Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 17 juillet 2013 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt :

Notre débat d'aujourd'hui porte sur les liens entre l'agriculture et l'environnement, et sur les enjeux qui en découlent.

Je l'ai dit dès que je suis arrivé aux affaires : il faut abandonner notre propension à opposer performance écologique et performance économique. Une telle attitude a pu avoir des conséquences très négatives en agriculture. C'est ainsi qu'en Bretagne, la production porcine a fini, au bout de trente ans, par rencontrer des difficultés et que des abattoirs vont malheureusement devoir fermer.

Ma stratégie est de combiner cette double performance. Cela dit, je ne peux que prendre en compte l'histoire de l'environnement par rapport à l'agriculture.

Dès 1979, à l'échelle européenne, on a essayé de limiter les externalités négatives liées au modèle existant. On avait en effet choisi de développer la production, afin de rattraper le retard dû à la guerre. Les rendements ont été améliorés, multipliés, voire quintuplés ! Mais il faut bien reconnaître que pendant toute cette phase d'accélération du niveau de la production agricole, la question environnementale n'était pas, loin s'en faut, la priorité. J'en veux pour preuve la façon dont a été mené le remembrement, le volume de produits chimiques utilisés pour accroître la productivité, ou la multiplication des traitements spécifiques. Par exemple, pour éviter que les tiges du blé ne versent sous le poids des grains, on a eu recours aux régulateurs de croissance du type Cycocel pour en réduire la taille…

Ainsi s'est-on contenté pendant vingt ou trente ans de procéder à des corrections et de créer de nouvelles normes. Voilà à quoi s'est résumée la politique de l'environnement ! Si nous voulons réussir cette double performance, nous devons changer d'attitude et réfléchir à de nouveaux modèles de production qui intègrent d'emblée l'objectif économique et l'objectif écologique.

Ce que j'ai appelé l'agro-écologie repose sur l'idée qu'on va conceptualiser, en revenant à des critères d'agronomie et en prenant en compte les mécanismes naturels, la manière d'aborder la production agricole. C'est tout l'enjeu d'aujourd'hui, qui a débouché sur un plan et sur une nouvelle démarche, consistant à repérer les expériences positives conduites par des agriculteurs ou des réseaux d'agriculteurs recherchant la double performance économique et écologique.

Le 18 décembre 2012, nous avons organisé à Paris la Conférence nationale « Agricultures : produisons autrement », au Conseil économique, social et environnemental. Nous avons étudié, sans aucun a priori, toutes les pistes possibles, pour dégager ensuite certains critères. De son côté, Marion Guillou, dans son rapport, a tenté de caractériser ce qui pourrait être, selon les OTEX – orientations technico-économiques des exploitations agricoles –, les critères de l'agro-écologie. Car il nous faut, à terme, concevoir de nouveaux modèles de production.

Les itinéraires techniques que l'on a connus depuis trente ou quarante ans ont eu leur vertu. Ils étaient simples et faciles à diffuser. Mais ils n'étaient pas forcément adaptés aux écosystèmes. Aujourd'hui, nous sommes obligés de réfléchir à la meilleure manière d'utiliser les potentiels que nous offrent les écosystèmes pour maximiser la production économique tout en en minimisant les impacts négatifs sur l'environnement.

Par exemple, pour les céréaliers, le fait de couvrir les sols de manière continue présente de multiples avantages.

Premièrement, plus les sols sont couverts, moins on les retourne, moins l'eau s'en évapore, et moins on consomme d'énergie pour les retourner. On préserve en outre leur microbiologie. Laissons les lombrics travailler : ils n'ont pas besoin du secours de la chimie, ils travaillent tout le temps – et pas aux 35 heures (Sourires), sans revendications sociales, et vont plus profond que la charrue.

Deuxièmement, cela permet de conserver de la matière organique, laquelle contient du carbone. Or le carbone est un des gaz responsables du réchauffement climatique. Plus il y en a dans les sols, moins il y en a dans l'air. Il y aurait aujourd'hui environ 70 milliards de tonnes de carbone dans les sols, soit l'équivalent de 35 ans du carbone rejeté par l'Europe dans les conditions actuelles. Ce n'est pas rien, et le renforcement de la capacité d'absorption du carbone aura un impact sur le réchauffement climatique. Il en est de même des dioxydes d'azote : moins on travaille le sol, moins on en émet dans l'atmosphère.

