Intervention de Christine Arrighi

Séance en hémicycle du mercredi 7 juin 2023 à 15h00
Restitution des travaux des commissions des finances et des affaires sociales sur le printemps de l'évaluation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Arrighi :

Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, l'alinéa 1er de l'article 24 de la Constitution prévoit qu'en plus de voter les lois et de contrôler l'action du Gouvernement – missions scandaleusement mises à mal ces derniers temps –, le Parlement « évalue les politiques publiques ». Je salue le travail mené par l'ensemble des rapporteurs spéciaux dans un temps contraint. Ils ont jonglé entre les différents aspects du travail parlementaire pour se conformer à l'exigence constitutionnelle d'une évaluation permanente des politiques publiques, par souci de responsabilité vis-à-vis des Françaises et des Français que nous avons l'honneur de représenter.

Je remercie également les administrateurs associés à ces rapports, toujours disponibles, en particulier Gabriel Aureau pour le rapport spécial sur la mission "Écologie, développement et mobilité durables" , dont je suis corapporteure.

Le Printemps de l'évaluation vise à évaluer de manière permanente et pertinente les politiques publiques de notre pays. Le travail réalisé sur l'ensemble des missions permet en effet d'éclairer utilement notre expertise sur de multiples sujets financiers et bien au-delà. Cette obligation constitutionnelle mériterait toutefois d'être enrichie.

En effet, face aux besoins de financement évoqués par les uns et les autres, face aux enjeux de transition écologique qui nécessitent des investissements majeurs, nous vous proposons l'intégration systématique dans le Printemps de l'évaluation d'une étude des politiques de contrôle fiscal, social et douanier ainsi que d'une étude sur les niches fiscales et sociales, car nous avons besoin de marges de manœuvre et je le rappelle, la fraude fiscale est évaluée à 80 milliards d'euros – ce sont autant de ressources qui manquent pour financer nos services publics, la transition écologique et bien entendu nos mobilités.

Cette évolution permettrait à notre assemblée de se saisir annuellement de ces sujets éminemment importants et d'apprécier la pertinence des politiques menées par le Gouvernement en matière de finances publiques, à l'heure où l'Institut des politiques publiques montre, dans une note, que les ultrariches soit les soixante-quinze foyers les plus riches du pays, ne sont imposés qu'à 26 % pour leurs revenus réels, et qu'ils ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu ni aux prélèvements sociaux. En outre, les entreprises bénéficient d'aides sans conditions sociales ni écologiques.

Cela étant dit, je ne reprendrai pas la liste des constats de sous-exécution et des entorses aux principes budgétaires observés dans les notes d'exécution budgétaire, déjà évoqués par mes collègues ; je partage leur analyse.

Je m'attarderai plutôt, vous n'en serez pas surpris, sur la politique publique des transports. Je ne développerai pas le fait que le Gouvernement n'a guère été allant pour nous communiquer les éléments et rapports nécessaires à cette évaluation, comme le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) sur les concessions autoroutières, dont nous avons découvert l'existence par la presse et qu'il a fallu demander pour qu'il soit mis à notre disposition. De même, nous avons demandé à deux reprises transmission de la lettre de saisine du Conseil d'État et elle ne nous a toujours pas été communiquée, malgré les engagements du ministre délégué chargé des transports en commission des finances.

La politique publique des transports est, hélas, caractérisée à ce stade par un sous-investissement de l'État dans les transports à faible impact environnemental, avec des conséquences néfastes pour les voyageurs et sur le report modal.

Les indicateurs de performance issus de la documentation budgétaire l'illustrent parfaitement. Ainsi, pour les voyageurs, l'indicateur 4.5 fixe une cible de trains en grand retard – retard supérieur à trente minutes – à 7,7 % pour 2023, soit un train sur treize. Or, en 2022, on atteignait 9,6 % et un train sur cinq de la ligne Bordeaux-Marseille accusait un retard supérieur à trente minutes. Pourtant, les trains de cette ligne sont en concurrence avec des vols directs proposés à des prix très attractifs, du fait des privilèges fiscaux dont bénéficie le transport aérien en application d'un principe de concurrence libre et complètement faussée. Ces retards sont donc extrêmement dommageables pour le climat car ils incitent au report vers un mode de transport qui émet 1 450 fois plus de gaz à effet de serre ! Nous ne pouvons donc nous satisfaire qu'en France, un train sur treize accuse un retard de plus d'une demi-heure si notre ambition est d'inciter, réellement, au report modal.

Les conséquences du sous-investissement de l'État sont également visibles dans le fret fluvial puisque la part modale du transport fluvial dans le transport intérieur terrestre de marchandises n'a pas significativement évolué, passant de 2 % en 2020 à 2,1 % en 2022.

Afin de rendre attractifs les trains d'équilibre du territoire, qui transportent chaque année plus de 9 millions de passagers, il conviendrait d'améliorer la qualité de service, en particulier l'équipement des cabines et la ponctualité, notamment pour les trains de nuit. Or, malgré le discours volontariste du Gouvernement, où sont les budgets ? Un rapport administratif estimait nécessaire d'investir 1,45 milliard d'euros. Le précédent gouvernement avait annoncé sa volonté d'investir 800 millions. Mais, d'après les éléments financiers qui nous ont été communiqués et que nous avons analysés, ni la budgétisation ni le financement ne sont, pour l'heure, connus.

Parler de politique publique de transport suppose également d'analyser l'accompagnement par l'État des autorités organisatrices de la mobilité : elles ont perdu 484 millions d'euros de recettes tarifaires en 2020 par rapport à 2019, alors que leurs dépenses explosent du fait de l'inflation et de l'augmentation des péages ferroviaires. Ce sont vos territoires et vos usagers, les Françaises et les Français auxquels nous devons rendre compte !

À l'heure où le Gouvernement lance un grand plan de réindustrialisation, encore faudrait-il donner au tissu industriel un véritable signal en faveur de la décarbonation afin qu'il puisse se projeter et que nous imaginions un dispositif permettant de financer de nombreux avantages.

Le choix politique d'augmentation des péages ferroviaires entraînera inévitablement une augmentation des tarifs pour les usagers, nuisible au report modal vers le train, pourtant l'un des modes de transport qui a le plus faible impact environnemental. Ce choix est contestable ; il est incompréhensible que le développement du report modal vers le transport ferroviaire, qui bénéficiera à tous grâce aux externalités positives sur l'environnement, ne soit pas financé par la puissance publique. C'est le cas dans de nombreux autres pays, mais pas en France.

Le financement des infrastructures de transport par leurs usagers est d'autant plus incompréhensible que les routes, hors autoroutes, sont financées par le contribuable alors qu'elles sont bien plus nuisibles à l'environnement que d'autres modes de transport. C'est, encore une fois, l'effet d'une concurrence libre et complètement faussée, comme celle avec le transport aérien, dévastateur pour la planète et financé indirectement par les nombreux avantages fiscaux dont il bénéficie.

Finissons sur une note positive et gageons que les annonces gouvernementales – qui ne sont encore que des annonces –, celles de la Première ministre annonçant un plan de 100 milliards, et plus récemment celles du ministre délégué chargé des transports, traduisent un changement de trajectoire en faveur du climat.

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