Intervention de Catherine Chabaud

Réunion du 8 octobre 2013 à 17h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Catherine Chabaud, rapporteure de l'avis du Conseil économique, social et environnemental, CESE intitulé « Quels moyens et quelle gouvernance pour une gestion durable des océans ? » :

Je me présenterai en quelques mots. Je suis une ancienne navigatrice et une journaliste de formation. Les courses au large que j'ai effectuées pendant quinze ans m'ont donné envie de m'engager car, à chaque traversée de l'Atlantique, j'ai constaté – chaque jour, voire plusieurs fois par jour – la présence de macro-déchets.

Depuis une dizaine d'années, je me mobilise pour la préservation de la mer et du littoral, et plus généralement pour le développement durable. J'ai piloté des missions que m'avait confiées Jean-Louis Borloo sur le thème du nautisme et du développement durable. J'ai présidé le groupe de travail du Grenelle de la mer sur la sensibilisation, l'éducation et la communication. J'ai mené une mission sur le nautisme pour le pôle Mer Bretagne. J'ai été membre du conseil d'administration du Musée national de la marine, de l'Agence des aires marines protégées, de la Fédération française de voile, de la Société nationale de sauvetage en mer. Je fais partie du comité de pilotage du Conseil d'orientation de la recherche et de l'innovation pour la construction et les activités navales (CORICAN). Membre du CESE depuis la nouvelle mandature dans le groupe des personnalités qualifiées, je fais partie de la section environnement. Enfin, je suis pilote du projet Voilier du futur, lauréat des investissements d'avenir.

Notre rapport Quels moyens et quelle gouvernance pour une gestion durable des océans ? est l'occasion de fournir une photographie des océans, que malheureusement peu de Français connaissent. Il est le fruit du travail de la section environnement et de l'expertise de nos administrateurs. De l'avis d'un certain nombre de personnes qui l'ont lu, il fera date. Il est divisé en quatre chapitres : « les ressources des océans : un monde peu connu et pourtant si riche » ; « les enjeux des activités humaines en mer » ; « les impacts subis par les océans : des richesses fragilisées » ; « la gouvernance des océans : un cadre complexe, des règles inachevées ».

Les océans recouvrent 71 % de la surface de la terre, mais seuls 5 % ont été explorés de manière systématique. La biodiversité marine représente 90 % de la biomasse de la Terre – le phytoplancton équivaut à lui seul à 50 % de cette biomasse planétaire. Les océans jouent un rôle essentiel dans l'équilibre du climat ; ils recyclent le gaz carbonique de l'atmosphère et produisent plus de la moitié de l'oxygène que nous respirons. En outre, 98 % des ressources hydriques proviennent des océans. Et plus de 2,6 milliards d'êtres humains dépendent principalement de la mer pour leurs besoins en protéines.

À l'échelon international, les activités maritimes atteignent un chiffre d'affaires de 1 500 milliards d'euros, dont 190 milliards proviennent de secteurs qui n'existaient pas il y a dix ans, ce qui traduit une émergence d'activités – offshore profond, énergies marines, etc. Pour la France, l'économie maritime génère 450 000 emplois pour un chiffre d'affaires de 70 milliards d'euros.

Le milieu marin subit quatre grandes pressions : la destruction et la pollution des écosystèmes, la surexploitation des ressources, la dissémination des espèces et les impacts du changement climatiques. Environ 41 % des écosystèmes sont fortement menacés. Près de 30 % des stocks de poissons sont surexploités, et 60 % sont exploités au maximum. Enfin, 80 % des macro-déchets sont d'origine terrestre.

La convention de Montego Bay de 1982 a créé la zone économique exclusive (ZEE) qui repousse à 200 milles nautiques la souveraineté des États côtiers. L'espace maritime français est ainsi porté à 11 millions de kilomètres carrés, ce qui donne à notre pays une légitimité sur ces sujets, mais aussi des perspectives économiques. Au-delà de cette ZEE, la haute mer est un espace de liberté ; elle représente les deux tiers des océans. Compte tenu des ressources minérales et biologiques qu'elle recèle, l'enjeu est de savoir si l'on continue librement à l'exploiter ou si l'on essaie de définir un cadre juridique. À cet égard, nous assistons aujourd'hui à l'émergence du concept de patrimoine commun de l'humanité autour de la haute mer.