Troisièmement, la couverture des sols permet une économie d'énergie fossile : moins on retourne ceux-ci, moins on a recours aux tracteurs et autres engins qui consomment du fuel. Dans les exploitations que je connais, on passerait ainsi de 5 500 heures de tracteur à possiblement 2 000 ou 2 200 heures par an. Et ce serait excellent pour le dos des agriculteurs…

Enfin, la couverture des sols contribue à améliorer nos capacités d'autonomie fourragère en nous permettant d'utiliser plus longtemps l'énergie solaire. Et c'est d'autant plus intéressant que notre pays est dans une zone tempérée, dans un niveau où la durée des saisons favorables à la production agricole est beaucoup plus longue qu'ailleurs. Au Canada ou en Ukraine, il faut attendre que l'hiver se termine pour pouvoir travailler les sols ; il n'y a qu'une récolte – voire une récolte et demie – de possible. Nous avons l'avantage énorme de pouvoir faire beaucoup plus tout en étant sur le plan écologique parfaitement durables. Bien sûr, le processus prendra du temps et il n'aboutira que si nous sommes capables d'y associer les agriculteurs.

Les agriculteurs doivent être les acteurs de cette nouvelle démarche qui consiste à prendre, dans les modèles de production nouveaux, les éléments de l'écologie. Le 18 décembre, quand nous avons repéré l'ensemble des systèmes innovants, nous nous sommes aperçus que ceux-ci étaient performants parce qu'ils avaient été mis au point par des passionnés. Pour mener à bien la révolution que nous souhaitons, il faut diffuser ces systèmes auprès du plus grand nombre.

Cela passera aussi bien par la formation – l'enseignement agricole, sur lequel nous pourrons revenir – que par la création de certaines dynamiques. Je me souviens des « clubs des 100 quintaux » réunissant des agriculteurs qui discutaient sur la façon d'atteindre un rendement de 100 quintaux de blé à l'hectare. Je suis persuadé de l'intérêt de ce genre de mobilisation et je fais confiance aux agriculteurs. Nous avons d'ailleurs proposé, dans le projet de loi d'avenir agricole, de créer des groupements d'intérêt économique et écologique, un peu à l'image des anciens GDA – les groupes de développement agricole – ou des anciens groupements de développement. Ces nouveaux groupements d'intérêt économique et écologiques permettront de diffuser le savoir et, dans ce cadre, les agriculteurs pourront, ensemble, se fixer des objectifs ambitieux. Telle est la dynamique que nous essayons de mettre en oeuvre.

Tout cela suppose l'appui de la politique agricole européenne, qui passe, notamment, par le verdissement de la politique agricole et par un certain nombre de mesures agro-environnementales – ou MAE.

Il faut que nous fassions évoluer les MAE vers des MAE systémiques. Au Parlement européen, dès qu'un problème environnemental surgit, on y répond par une directive. À un problème de sols, on répond par une directive sur les sols ; à un problème d'oiseaux, par une directive sur les oiseaux. Et c'est la même chose pour l'eau ou les produits phytosanitaires. Mais pour un agriculteur, tous les paramètres se conjuguent sur son exploitation. Par exemple, le contexte éco-systémique fait qu'il utilise plus ou moins de produits phytosanitaires, voire pas du tout s'il fait de l'agriculture biologique.

L'enjeu est donc de définir ensemble des outils qui permettent d'appréhender tous les écosystèmes. Nous vous proposerons de prendre des MAE systémiques mettant en relation des agriculteurs pour qu'ils créent, dans chacun des écosystèmes qui les concernent, les meilleures conditions possibles, tout en respectant certains objectifs environnementaux et économiques.

Voilà ce que je voulais vous dire. Bien sûr, nous pourrons revenir sur la PAC, le verdissement ou le premier pilier. Mais je tenais à insister sur la dynamique que je souhaite enclencher avec la loi d'avenir agricole, dont nous allons débattre. L'économie n'est pas incompatible avec l'écologie, et l'écologie peut être au service de l'économie.

Mais revenons sur le cas de la Bretagne, de ses lisiers et de ses algues vertes. Jusqu'à présent, on a mesuré l'excédent structurel de matière organique zone par zone et exploitation par exploitation. On a calculé ce qui était nécessaire pour une exploitation, chacune d'entre elle devant avoir sa zone d'épandage. Mais il arrive qu'un agriculteur ait trop d'azote organique, et qu'un autre qui se trouve à quelques centaines de mètres achète de l'azote minéral. Pourtant, aucun échange n'est possible. Nous allons donc vous proposer, dans la loi, que l'excédent d'azote organique puisse se substituer à l'azote minéral. C'est ce que l'on appelle la logique de l'azote total. C'est aussi un changement complet de logique qui fait qu'on ne raisonnera plus exploitation par exploitation, zone excédentaire par zone excédentaire. De la même façon, s'agissant de la polyculture-élevage, on ne devrait plus raisonner exploitation par exploitation, mais par zones d'échanges. Ainsi, le fumier qui se trouve à un endroit pourrait servir à fumer les terres à un autre endroit.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion