Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 28 mai 2013 à 15h00
Réforme du conseil supérieur de la magistrature — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Il faut rappeler qu'ils suivent les mêmes formations, qu'ils sont recrutés selon les mêmes modalités, qu'ils prêtent le même serment et qu'ils respectent la même déontologie. Ils relèvent de l'ordonnance de 1958 et de la voie hiérarchique établie par cette loi organique, mais pour le reste, ce sont des magistrats de plein exercice. Ces conditions de nomination, qui sont absolument identiques à celles des magistrats du siège, constituent par conséquent une modification substantielle des conditions d'indépendance de l'autorité judiciaire, et donc du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.

Par ailleurs, ce projet de loi aligne le régime disciplinaire des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège. Il ne reviendra donc plus au garde des sceaux d'interpréter, de modifier et de décider finalement de la sanction disciplinaire, après que le Conseil supérieur de la magistrature se sera prononcé sur saisine du garde des sceaux. La décision du Conseil s'imposera dorénavant au garde des sceaux, de la même façon qu'elle s'impose déjà à lui pour les magistrats du siège. Ces réformes modifient très profondément la nature du Conseil supérieur de la magistrature.

Il convient de rappeler que le garde des sceaux, au nom du Gouvernement, demeure responsable de la politique pénale sur l'ensemble du territoire. C'est une prérogative constitutionnelle, énoncée à l'article 20 de la Constitution, et c'est la responsabilité du garde des sceaux de veiller à ce que la politique pénale soit la même sur l'ensemble du territoire, de façon à assurer à tous les justiciables, où qu'ils se trouvent, la même qualité de justice.

Bien entendu, il revient au procureur général de décliner cette politique pénale selon les caractéristiques de son ressort, et au procureur de l'affiner encore davantage, puisque c'est lui qui exerce l'action publique. Cette question fera l'objet d'un projet de loi redéfinissant les attributions du garde des sceaux et des parquets, dont le rapporteur est Jean-Yves Le Bouillonnec, et que j'aurai le plaisir de vous présenter très prochainement. Mais la responsabilité du garde des sceaux en matière de politique pénale sur l'ensemble du territoire demeure. C'est une responsabilité lourde, que l'exécutif a le devoir d'assumer correctement.

Le projet de loi qui vous est présenté contient des modifications substantielles visant à assurer l'indépendance de cette autorité judiciaire, à travers des mesures très précises et très concrètes. Pour autant, il ne retire pas à l'exécutif sa responsabilité vis-à-vis de l'ensemble des citoyens, parce que le service public de la justice doit pouvoir fonctionner sur l'ensemble du territoire dans les mêmes conditions.

Nous sommes confrontés à une situation un peu particulière. J'ai déjà parlé du mal-être des magistrats : il s'atténue indiscutablement depuis plusieurs mois, mais comme ses origines sont assez profondes, il peut resurgir à la moindre occasion. Nous sommes, par ailleurs, confrontés à une deuxième difficulté : la baisse du nombre de candidatures au concours d'entrée à l'École nationale de la magistrature. Nous avons des difficultés à recruter les magistrats nécessaires pour faire face aux départs en retraite, qui seront au nombre de mille quatre cents sur la durée du quinquennat, parce que le statut de magistrat a été quelque peu écorné.

Il est important que les responsables politiques expriment à nouveau leur confiance à l'égard des magistrats : c'est ce que fait le Gouvernement avec ce projet de loi ; c'est ce que vous déciderez éventuellement de faire en l'améliorant et en l'adoptant.

Il est important d'adresser à la société tout entière un signal sur les conditions dans lesquelles les magistrats exercent la mission de juger. Car cette réforme n'est pas faite pour le confort des magistrats ; elle est faite pour les justiciables, et pour les justiciables les plus vulnérables. Il faut que la mission de juger soit perçue comme impartiale sur l'ensemble du territoire, par ceux qui n'ont pas de réseaux, par ceux qui n'ont pas d'amis, par ceux qui doutent, par ceux qui n'ont d'autre recours, lorsqu'ils sont dans la détresse, que de s'adresser au service public de la justice.

Ces justiciables doivent obtenir de l'exécutif, ils doivent obtenir du Gouvernement la garantie que les jugements sont prononcés en toute impartialité. Cette impartialité, je le répète, n'est pas pour le juge, mais pour le justiciable. Montaigne disait déjà que : « La juridiction ne se rend pas pour le juridiciant, mais pour le juridicié. » Dans la langue d'aujourd'hui, cela signifie que la justice est conçue, non pour le juge, mais pour le justiciable.

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