Intervention de Bernard Accoyer

Séance en hémicycle du 21 février 2017 à 21h30
Sciences et progrès dans la république française — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Accoyer :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, du progrès de la science et de nos connaissances, aux fondements mêmes de notre civilisation et de notre histoire républicaine, dépend l’avenir de l’humanité. Telle est la conviction qui sous-tend la proposition de résolution préparée avec Jean-Yves Le Déaut, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et plusieurs de nos collègues de sensibilités différentes, que je salue.

Par cette proposition, élaborée avec le concours actif de scientifiques issus de nombreuses disciplines, que je tiens à remercier, nous avons voulu que, à travers la représentation nationale, notre République réaffirme sa foi dans le progrès scientifique, qui a été et reste le principal facteur de progrès économique, sanitaire, social et environnemental. C’est la recherche scientifique qui déterminera l’avenir de la France, comme celui du monde. Et il n’y a pas, pour nous, de plus grande et plus belle aventure que celle des progrès de l’esprit humain.

Mais cette conviction se heurte aujourd’hui à une inquiétude grandissante : les Français semblent de plus en plus rétifs au savoir scientifique. Nous vivons une époque paradoxale. Alors même que le monde a davantage progressé scientifiquement, techniquement, au cours des cinquante dernières années que depuis le début de l’histoire, nous assistons, dans un certain nombre de domaines, à une montée irraisonnée des peurs les plus diverses, dont résulte la tentation grave de l’abstention, de l’immobilisme, de la passivité. « Ne pas », « ne plus » seraient les devises des tenants de ces nouvelles peurs, comme s’il ne s’agissait pas, au contraire, et depuis la nuit des temps, d’écarter la peur, de repousser l’ignorance pour comprendre, construire, et avancer.

L’opinion publique retient des crises sanitaires, voire des scandales, que, loin d’être systématiquement bénéfique, le progrès peut s’avérer dangereux, voire mortel. La science et la technologie perdent de leur crédibilité et de la confiance dont elles bénéficiaient.

Inquiètes, nos sociétés considèrent les bienfaits du progrès comme un dû et n’en supportent plus les risques ou les imperfections. Le statut et l’autorité des scientifiques ont été remis en cause.

Pourtant, grâce aux acquis de la science, l’homme n’a jamais vécu aussi bien et aussi longtemps. L’évidence est là : le progrès scientifique est source d’avancées pour l’ensemble de la société – pour la santé, pour la qualité de vie, pour le développement durable.

C’est bien par le progrès scientifique, technologique et technique que nous préparerons l’avenir de la France, une France innovante, confiante dans ses atouts, qui refuse le repli sur elle-même, une France scientifique dont nous ne saluons pas assez la reconnaissance et les succès internationaux dont elle bénéficie.

Ainsi, treize de nos compatriotes ont été récompensés par le prix Nobel de physique, dont je veux citer les plus récents : Albert Fert en 2007 et Serge Haroche en 2012. Neuf d’entre eux ont été récompensés par le prix Nobel de chimie, dont Yves Chauvin en 2005 et Jean-Pierre Sauvage en 2016. Treize de nos compatriotes ont reçu le prix Nobel de médecine, dont Françoise Barré-Sinoussi, qui était venue dans cet hémicycle, et Luc Montagnier en 2008, ou Jules Hoffmann en 2011, que nous avons également eu l’honneur de recevoir en ces murs. Treize de nos compatriotes ont été récompensés par la médaille Fields, dont Wendelin Werner en 2006, Ngô Bo Châu et Cédric Villani en 2010, et Artur Avila en 2014.

Ces récompenses internationales, qui sont notre fierté, démentent le déclinisme ambiant. Notre pays a besoin de cette culture du savoir pour mener à bien des projets de plus en plus complexes, audacieux et innovants, pour que nos entreprises tiennent le premier rang sur la scène internationale et créent les emplois de demain.

