à rien d'avoir des centaines de canons Caesar dans des hangars sans les artilleurs qui les font fonctionner et les maintiennent en condition opérationnelle. Ces canons n'auraient pas d'utilité sans les militaires qui les engagent, les équipements qui les accompagnent, les pièces détachées, les systèmes d'information et de combat, les infrastructures qui les abritent et les munitions qui les arment. Cela aussi, c'est un retour d'expérience de l'Ukraine.

En cela, cette loi de programmation répond au juste besoin opérationnel de nos armées, où il est grand temps de reparler de brigades, de divisions et de corps d'armée. La cohérence opérationnelle, c'est ce que nous devons à nos militaires. Elle s'exprimera particulièrement dans l'armée de terre, qui va pouvoir améliorer sa réactivité et sa puissance. Dès 2027, les premiers éléments de l'échelon national d'urgence pourront, au bout d'un mois, être renforcés au niveau d'une division autonome à deux brigades avec ses appuis, en étant en mesure d'accueillir des contributions alliées. Ces 12 000 à 15 000 soldats, entraînés à la haute intensité et servant des matériels « scorpionnisés » modernes et interconnectés, seront appuyés par de nouveaux moyens de franchissement, les premiers canons Caesar de nouvelle génération et encore plus d'hélicoptères aux derniers standards. Là aussi, plus qu'une réparation, c'est une transformation.

Ainsi, je retiens que l'effort à conduire pour les soutiens qui accompagnent nos militaires en opération, que vous êtes nombreux à avoir évoqués en commission – tels le service de santé des armées, le commissariat des armées ou les techniciens en charge de la mise en condition opérationnelle – n'est pas fondamentalement remis en question par la trajectoire d'investissement que nous proposons, même si certains amendements peuvent venir proposer des pistes d'efforts, ou en tout cas des clarifications. Nous les examinerons avec attention.

Il en va de même pour les choix que nous vous proposons pour l'innovation, avec 10 milliards d'euros alloués sur la période pour que nos armées soient au rendez-vous des sauts technologiques qui s'imposent à elles. Ces investissements irrigueront par ailleurs tout le tissu de l'innovation, des écoles d'ingénieurs aux grandes entreprises en passant par les start-up et les petites et moyennes entreprises. Des amendements utiles viendront éclairer les objectifs, qu'ils portent sur les drones de demain, le quantique, l'intelligence artificielle ou les armes à énergie dirigée. Cette demande s'est également exprimée en commission.

Les choix que je vous soumets visent donc à permettre de préserver notre modèle d'armées et à monter en puissance sur des segments militaires indispensables à notre souveraineté, en cohérence avec les capacités de production de nos industriels.

Je veux enfin revenir, pour conclure, sur les sujets sur lesquels nous nous sommes accordés – en tout cas, je le crois – au cours de la semaine passée en commission. Des amendements de la majorité comme des oppositions ont été adoptés, avec souvent de belles unanimités, pour améliorer le texte que je vous propose, et j'en suis très heureux.

En premier lieu, je crois que nous sommes tombés d'accord sur la préservation, et même le renforcement, du lien sacré qui unit la nation à ses armées. C'est ainsi que l'article 11 du projet de loi, relatif à l'Ordre de la Libération, en adapte les fondements juridiques pour garantir son avenir. Ce lien implique aussi la nécessité d'associer de plus en plus de nos compatriotes, notamment les plus jeunes, aux commémorations. Les secrétaires d'État ici présentes auront l'occasion d'y revenir. Ce lien passe enfin, plus généralement, par tout ce qui favorisera chez nos concitoyens la reconnaissance, la considération, le soutien à nos forces armées ou à nos anciens combattants – ce qui est une forme courante, paisible mais vivante, de patriotisme.

Concernant l'accompagnement de nos soldats et de leurs familles, toutes les sensibilités se sont accordées en commission pour confirmer l'ambition de la LPM d'intensifier les efforts entrepris dans le premier plan « famille ». Le nouveau plan sera donc financé, si vous le votez ainsi, à hauteur de 750 millions d'euros. Il sera entièrement centré sur la vie familiale, pour compenser les absences et les contraintes opérationnelles propres au statut du militaire, en tout temps et tout lieu. Il engagera pour la première fois des partenariats avec les collectivités locales volontaires, pour accompagner nos soldats et leurs familles dans leur recherche de logement et de solutions de scolarisation, de garde d'enfants et d'emploi pour le conjoint. Ce pan de la LPM comprend en outre un volet pour l'accompagnement des blessés, doté de 169 millions d'euros, qui simplifiera l'accès aux droits, ainsi que la reconnaissance et la réparation que la nation doit à ses soldats blessés pour elle. Mme la secrétaire d'État chargée des anciens combattants et de la mémoire pourra y revenir aussi.

