Intervention de Marcel Deneux

Réunion du 9 juillet 2013 à 18h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Marcel Deneux, sénateur, vice-président de l'OPECST :

La performance énergétique des bâtiments est au coeur de la transition énergétique. C'est en effet la consommation d'énergie primaire dans le bâtiment qui offre la marge d'économie possible la plus importante par rapport aux autres grands domaines de consommation que sont l'industrie et les transports.

En août 2009, la première loi de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement a jeté les bases législatives de la réglementation thermique 2012, dite RT2012, qui impose aux constructions nouvelles un plafond de consommation énergétique défini en énergie primaire : 50 kWh par mètre carré et par an.

En décembre 2009, l'Office, à travers une évaluation conduite par MM. Christian Bataille et Claude Birraux, a confirmé la pertinence de la fixation d'un plafond en énergie primaire, sous réserve de le compléter par un plafond d'émission de dioxyde de carbone [CO2], modulé dans des conditions identiques en fonction notamment des zones géographiques et de l'altitude.

Mais cette étude a aussi mis au jour les difficultés pour faire prendre en compte par la réglementation certaines solutions technologiques nouvelles, d'une part, en raison d'un mode d'évaluation des performances basé sur une méthode conventionnelle (le « moteur de calcul »), d'autre part, en raison de la lourdeur des procédures de certification.

Notre collègue, M. André Chassaigne, a rappelé, lors du débat à l'Assemblée nationale du 26 février 2013 sur les dispositifs d'efficacité énergétique et de maîtrise de la demande d'énergie dans le bâtiment, les difficultés d'homologation de certains composants innovants, dont les matériaux bio-sourcés. Puis il a transmis au Bureau de l'Assemblée nationale, en tant que président du Groupe des démocrates et républicains, une demande de saisine de l'Office.

Le 27 mai 2013, le Bureau de l'Assemblée nationale a saisi l'OPECST le 27 mai 2013 d'une demande d'évaluation des conditions de mise en oeuvre de la réglementation thermique, mettant l'accent sur l'importance des résultats effectifs en termes d'économies d'énergie. Dans la continuité des travaux engagés par MM. Christian Bataille et Claude Birraux en 2009, l'étude a pour objet d'établir des informations objectives sur les développements à attendre de la filière du bâtiment en matière d'économies d'énergie.

M. Jean-Yves Le Déaut et moi-même avons été désignés, le 29 mai dernier, par l'Office pour mener cette nouvelle étude. Mais, par anticipation, le président Bruno Sido et moi avions organisé le 4 avril 2013 une audition publique sur le thème : « Économies d'énergie dans le bâtiment : comment passer à la vitesse supérieure », ouverte par notre collègue André Chassaigne et conclue par Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée à l'innovation et aux PME.

La présente étude de faisabilité s'attache à présenter ce que pourraient être les principales orientations de l'étude, la nature des investigations que nous comptons conduire, les modalités d'organisation de nos travaux. En conclusion, nous soumettrons à l'approbation de l'Office une formulation plus opérationnelle de l'objet de l'étude.

Conformément à ce que souligne la saisine du Bureau de l'Assemblée nationale, notre évaluation devra être axée sur l'obtention d'économies d'énergie effectives.

L'audition du 4 avril 2013 a mis en évidence l'existence d'une approche très monolithique de la performance énergétique en France, qui laisse à l'écart des acteurs qui semblent pourtant concourir d'une autre manière à cet objectif.

Cela apparaît à trois niveaux de prise en compte de l'effort d'économies d'énergie : les labels de construction, la mesure des économies réalisées, la certification des composants.

Ainsi, le paysage européen de l'économie d'énergie dans le bâtiment est dominé par deux labels, qui, depuis une quinzaine d'années, ont fait leur preuve sur plusieurs milliers de bâtiments : « Maison passive » d'origine allemande, et « Minergie » d'origine suisse. Ces labels sont d'un niveau au moins aussi exigeant que les normes françaises. Ainsi la labellisation « Maison passive » impose une étanchéité de l'enveloppe environ cinquante fois plus sévère que celle imposée par la RT2012.

Alors que plusieurs États européens (Finlande, Danemark) ont prévu de retenir le label « Maison passive » comme référence réglementaire après 2015, ce label ne bénéficie en France que de soutiens départementaux et régionaux.

Quant au label Minergie, il demeure toujours sans portée au regard de la réglementation française, ce qui n'est guère dans la logique d'une situation où l'on aurait au contraire intérêt à faire feu de tout bois.

Le deuxième gisement d'économies d'énergie mis à l'écart concerne la gestion active de l'énergie.

C'est une des trois approches propres à diminuer la consommation énergétique des bâtiments, à côté de l'isolation et de l'amélioration de la performance des équipements. La gestion active de l'énergie vise à ajuster la consommation énergétique aux besoins.

Cela consiste à généraliser l'utilisation des minuteries, pour déclencher les équipements juste au moment où l'on en a besoin. Ce pilotage fin peut abaisser la consommation globale de 40% selon les données recueillies dans le cadre du programme HOMES conduit par Schneider dans plusieurs pays européens. Le gain procuré en termes d'économie d'énergie est ainsi équivalent à celui que procure l'isolation.

La RT2012 ne prend pas en compte, au niveau conventionnel, les économies de la gestion active de l'énergie, au motif que ces économies sont dépendantes du profil d'utilisation du bâtiment, qui peut changer. C'est un point qui mérite, à tout le moins, investigation.

Enfin, le dernier enjeu de l'étude concerne la complexité des procédures de certification des composants du bâtiment, les isolants comme les équipements.

