Intervention de Gérard Mathéron

Réunion du 1er octobre 2013 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Gérard Mathéron :

Je vais vous répondre, au moins pour le CIRAD que je connais.

Vous nous faites remarquer que, d'une part, les organismes de recherche semblent bien faire leur travail mais que, de l'autre, les agricultures ou les agriculteurs semblent être en retrait. Et vous nous demandez notre point de vue sur la question.

Comme vous le savez, au CIRAD, chaque activité est construite autour d'un projet. La plupart du temps, ce projet est conduit en partenariat, notamment avec les collectivités. Il s'agit d'un pari conjoint entre les collectivités, les professionnels, les organisations de producteurs et nous-mêmes, qui décidons d'engager nous aussi des moyens, des forces, des connaissances, des compétences et des réseaux sur des questions qui suscitent des interrogations à un moment donné. Je peux vous donner quelques exemples de ces types de collaboration : la lutte contre le ver blanc à La Réunion, qui s'est traduite par un succès évident ; dans le cadre du plan « banane durable », aux Antilles, la réduction de l'utilisation des pesticides qui a été de 70 %. Mais on ne peut pas dire que, si réussite il y a, elle est due aux organismes de recherche. Il s'agit de projets collectifs, et donc d'évaluations collectives.

J'observe que, lorsqu'il y a plusieurs partenaires dans un projet, chacun d'entre eux doit préciser ce qu'il en attend. C'est ce qui lui fera dire que, selon lui, ce projet a réussi ou n'a pas réussi. Or, les critères de réussite ne sont pas forcément les mêmes pour les producteurs, les chercheurs ou les collectivités. Il est donc important que chacun exprime bien ses attentes dès le départ. Chacun saura à quoi s'en tenir et saura ce qu'il doit faire.

Cela dit, les succès ne sont pas forcément garantis. Par exemple, dans le domaine de l'utilisation des produits phytosanitaires, nous nous sommes rendu compte que dans les départements d'outre-mer ou les territoires d'outre-mer de l'Europe, à peine moins de 20 % des produits satisfaisaient aux besoins des producteurs. En comparaison, au niveau européen, pour l'agriculture européenne continentale, le pourcentage est de 80 %. Il y a donc, en matière d'innovation, des secteurs orphelins.

Ces secteurs orphelins n'intéressent pas forcément les collectivités, ni les organisations de producteurs. Mais il est possible que les établissements de recherche anticipent et s'engagent sur des thématiques délaissées par ailleurs. À côté des projets conjoints, nous avons la possibilité d'en programmer d'autres, afin d'anticiper des questions qui vont se présenter. Cette programmation, que nous prenons en charge sur nos dotations de fonctionnement, souvent en dehors de tout financement extérieur, pourra d'ailleurs avoir un impact, non seulement dans les DOM, mais également au plan international.

En conclusion, ma réponse à la question sera triple :

Premièrement, nombre de progrès ne résultent pas uniquement de la recherche, mais résultent, globalement, de problématiques collectives et d'un continuum entre la recherche et le tissu social. Les agricultures, quelles qu'elles soient, ont toutes plus ou moins bénéficié de ces engagements collectifs, notamment ceux dans lesquels les collectivités territoriales ont souhaité tout particulièrement s'impliquer. Sans le soutien des collectivités territoriales et du pouvoir politique, les grands projets de recherche ne se mettent pas en oeuvre. Et ces projets collectifs ont donné lieu à des résultats tangibles pour tous les agriculteurs domiens.

Deuxièmement, un travail par projet permet une évaluation. Si tout le monde annonce au départ ce qu'il attend d'un travail collectif, chacun pourra en tirer profit.

Troisièmement, les chercheurs conservent malgré tout un espace de liberté qui est utile au système, dans la mesure où il permet d'anticiper certaines questions qui ne répondent pas forcément aux demandes, aux besoins évoqués par M. Jean Champagne tout à l'heure, mais qui pourraient venir sur le devant de la scène. Cette capacité d'anticipation concerne les organismes de recherche, les instituts techniques, mais aussi vous-mêmes, en tant qu'élus, quand on vous demande de réfléchir très en amont sur certains projets – dans le cadre de contrats de plan, par exemple. Cependant, cette capacité d'anticipation n'est pas toujours facile à exercer, en raison des crises qui interviennent au fil de l'eau.

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