Intervention de Laurence Abeille

Réunion du 8 octobre 2013 à 17h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Abeille :

Merci pour ce travail passionnant. J'axerai mon propos sur la pêche et la préservation de la biodiversité marine. La plupart des études indiquent un effondrement des ressources halieutiques, notamment la disparition totale des poissons marins d'ici à 2048 si rien n'est entrepris. La surpêche d'une espèce a des conséquences en chaîne, provoquant un bouleversement de l'écosystème marin dont on a du mal à mesurer les conséquences. Par exemple, la baisse drastique du nombre de grands poissons, comme le thon, a favorisé la prolifération des méduses : c'est le cas notamment au Japon qui se retrouve face à un vrai problème écologique – encore un…

Si l'équilibre écologique des océans n'est pas maintenu ou rétabli, il semble illusoire de parler de pêche durable. On sait que la politique des quotas de pêche fonctionne mal et qu'elle a pour conséquence le rejet massif de prises accessoires et accidentelles. Les techniques sont, en effet, assez rudimentaires : c'est comme tuer tous les animaux d'une forêt pour prélever une seule espèce… La pêche en eaux profondes, que vous évoquez dans votre rapport, fait partie de ces pratiques catastrophiques sur le plan écologique. C'est pourquoi elle devrait être interdite, comme le propose la Commission européenne.

La solution pourrait-elle être l'aquaculture ? Cela s'avère très compliqué. Contrairement aux animaux d'élevage qui se nourrissent le plus souvent de végétaux, les poissons consomment principalement des poissons ! Et si pour produire un kilo de poisson d'élevage, il faut en pêcher deux kilos, c'est un non-sens. Les rapports sont même bien souvent pires : il faut de 3 à 4 kilos de poissons pour obtenir 1 kilo de saumon d'élevage, et ce rapport est de 22 pour 1 dans l'élevage du thon. Certes, ce ratio est similaire dans la nature, mais il respecte un cycle systémique qui n'a rien à voir avec le rythme industriel de l'aquaculture. Pour nourrir ces poissons d'élevage, on utilise des poissons sauvages, souvent surexploités, comme la sardine, le merlan, l'anchois. La solution ne peut évidemment pas être d'alimenter les poissons avec de la farine de porc, comme certains le voudraient.

La question du lieu où pratiquer cette aquaculture pose également problème, dès lors que certains facteurs sont pris en compte, comme la concurrence avec les espèces locales et la pollution avec le rejet d'antibiotiques. Une aquaculture non raisonnée, sans équilibre entre productivité et respect de l'environnement, ne règle pas le problème des stocks halieutiques : elle le déplace des poissons carnivores aux autres espèces tout en entraînant une pollution des milieux. Il est nécessaire de s'interroger sur le modèle de production aquacole, et c'est ce que vous préconisez à juste titre dans votre rapport. Mais les solutions semblent, en fait, très peu nombreuses.

Le débat sur la pêche est le même que sur la viande. Nous savons que l'élevage d'animaux terrestres est responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre, soit plus que l'ensemble des transports, et accapare une grande partie des terres arables. Il est impossible de nourrir 9 milliards d'humains avec la même consommation de viande que dans les pays développés. Le problème est donc le même pour le poisson : il est presque impossible de répondre à la hausse de la demande sans aboutir à une catastrophe écologique.

Je note avec satisfaction dans votre avis que vous souhaitez organiser une campagne nationale de sensibilisation destinée à inciter le grand public à une consommation responsable des produits de la mer. Une consommation responsable passe forcément par une baisse globale de la consommation – et donc des prélèvements. C'est, il me semble, la seule solution viable écologiquement. L'idée d'un label européen certifiant des produits issus d'une pêche durable, comme vous le proposez, semble pourtant à double tranchant si l'on a, d'un côté, des poissons labellisés et chers et, de l'autre, des poissons non labellisés issus de la surpêche.

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