Intervention de Laurent Marcangeli

Séance en hémicycle du 3 octobre 2013 à 15h00
Dialogue social et continuité du service public dans les transports maritimes — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Marcangeli, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire :

En résumé, elle jugeait la continuité du service public juridiquement contestable et politiquement injuste.

Mes chers collègues, je me réjouis de me trouver en ce moment face non à l’opposition d’alors mais à la majorité d’aujourd’hui, car force est de constater que les arguments qu’elle faisait valoir hier n’ont plus cours à présent.

Sur le plan du droit d’abord. Le Conseil constitutionnel, qu’elle a saisi sur chacune des deux lois de 2007 et de 2012, l’a deux fois déboutée totalement. Les deux décisions des sages, sur le transport terrestre comme sur l’aérien, ont validé les dispositions adoptées par le Parlement, à la virgule près. Réglementer la continuité des services de transport est donc sans aucun doute parfaitement conforme à notre Constitution.

Si quelqu’un a bien donné quitus aux arguments de la majorité d’hier, c’est celle d’aujourd’hui. En effet, notre assemblée a examiné depuis le début de cette législature deux textes concernant le secteur des transports, la loi du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports, et la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable.

Si la réglementation adoptée en 2007 pour le rail et en 2012 pour l’aérien était si injuste, si apocalyptique, que ne l’avez-vous abolie ? Vous aviez deux belles occasions à saisir, mais, manifestement, ni vous, monsieur le ministre, ni vous, mes chers collègues de la majorité, n’en avez éprouvé le besoin ou l’envie. Je ne peux croire que la majorité ait perdu cette belle passion du détricotage, qui était pourtant sa marque de fabrique. J’y vois donc la meilleure démonstration de la qualité des dispositions en vigueur, qui facilitent la vie des usagers, sans pour autant porter atteinte au droit de grève.

Convenez-en avec moi, ces dispositions sont désormais communément admises, sur ces bancs comme dans le pays tout entier, et personne ne penserait à les remettre en cause. Nous pouvons tous nous en féliciter, car notre pays en sort plutôt renforcé.

Il est désormais temps de rendre le dispositif parfaitement complet, en étendant au transport maritime ce qui existe déjà pour le ferroviaire et l’aérien. Ainsi, l’accord de prévention des conflits, l’information des usagers, les dessertes prioritaires en cas de mouvement social deviendraient applicables aux liaisons par bateau.

Mes chers collègues, ce que vous avez admis pour le rail et pour les airs, soit par votre vote en 2007 et 2012, soit par l’acceptation de cet acquis, vous ne pouvez le refuser au transport maritime, transport pour lequel l’action publique est plus légitime encore.

En droit d’abord. Les parlementaires de gauche s’étaient opposés au texte sur le transport aérien au motif qu’il s’agissait d’un service presque exclusivement privé, donc guère concerné par les obligations de service public justifiant un encadrement particulier du droit de grève. En tant que juriste, j’en conviens, l’argument pouvait s’entendre, mais ce n’est pas le cas ici. Ma proposition de loi ne concerne ni les croisiéristes ni les circuits internationaux. Le dispositif est clairement limité aux îles du territoire national et européen, dont la desserte justifie des obligations de service public. La collectivité compétente peut fixer des obligations de service public concernant les ports à desservir, la régularité, la continuité, la fréquence, la capacité à offrir le service et la tarification pour les services réguliers à destination des îles ou entre îles. Cette prérogative particulière se double de financements spécifiques, engageant la solidarité de la nation, au titre du principe de continuité territoriale. Nous y sommes, je pense, tous attachés ou, du moins, je l’espère.

J’aimerais maintenant, chers collègues, vous sensibiliser à l’argument de fait.

Le territoire métropolitain s’est doté de règles, dont chacun se trouve satisfait, pour assurer que le train, l’avion se présentent – presque – à l’heure dite pour desservir des sites prioritaires. C’est fort pratique mais, en l’absence de ces règles, il restait toujours des modes de déplacement alternatifs : l’automobile, le vélo, l’avion en cas de grève ferroviaire, le train en cas de grève aérienne.

Mettez-vous à la place d’un habitant d’un territoire insulaire. Si la liaison maritime est coupée, que peut-il faire ? Aucune voie ferrée, aucune route ne peut le mener sur le continent. S’il habite sur une île suffisamment grande pour accueillir un aéroport, il pourra se déplacer, moyennant un coût financier supérieur et, puisque ce Gouvernement parle beaucoup de transition écologique, un coût carbone faramineux. Mais, s’il réside sur une île plus petite, quelles solutions a-t-il ? La brasse ? Le dos crawlé ? Le pédalo ? On ouvre la mer ou on marche sur l’eau ?

Plus sérieusement, vous le voyez bien, ces blocages portent clairement atteinte aux libertés des usagers et engendrent parfois des situations personnelles difficiles. Je le dis fermement, il n’est plus possible que des populations entières soient prises en otage alors que l’économie des îles comme la Corse dépend fortement de leurs transports. C’est pourtant précisément à cette situation d’insularité que notre réglementation s’abstient de répondre aujourd’hui. Il est urgent de combler cette lacune pour donner à ces citoyens les mêmes droits que les autres, pas plus, pas moins.

Croyez-le bien, je ne me situe pas dans une démarche punitive, cette proposition n’est dirigée contre personne.Il ne s’agit pas non plus d’un texte de circonstance, même si, bien sûr, l’actualité ne manque pas d’alimenter mes convictions à ce sujet, comme en juin dernier, lorsque l’on menace le bon déroulement du Tour de France, pour la première fois au départ en Corse, par un préavis de grève déposé peu avant le coup d’envoi de la première épreuve.

J’en reviens plus précisément au texte que je propose. La loi n’intervient qu’en dernier ressort, en cas d’échec de la négociation, afin de laisser un maximum d’espace à la démocratie sociale. Rien ne serait pire, aucun signal ne serait plus déplorable en direction des territoires insulaires qu’un rejet franc et massif exprimé par une Assemblée, dont la majorité des membres, j’en suis bien conscient, n’ont aucun problème d’ordre maritime dans leur circonscription.

Mes chers collègues, nous sommes députés de la nation. Aujourd’hui, nous devons mettre un terme à une situation juridique qui affaiblit l’économie et la qualité de vie des territoires insulaires, en adoptant un dispositif qui n’est rien d’autre que le droit commun. Je vous demande donc de bien vouloir apporter votre soutien à ma proposition de loi.

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