Au-delà, et plus que jamais en ces temps de scepticisme, de relativisme, de défaitisme, nous avons besoin de citoyens pour qui la culture scientifique est aussi indispensable qu’elle l’était à l’ « honnête homme » du XVIIIe siècle. Pasteur, déjà, recevant Napoléon III dans les locaux de la Sorbonne, lançait cet appel d’une grande lucidité : « Prenez intérêt, je vous en conjure, à ces demeures sacrées que l’on désigne du nom expressif de laboratoires. Demandez qu’on les multiplie et qu’on les orne : ce sont les temples de l’avenir, de la richesse, du bien-être. »

Voilà pourquoi nous souhaitons rappeler que la science a été et demeure le vecteur essentiel de l’innovation, la dimension centrale du développement de l’économie et de l’emploi dans les sociétés développées contemporaines.

Elle constitue également un bien commun, ce que souligne l’UNESCO, en ouvrant les perspectives culturelles des citoyens à la recherche d’une meilleure compréhension du monde.

Les scientifiques et les politiques ont en partage le souci du bien commun et de l’intérêt général. Il y a en effet des valeurs communes à la recherche, aux sciences et à la démocratie. Il y a une éthique de la science, principe résumé magistralement par Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

Ce n’est peut-être pas un hasard si tant de scientifiques et de mathématiciens renommés sont devenus des parlementaires : Condorcet, Lacépède, Daubenton, Chaptal, Raspail, Marcelin Berthelot, Émile Borel, Paul Painlevé ou, plus près de nous, Jean-Michel Dubernard.

Le pouvoir et le savoir ne doivent pas rester étrangers l’un à l’autre. L’un ne peut se passer de l’autre, c’est une exigence stratégique. L’échange entre pouvoir et savoir permet la synthèse de nouveaux enjeux de progrès en tous domaines.

Replacer la science au coeur de la société, au coeur de la décision, favoriser le rapprochement entre les responsables politiques et les scientifiques, placer davantage d’ingénieurs et de scientifiques aux côtés des responsables publics : tout cela me paraît indispensable.

Hommes politiques et hommes de science ont en commun de préparer l’avenir. Ils doivent avoir en partage une vision de long terme. Ils peuvent, ensemble, transformer le monde. Voilà pourquoi nous proposons que les travaux et les recommandations des académies soient davantage suivis, tant dans les domaines de l’enseignement que dans ceux de la décision politique, et que celles-ci devraient avoir pour mission d’émettre des avis sur les propositions du Gouvernement en matière scientifique et technologique.

Poser la question du rôle des sciences dans la société, c’est surtout poser celle de la formation, de la place des enseignements scientifiques dans notre système éducatif. C’est pourquoi mes collègues et moi-même suggérons que l’initiation aux sciences à l’école élémentaire soit considérablement renforcée pour davantage sensibiliser les jeunes élèves à la démarche scientifique ; que le Gouvernement veille à la qualité des enseignements scientifiques dispensés au collège et au lycée, car les évolutions récentes sont inquiétantes ; qu’il encourage une plus grande interaction entre enseignements en sciences technologiques et sciences humaines dès les classes de lycée, ainsi que dans la suite de tous les cursus scientifiques ; qu’il étoffe la partie du programme de philosophie consacrée aux sciences et à l’épistémologie au lycée et dans l’enseignement supérieur scientifique.

Lutter contre l’ignorance, contre la désinformation, faire en sorte que la voix des scientifiques porte davantage au sein de notre société, c’est, à mon sens, une impérieuse nécessité. Dans ce domaine, les gouvernements doivent jouer un rôle fondamental pour favoriser l’accès aux connaissances scientifiques. C’est pourquoi nous suggérons que les chaînes de télévision et les stations de radio du service public renforcent leur offre d’émissions scientifiques, d’ailleurs prévue par leur cahier des charges, en particulier aux heures de plus grande écoute, et s’efforcent d’en faire de véritables espaces de savoir en veillant notamment à y donner la parole aux membres de la communauté scientifique.

Nous invitons également les gouvernements à réfléchir à des techniques pédagogiques fondées sur l’usage raisonné des technologies numériques, en particulier à l’apprentissage du tri de l’information afin de faciliter la distinction entre des savoirs établis et des opinions sans fondement scientifique. Car c’est bien la confusion, voire la priorité de l’opinion sur le savoir, qui constitue le coeur du problème auquel nous sommes confrontés sous la pression du relativisme et du postmodernisme.

