Intervention de Frédéric van Roekeghem

Réunion du 17 juillet 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Frédéric van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, CNAMTS :

Sur la question de la connaissance des coûts, notre objectif n'est pas de définir un panier de soins. Pour équilibrer un système d'assurance maladie, il existe trois leviers : la dépense, le taux de prise en charge, et la recette. Nous ne devons pas céder à la facilité et regarder d'abord la dépense et le taux de prise en charge puis procéder à des déremboursements, auxquels le Conseil de la CNAM n'est pas favorable. Il faut d'abord s'interroger sur les finalités de la dépense de santé et des ressources déjà affectées, avant d'agir sur ces deux autres leviers.

S'agissant des recettes, les 45 milliards d'euros de l'État, représentent des frais financiers, nous ne proposons pas de supprimer le déficit de la CADES correspondant à ces frais. Nous constatons simplement que nous avons 12 milliards d'euros de prélèvements qui amortissent la dette de la CADES, tandis qu'on creuse une autre dette, celle du régime général. Cela a-t-il un sens ? Ne faudrait-il pas plutôt se donner un objectif atteignable, qui serait de stabiliser la dette sociale ? Il s'agit de constater que la situation consolidée du déficit général et des organismes qui participent à son financement n'est pas si dégradée, et qu'il faut distinguer l'Unédic et les régimes complémentaires de retraite gérés par les partenaires sociaux, de ce qui est géré par l'État. Il serait raisonnable que ce qui relève de la gestion de l'État se trouve à l'équilibre.

Ayant participé à la création de la CADES, je sais que celle-ci constitue un instrument qui dégage structurellement un excédent de financement. Ce système aurait un sens si le régime général était à l'équilibre, mais dans la situation actuelle, je m'interroge sur l'intérêt de creuser un déficit de 14 milliards chaque année, d'un côté, et de le rembourser à hauteur de 12 milliards de l'autre. Ce n'est pas très compréhensible pour nos concitoyens. Or l'un des principes fondamentaux du préambule de la Constitution réside dans un consentement éclairé à l'impôt. Toutefois, ce sujet nous dépasse. L'exercice que nous impose la loi est de réaliser un rapport sur les charges et les produits de l'assurance maladie. Certaines questions n'ont donc pas été traitées, par exemple celles qui relèvent de la politique de santé. Il appartient au Gouvernement d'apporter des réponses sur la prévention, la préparation des soins, ou l'utilisation des ressources.

Sur les ASMR V et la définition de classes, de nombreux éléments relèvent du pouvoir législatif. Le Gouvernement évaluera les propositions que nous formulons à cet égard, au regard de sa politique globale en matière de santé et de médicament. J'insiste, toutefois, sur le fait que l'ensemble de nos propositions a pour objectif de nous replacer dans une situation qui soit considérée comme raisonnable aux yeux de l'Europe et justifiée par rapport à la qualité de la prise en charge. Sachant notamment que pour la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), après discussions avec le Gouvernement, nous avons renoncé à la mise en place d'une recommandation temporaire d'utilisation.

Par rapport aux travaux du Comité économique des produits de santé (CEPS), je ne voudrais pas donner le sentiment que nous nous en désolidarisons. Cette institution a été créée pour distinguer les orientations stratégiques des décisions tarifaires. Ces dernières doivent respecter la législation, qui prévoit qu'un médicament qui ne présente pas d'amélioration sur le service médical rendu doit se traduire par une économie. Aujourd'hui nous nous interrogeons sur les aménagements à apporter à ce principe pour certains produits de santé. À l'inverse, l'article 48 de la loi de financement pour 2012, qui a procédé à des modifications substantielles des équilibres, ne nous paraît pas suffisamment encadré. Il appartiendra au Gouvernement et au Parlement de se prononcer en la matière.

S'agissant de la consommation de benzodiazépine, nous avons réduit celle-ci pour les personnes âgées, mais la durée de prescription demeure encore trop importante par rapport aux préconisations. Il faut considérer, plus généralement, l'état des indicateurs sur la santé publique, mis en place en 2012, comme une photographie de la situation de la prescription médicale, de la prévention et de la prise en charge des maladies chroniques. Le défi de notre pays est de repérer les points d'amélioration et de savoir à quelle vitesse ils peuvent être mis en oeuvre. On comprend que les médecins éprouvent des difficultés s'agissant des patients soignés depuis de nombreuses années avec des benzodiazépines, car il existe une accoutumance à ces produits. Mais le bilan des nouvelles prescriptions ne nous semble pas satisfaisant. Dès lors nous nous demandons comment accélérer l'amélioration des indicateurs. De ce point de vue, reprendre les priorités d'une stratégie nationale de santé clairement énoncée nous semble, au-delà des outils et de la réflexion sur les offreurs, devoir être relayé par les pouvoirs publics.