Le deuxième sujet sur lequel nous avons réussi à trouver une convergence lors des débats en commission est la politique salariale du ministère. Vous partagez tous ici, je le crois, l'objectif de mieux reconnaître les hommes et les femmes du ministère, militaires comme civils, sans opposer l'indemnitaire et l'indiciaire de façon stérile mais en définissant un bon équilibre. Un effort ciblé sera ainsi conduit pour renforcer la progression par les grilles indiciaires, notamment pour les militaires du rang et les premiers grades de sous-officiers dès 2023, puis – je vous l'annonce – en 2024 pour les sous-officiers supérieurs, qui sont, en quelque sorte, la véritable colonne vertébrale de nos armées et, à partir de 2025 pour les officiers.

Ces efforts s'ajouteront aux efforts considérables déjà entrepris sur l'indemnitaire avec la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), ainsi qu'à de nouvelles mesures indemnitaires à venir. Cette politique salariale, couplée à nos efforts pour la prise en compte des familles, des conditions de travail, de l'activité et des soutiens, permettra à la fois de fidéliser et d'inciter les militaires du rang et les sous-officiers à prendre des responsabilités. C'est la promesse méritocratique que la République doit à ses soldats. La commission a voté en ce sens plusieurs amendements de la majorité mais aussi des oppositions. C'est une bonne chose, et je rappelle l'effort de 10 milliards d'euros supplémentaires sur la période pour la rémunération de nos personnels, avec une cible d'effectifs permanents inchangée à 275 000 personnes.

Dans la lignée de ces sujets, les débats en commission ont permis de partager la nécessité de faire évoluer le format de la réserve militaire. Pour remplir leurs missions, nos armées ont, comme la direction générale de l'armement, besoin de s'appuyer sur une réserve plus forte, plus nombreuse, mieux équipée, mieux formée, mieux entraînée et surtout pleinement intégrée à l'active. À l'horizon 2035, nous visons un réserviste pour deux militaires d'active, c'est-à-dire peu ou prou 300 000 militaires, dont 200 000 d'active et 100 000 de réserve. Si le ratio a pu faire l'objet de questions légitimes, le principe général est partagé. Le groupe de travail réuni cet hiver avait déjà été constructif sur ce sujet, nos débats en commission ont été profitables et plusieurs amendements pertinents sont venus enrichir le texte.

Enfin, nos débats en commission ont permis de faire émerger un consensus – et c'est heureux – sur les conséquences liées au réchauffement de la planète. La programmation militaire actera que notre modèle d'armée doit intégrer dans ses missions les effets du réchauffement climatique. De fait, c'est déjà le cas mais il y a de la force à l'inscrire dans ce texte.

Je pense en particulier à nos outre-mer, en première ligne avec la montée des eaux, des événements climatiques de plus en plus récurrents et violents, sans oublier les enjeux liés à la pêche illégale ou à l'orpaillage illégal.

Cela implique de renforcer nos capacités de projection rapide, en outre-mer notamment, pour mener à bien ces missions, mais aussi de doter nos forces de nouveaux segments technologiques comme les drones, les équipements de liaison, de franchissement, de reconstruction ; ils nous permettront d'être réactifs et présents en cas de catastrophe naturelle.

Les débats que nous nous apprêtons à avoir seront assurément un moment de vérité devant les armées, les Français, pour nos alliés et face à nos compétiteurs. Nous ne serons pas d'accord sur tout mais il est important, pour préparer l'avenir de notre défense nationale, que nous en tirions un texte qui rassemble le plus largement.

Je souhaite que nos discussions en séance permettent de l'améliorer encore. Pour nos soldats, en ayant une pensée pour les tués et les blessés ; pour notre nation, car cette loi de programmation militaire doit garantir notre sécurité en assurant, pour les sept prochaines années et plus longtemps encore, le succès des armes de la France.

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