Enfin, ce meilleur accès à la science que nous appelons de nos voeux doit engendrer une meilleure acceptabilité des risques raisonnables. Nous souhaitons inviter le Gouvernement à mettre en avant des stratégies de communication et de débat avec les citoyens qui soient adaptés à l’évaluation et à la gestion des risques technologiques.

L’enjeu principal de l’expertise scientifique et technique consiste à fournir une évaluation en amont de la prise de décision politique. Il convient donc de développer des procédures d’examen propres à éclairer les débats sociétaux.

La mise en cause a priori des experts et le « précautionnisme » qui freine la recherche et le développement interdisent les sauts technologiques, qui sont pourtant à l’origine des plus grands progrès.

Quant à nous, parlementaires, sollicitons davantage les académies et l’OPECST, cet outil dont nous disposons et dont les travaux remarquables, cher président Le Déaut, sont, hélas, souvent plus appréciés au-delà des murs de l’Assemblée nationale que dans notre hémicycle et au sein du Gouvernement.

Chers collègues, pour nous qui avons assimilé la foi de Pascal, la méthode de Descartes, la sagesse de Montaigne, l’esprit de Voltaire, sans oublier le positivisme d’Auguste Comte et de Saint-Simon, rien ne serait plus normal que de renouer avec la rationalité. Je pense même que c’est une exigence pour contrer certains mouvements aux relents d’obscurantisme inquisitorial.

Nos compatriotes sont parmi les plus créatifs, les plus inventifs, les plus imaginatifs. Notre pays investit beaucoup dans leur formation initiale, mais ne récolte pas suffisamment les fruits de cet investissement, malheureusement souvent par indifférence à l’égard de nos chercheurs et de nos inventeurs. Certes, des progrès ont été faits, mais beaucoup reste à faire.

La France doit renouer avec sa tradition séculaire de confiance dans les sciences et le progrès. Tel est le sens de la résolution que nous vous proposons d’adopter et que je vous ai présentée avec l’émotion de celui qui croit avant tout à des sciences et à un progrès au service de l’humanité.

2 commentaires :

Le 22/02/2017 à 21:25, Laïc1 a dit :

Avatar par défaut

"Et il n’y a pas, pour nous, de plus grande et plus belle aventure que celle des progrès de l’esprit humain."

Et le progrès de l'esprit humain en politique passe par la systématisation des référendums, communaux entre autres. Car le citoyen veut participer à la vie de la Nation, il ne peut plus être l'exclu permanent que le système électif fait de lui. L'hypocrisie de la fausse démocratie n'a que trop duré, il est temps rendre au peuple ce qui appartient au peuple.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 22/02/2017 à 21:35, Laïc1 a dit :

Avatar par défaut

"Inquiètes, nos sociétés considèrent les bienfaits du progrès comme un dû et n’en supportent plus les risques ou les imperfections. Le statut et l’autorité des scientifiques ont été remis en cause."

Il faut savoir : si nos sociétés considèrent les bienfaits du progrès comme un dû, c'est qu'elles ont une confiance aveugle en la science, et donc qu'elles ne remettent pas du tout en cause les avancées de la science, comme cette proposition de résolution tend à nous le faire croire. Et dans ces conditions on ne voit pas comment il serait possible que le statut et l'autorité des scientifiques soient remis en cause. Remis en cause pour ne pas avoir atteint la perfection scientifique, d'avoir osé trahir le haut idéal de scientificité que les citoyens attendent ? Encore une fois, la proposition de résolution trouve sa contradiction : si les citoyens rejetaient la science, ils seraient au contraire fort contents que les scientifiques se trompent, car cela conforterait leur rejet de la science, et cela justifierait cette résolution. Le comportement inverse prouve plutôt la foi absolu du citoyen dans la science, et l'inutilité pratique et théorique de cette résolution.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Inscription
ou
Connexion