Ceux-ci font l'objet d'un contrôle pour des raisons évidentes de sécurité, à des fins de protection de la santé et de l'environnement. Le contrôle concerne aussi la performance en matière d'économie d'énergie, de manière à favoriser l'utilisation des composants les plus efficaces.

Cependant avec une durée de deux à trois années, les procédures imposées pour la certification des composants paraissent excessivement longues, ce qui pénalise les petites entreprises. De plus, ces procédures ne prendraient pas en compte, contrairement au principe de la libre circulation sur le marché intérieur, les certifications délivrées dans un autre État membre de l'Union européenne ; elles imposeraient detout vérifier à nouveau, en une démarche aussi lourde que la certification initiale.

Or, si les procédures sont, en théorie, harmonisées au niveau de l'Union européenne, c'est justement pour supprimer les entraves techniques aux échanges.

Le règlement 3052011 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction est entré pleinement en vigueur au 1er juillet 2013. Son but affiché (considérant 8) est de « simplifier et de préciser le cadre existant et d'accroître la transparence et l'efficacité des mesures en vigueur », ce qui donne à penser, a contrario, que la saisine de l'OPECST n'est pas sans fondement.

Comme ce nouveau règlement prévoit notamment des procédures simplifiées dans le cas des petites et moyennes entreprises, un des objets de l'étude sera d'évaluer ce nouveau cadre européen de procédure.

D'ores et déjà, les divers problèmes répertoriés permettent de définir les axes d'investigation de l'étude.

Il s'agit d'abord d'examiner de près le fonctionnement des instances en charge de la qualification des produits ; ensuite, de comparer les procédures françaises avec celles de nos voisins européens qui sont les plus mobilisés sur la performance énergétique des bâtiments ; enfin, d'évaluer les règles communautaires, anciennes et nouvellement entrées en vigueur, au regard du principe de libre circulation au sein du marché intérieur.

Il sera donc particulièrement instructif de suivre directement une opération de certification pour observer son déroulement, ses étapes, et identifier les tiers techniques qu'elle mobilise. Nous espérons obtenir toute la collaboration nécessaire de la part des responsables publiques gérant ce type de procédure.

L'Allemagne étant un pays connu pour son engagement dans les efforts en faveur de la performance énergétique des bâtiments, nous projetons d'aller Outre-Rhin pour étudier les solutions allemandes aux questions soulevées par l'étude :

- certaines entreprises allemandes se considèrent-elles comme victimes d'obstacles à l'innovation ?

- la législation européenne garantit-elle, en Allemagne, la libre circulation des produits innovants sur le marché intérieur ?

- le cadre réglementaire allemand permet-il de mieux réconcilier le calcul conventionnel et la mesure de la performance réelle ?

- la gestion active de l'énergie est-elle reconnue en Allemagne comme un instrument de la performance énergétique ?

- les labels de construction des associations militantes pour les maisons passives (Passivhaus, Minergie) bénéficient-ils d'un soutien public ?

Nous nous proposons d'aller conduire une enquête équivalente en Finlande.

M. Jean-Yves Le Déaut profitera en outre d'un déplacement en Suède, à l'occasion d'une conférence sur l'énergie, pour prendre des contacts avec des responsables suédois du secteur du bâtiment.

En ce qui concerne l'analyse de la portée pratique du règlement européen du 9 mars 2011 « établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction », nous nous proposons d'interroger les responsables de l'administration française à l'origine du décret du 27 décembre 2012 pris pour l'exécution de ce règlement. Nous devrons aussi rencontrer les rapporteurs du texte au Parlement européen, et les fonctionnaires compétents de la Commission, pour vérifier dans quelle mesure cette nouvelle réglementation s'inscrit bien dans la mise en oeuvre du principe de libre circulation sur le marché intérieur, en créant un cadre de fonctionnement allégé pour les petites entreprises innovantes.

Pour conduire nos travaux, nous comptons nous appuyer sur un comité resserré d'experts, et nous visons une remise de nos conclusions en mai 2014.

Ce comité d'experts comporte des ingénieurs ayant une connaissance pratique des procédures de certification des produits, et du rôle du moteur de calcul et une personnalité scientifique à même de prendre du recul par rapport aux enjeux réglementaires.

Quant au calendrier des travaux, les auditions et l'évaluation des procédures françaises commenceront à la fin du mois de septembre 2013. Une audition publique ciblée sur les conditions d'élaboration du moteur de calcul pourrait être organisée en janvier 2014. Le déplacement en Allemagne aurait lieu en novembre 2013, et celui prévu en Finlande en mars 2014.

En conclusion, nous vous proposons une formulation plus ciblée du titre de notre étude.

En effet, la mission confiée à l'OPECST par le Bureau de l'Assemblée nationale a pour objet « d'établir des informations objectives sur les développements à attendre de la filière du bâtiment en matière d'économies d'énergie ». Or, évoquer « les développements à attendre de la filière du bâtiment » constitue une manière de faire référence aux innovations. Et il s'agit d'établir à leur propos des « informations objectives », c'est-à-dire, en fait, d'évaluer leur performance réelle.

Cette mise en avant de l'objectivité renvoie au problème fondamental posé par le calcul conventionnel, qui, lorsqu'il détient le monopole de la description des performances au détriment d'une prise en compte du résultat mesuré in situ, constitue un obstacle potentiel aux innovations en matière d'économies d'énergie. Les analyses en ouverture de l'audition publique du 4 avril 2013 de notre collègue M. André Chassaigne, inspirateur de la saisine, sont sans ambiguïté à cet égard.

En conséquence, nous vous proposons d'intituler l'étude : « Les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment. »

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