Intervention de Christophe Premat

Séance en hémicycle du 30 novembre 2016 à 15h00
Funérailles républicaines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Premat :

« La lueur immortelle d’un regard qui constate l’approche de la mort, qui sait à quoi s’en tenir, qui en a fait le tour, qui en mesure face à face les risques et les enjeux, librement, souverainement » écrivait Jorge Semprùn dans L’écriture ou la vie, à propos de Maurice Halbwachs qui venait de mourir dans ses bras au camp de concentration de Buchenwald.

Comme le souligne Paul Ricoeur dans son ouvrage Vivant jusqu’à la mort lorsqu’il commente ce même passage, « il fallait encore aider par une parole non médicale, non confessionnelle, poétique et en ce sens proche de l’essentiel, l’agonisant non moribond ».

Cette très forte parole vient illustrer le répertoire peu étendu de mots à notre disposition pour rendre hommage à un être qui vient de trépasser. Une parole non confessionnelle, cela signifie une parole non religieuse, une parole forte et respectueuse, une parole républicaine et laïque pour « l’agonisant non moribond ».

Nous voici réunis aujourd’hui pour examiner une proposition de loi à forte teneur symbolique : celle qui vise à instaurer des funérailles républicaines, autrement dit, des funérailles laïques.

Cette proposition de loi pose un acte républicain essentiel en permettant à chaque municipalité d’assurer un office civil à des défunts n’ayant pas d’appartenance religieuse particulière. Elle offre une manière de faire vivre le lien à la République jusqu’au bout, même dans les moments les plus difficiles que sont le deuil et le trépas.

Rousseau l’écrivait en son temps dans Du contrat social ou Principes du droit politique : pour une nation contractuelle comme la France, il faut une religion civile vivant une forme de sacralisation non religieuse du lien social.

Une religion civile doit pouvoir permettre, selon Rousseau, de générer une passion pour le régime républicain. Ce dernier ne saurait en effet se réduire à des procédures : il lui faut du rituel et une symbolique, ainsi que la possibilité de créer les conditions d’un attachement.

Comment, dans le cadre d’un tel contrat social, pouvons-nous susciter de la passion de la part des individus qui en sont les parties ? Comment éveiller une adhésion possible et souhaitable qui donne au régime républicain une assise suffisante ? La réponse est claire : c’est par des actes forts que l’on réunit la raison et la passion et que l’on installe un cadre collectif durable.

Permettre à la République d’honorer ses morts anonymes, voici le plus beau message que nous puissions délivrer, surtout après le très bel hommage républicain rendu par André Malraux le 19 décembre 1964 à Jean Moulin à l’occasion du transfert de ses cendres au Panthéon. Le cortège des morts anonymes est ainsi porté par la République.

Finalement, les êtres sont réunis autour de la nécessité de faire vivre ce lien de manière concrète. Cela a un nom en République : fraternité. Respecte tes égaux comme toi-même, et assure-toi qu’ils aient pour toi la même considération, telle pourrait être la devise républicaine.

La République est présente tout au long de la vie, que ce soit par l’institution des lois civiles, par la reconnaissance de ses différentes étapes par l’officier de l’état civil ou par l’enseignement de ses valeurs cardinales comme la laïcité. Il manquait, cependant, un rite indissociable du regard porté sur une vie en République : celui des funérailles civiles.

On sait que la mort réanime de manière puissante le lien à une forme de transcendance. Souvent, l’inégalité des réputations est marquée par l’hommage rendu à certains. C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi vient rendre possible l’organisation de funérailles civiles.

Cette évolution indispensable vient couronner, avec force et sagesse, l’esprit de la loi du 9 décembre 1905 visant à séparer les ordres politique et religieux.

Cette question n’est en réalité pas nouvelle puisque la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles a, en même temps qu’elle instituait le principe de la liberté des funérailles, donné la possibilité aux maires qui le désiraient d’organiser ces funérailles civiles.

1 commentaire :

Le 11/03/2017 à 22:26, Laïc1 a dit :

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"Comme le souligne Paul Ricoeur dans son ouvrage Vivant jusqu’à la mort lorsqu’il commente ce même passage, « il fallait encore aider par une parole non médicale, non confessionnelle, poétique et en ce sens proche de l’essentiel, l’agonisant non moribond »."

Ce M. Ricoeur, d'ailleurs connu des seuls initiés de la secte philosphique (on a les lumières qu'on peut...) aurait dû rajouter : "une parole non philosohique", pour encore plus d'humanité, et plus de sens. Mais peut-on critiquer ce qui vous donne une identité sociale ? On attend la réponse de M. Ricoeur...

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