Les outils de la gouvernance internationale sont la convention de Montego Bay, la convention sur la diversité biologique et des instruments thématiques ou régionaux. L'Europe dispose d'un commissaire compétent pour les affaires maritimes et la pêche. La France hésite depuis toujours entre un ministère, dénommé aujourd'hui « des transports, de la mer et de la pêche » et placé sous la tutelle du ministère de l'écologie, et un secrétariat général de la mer.

Notre rapport est exhaustif, mais notre avis pointe des sujets prioritaires. Nos préconisations portent sur quatre thèmes : la recherche, la connaissance et la formation ; la gestion durable des activités humaines en mer ; la prévention des dommages environnementaux majeurs ; l'amélioration de la gouvernance.

Sur le premier thème, nous préconisons le maintien des capacités de la flotte océanographique française et une mutualisation des différents supports d'observation à la mer. Nous souhaitons également le maintien des moyens satellitaires. Pour nous, il est urgent de développer la recherche fondamentale sur les écosystèmes des grandes profondeurs ainsi que sur les environnements insulaire et polaire. Nous suggérons le développement de partenariats entre la recherche scientifique et l'industrie ainsi qu'un renforcement des sciences participatives sur ce sujet.

Nous préconisons que la France et l'Europe affichent une stratégie maritime ambitieuse. Le CESE estime prioritaire de finaliser l'évaluation mondiale de l'état du milieu marin. Il demande une articulation entre les travaux du GIEC et de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Une sensibilisation à la mer, de tous les acteurs et pour tous les cursus, nous semble également indispensable.

Sur la gestion durable des activités humaines en mer, nous promouvons une approche écosystémique et concertée du développement. L'enjeu est d'arriver à gérer durablement et collectivement le milieu – pêche, énergies marines, transport maritime, plaisance, etc. Pour ce faire, nous recommandons une écoconception des navires et des infrastructures maritimes, une concertation de tous les acteurs, un développement des énergies marines renouvelables (EMR) avec des objectifs ambitieux au niveau européen, et la création d'une filière nationale et continentale de démantèlement des navires.

Nous préconisons un pacte national pour une pêche et une aquaculture durables, la question de la ressource halieutique engageant l'ensemble des acteurs. Nous recommandons la traçabilité du poisson, une réflexion sur la pêche profonde au sein du Conseil national de la mer et des littoraux, et une réforme du modèle de production de l'aquaculture.

Enfin, il nous paraît essentiel d'évaluer les besoins en nouveaux métiers.

Sur la prévention des dommages environnementaux majeurs, nous avons pointé deux sujets : les conséquences du réchauffement climatique sur les océans et les impacts des macro-déchets. Le CESE demande à la France de promouvoir l'intégration du rôle des océans dans les négociations internationales relatives au climat. Nous avons bon espoir qu'elle le fasse en 2015 dans le cadre de la Conférence des parties, sachant que les océans n'ont jamais été abordés jusqu'à présent dans ces réunions.

Au niveau international, nous souhaitons l'adoption d'une convention-cadre de lutte contre les pollutions marines d'origine tellurique. Nous appelons à un renforcement de la prise en compte du lien terremer : un effort doit être entrepris pour équiper notamment les collectivités d'outre-mer de réseaux d'assainissement et de station d'épuration.

Le succès de ces préconisations a un préalable : la définition d'une politique maritime ambitieuse au travers d'une gouvernance claire. Nous soulignons l'importance de la pérennité de l'institution en charge de cette gouvernance, d'une part, et de la dimension politique du rôle confié à son dirigeant, d'autre part. Nous proposons, non pas d'instaurer un grand ministère de la mer, mais de réformer le rôle du secrétariat général de la mer qui serait compétent sur l'ensemble des questions maritimes – biodiversité, action de l'État, activités maritimes, etc. Nous préconisons de confier ce pilotage à un haut-commissaire, avec rang de ministre, sous l'autorité directe du Premier ministre.

Au niveau international, le CESE souhaite que la biodiversité en haute mer bénéficie enfin d'un cadre juridique protecteur et que la place de la société civile dans les instances internationales soit renforcée. La conférence que nous avons organisée sur la gouvernance de la haute de mer au mois d'avril a mobilisé les services de l'État et des démarches sont entreprises. Au niveau européen, nous proposons la création d'un registre d'immatriculation des navires, prenant comme référence le plus exigeant de l'Union.

Nous appelons de nos voeux l'instauration d'un cadre international de gestion durable des ressources de l'Arctique. Il y a urgence car la fonte de la banquise ouvre la voie à l'exploration et à l'exploitation des ressources pétrolières.

Enfin, le CESE souhaite que le préjudice écologique soit intégré dans le droit européen.

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