Pour ce qui concerne la corrélation entre l'offre et la quantité de soins, nous avons déjà réalisé un certain nombre d'études, mais pas encore sur l'offre hospitalière. Si ce lien est démontré dans certains cas, il est très variable selon la nature de la prestation de soin. Ainsi, sur les soins de médecine générale, la corrélation apparaît moins forte. Ce sujet ne se limite pas à la nature de l'offre, mais s'étend à sa répartition sur le territoire. Une étude de la CNAM, disponible sur Internet, montre que les écarts de consommation de soins entre les régions s'expliquent en partie par la densité de l'offre. Mais ce n'est pas parce que la quantité de soin est plus élevée que les résultats en termes de santé sont meilleurs. D'autres facteurs interviennent.

Sur la question de la quantité et de la qualité, je rappelle encore une fois que nous nous trouvons dans un exercice imposé : nous devons formuler des propositions ayant un impact financier. La prévention comprend un impact de long terme. S'agissant du tabac, nous faisons des propositions, qui certes ne sont pas révolutionnaires en termes d'investissement, car nous avons souhaité rester mesurés sur les investissements de prévention. Il appartient au Gouvernement de décider s'il faut augmenter fortement ceux-ci ou non. Dans un contexte où l'ONDAM était globalement maîtrisé, nous avons tenté de faire des propositions ayant un impact réel sans requérir des investissements trop importants.

Nous avons procédé à des études sur la prise en charge des substituts nicotiniques, qui nous apparaît d'autant plus justifiée que les personnes ne peuvent pas les prendre elles-mêmes en charge, lorsqu'elles ont de faibles ressources. Cette question nous renvoie à l'équilibre du fonds national de prévention, dont les moyens ne sont pas illimités.

Sur la comparaison Allemagne – France, je rappelle que le premier facteur d'équilibre demeure la croissance. Or si l'on compare la croissance de nos deux pays, on observe ces dernières années près d'un point d'écart. Or un pour cent de la masse salariale représente, pour l'assurance maladie, près d'un milliard d'euros. Il existe, de plus, une règle d'équilibre dans la Constitution allemande. Lorsque la crise de 2009 est intervenue, l'État fédéral allemand a financé à hauteur de 15 milliards d'euros l'équilibre de ses fonds d'assurance maladie locaux, les AOK. Les mécanismes mis en place dans nos deux pays divergent donc. Nous pouvons réfléchir à leur convergence, mais cela supposerait de réformer les prélèvements obligatoires, pour se redonner des objectifs atteignables et leur conférer de la lisibilité pour les citoyens, ainsi que de renforcer leur pilotage. Il s'agit là, cependant, d'une réforme structurelle, plus large que le cadre de nos débats ce matin.

Sur la greffe, nous savons que l'insuffisance rénale chronique est un soin en développement : nous avons 4 à 5 % d'augmentation du nombre de patients traités. La stratégie est extrêmement simple et fait l'objet d'un consensus médical très clair : en premier lieu, prioriser la greffe, à la fois pour des raisons de santé et de coût. Cette réponse doit nous amener à nous interroger sur deux points : notre capacité à augmenter le nombre de greffes sur donneurs vivants et l'efficacité de notre dispositif de surveillance de l'accès à la greffe sur l'ensemble du territoire. En second lieu, en l'absence de greffe disponible immédiatement, il s'agit de donner le choix au patient entre différentes techniques de dialyse. Si la loi de 2002 était systématiquement appliquée, la dialyse péritonéale serait retenue dans 50 % des cas avec un taux de rétention de 25 %. C'est exactement ce qui se passe lorsque l'on offre le choix aux patients, en expliquant avantages et inconvénients des deux techniques, qui sont réversibles. En dernier lieu, il nous faut préparer l'avenir et soutenir les investissements d'avenir pour développer l'auto-dialyse à domicile. Dans cette perspective, il faut également déverrouiller les freins à ce développement, ce qui nécessite plusieurs leviers :

– tout d'abord, il conviendrait de rééquilibrer les honoraires de surveillance des patients perçus par les néphrologues selon qu'ils exercent cette surveillance en centres de dialyse ou au domicile des patients ;

– il conviendrait également de revoir les tarifs, qui sont trop élevés en centres ;

– il faudrait également modifier le code de la santé publique qui réserve aux seuls établissements de santé la possibilité de faire de la dialyse à domicile ;

– enfin, il faudrait arrêter de limiter administrativement le nombre de places en dialyse à domicile.

Nous avons clairement une demande du Gouvernement pour réformer le système de dialyse dans notre pays. Mais c'est un sujet compliqué. Depuis leur création, les agences régionales de santé se sont vues assigner un objectif d'augmentation du nombre de dialyses à domicile, mais ce n'est qu'ensuite qu'on s'est aperçu qu'il existait en fait des verrous administratifs.

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