Intervention de Jonas Tahuaitu

Séance en hémicycle du 19 septembre 2013 à 9h30
Soins sans consentement en psychiatrie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJonas Tahuaitu :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, ce sujet des soins dits sans consentement pointe un des carrefours de notre pacte républicain, où se rencontrent la liberté individuelle, la santé, l’ordre public, la sécurité individuelle et qui associe monde médical et monde judiciaire.

Les soins psychiatriques sans consentement s’articulent en effet autour de trois exigences fortes liées à des enjeux majeurs : soigner les malades, garantir la sécurité des citoyens face à des comportements potentiellement dangereux, protéger les droits et libertés fondamentaux des patients hospitalisés sous contrainte.

Il s’agit donc de penser le juste équilibre de ce triptyque pour éviter les risques de dérives en tous genres. De ce point de vue, la proposition de loi examinée aujourd’hui et dont le dépôt a été rendu nécessaire par la décision du Conseil constitutionnel du 20 avril 2012 semble aller dans le bon sens, d’autant que les travaux de nos collègues sénateurs ont permis une amélioration du texte, notamment en reprenant des recommandations figurant dans le rapport d’étape de la mission d’information sénatoriale « santé mentale et avenir de la psychiatrie ».

En estimant que la loi ne pouvait poser, pour les personnes relevant de ces deux catégories, des règles plus rigoureuses que celles prévues pour des personnes en situation comparable, le juge constitutionnel a incontestablement joué son rôle de défenseur des libertés publiques.

Mais nous avons deux réserves fondamentales à formuler sur ce texte qui, je le répète, renvoie à des données fondamentales de notre pacte républicain appliquées à des situations très particulières, où les solutions évidentes et simples sont rares, où le sens passe par les détails.

Notre première réserve concerne la méthode et plus spécialement le temps laissé au Parlement pour traiter de ce sujet. En différant sa décision au 1er octobre 2013, le Conseil constitutionnel a laissé dix-huit mois au Gouvernement pour modifier les dispositions censurées. Nous disposions potentiellement du temps nécessaire à un travail serein et en profondeur sur ce sujet, qui concernait quelque 70 000 personnes en 2011.

Malheureusement, le Gouvernement n’a pas profité de ce délai. Le texte a été déposé à l’Assemblée nationale le 3 juillet, n’a été débattu en séance que le 25 juillet, puis le 13 septembre au Sénat, et une CMP a été convoquée quelques jours après. Ce faisant, le Parlement se trouve privé d’un vrai débat sur la santé mentale et la session extraordinaire en cours trouve là une mauvaise raison d’exister.

Le Gouvernement se devait de réagir plus rapidement. Cette manière de procéder n’est pas acceptable, car la question des soins psychiatriques est un sujet trop important pour le traiter à la légère. Or, c’est le risque qui pèse sur toute discussion contrainte par l’urgence, chose malheureusement trop fréquente.

Notre seconde réserve est de fond. Certes, la loi de 2011 appelait incontestablement des améliorations, notamment relatives à des procédures complexes, voire contradictoires, qui accordaient la prépondérance aux décisions administratives. Et au-delà, il est évident que la réflexion n’était pas aboutie sur l’étendue du contrôle judiciaire et la gestion de la contrainte à l’extérieur de l’hôpital psychiatrique.

Eh puis l’on se souvient du reproche sécuritaire qui était adressé à cette loi, dont l’élaboration avait d’ailleurs abouti à la démission de la rapporteure au Sénat, notre collègue et amie Muguette Dini.

D’ailleurs, en 2008, la Commission nationale consultative des droits de l’homme avait déploré que la question de la maladie mentale ait été évoquée dans le débat public à l’occasion de la discussion de textes dont la nature alimentait une confusion avec la délinquance, la violence et la dangerosité.

En instaurant une sorte de « garde à vue psychiatrique », période de soixante-douze heures au cours de laquelle les patients sont privés de tous droits, et un « casier psychiatrique » pour certains d’entre eux, la loi de 2011 paraissait suivre une pente qui appelait donc quelques améliorations.

Mais en réalité, les quelques améliorations apportées au texte ne règlent pas en profondeur les problèmes posés par la santé mentale. Depuis de nombreuses années, on nous promet une vraie loi complète pour mieux prendre en charge les malades psychiatriques. On l’attend toujours.

Mais paradoxalement, le texte qui nous est proposé aujourd’hui va bien plus loin que les modifications requises par la décision du Conseil constitutionnel.

Je pense notamment à la simplification des démarches administratives à la charge des professionnels de santé, à la création de sorties thérapeutiques de courtes durées pour les patients hospitalisés ou encore à la tenue à l’hôpital des audiences devant le juge.

Et il est indéniable que ce texte rompt avec des aspects essentiels de la réforme de 2011, par exemple en supprimant purement et simplement le suivi médical spécifique des patients placés dans des unités pour malades difficiles que permettait le régime dérogatoire de mainlevée des soins.

Or le Conseil constitutionnel n’a jamais considéré que le législateur ne pouvait pas prévoir de dispositions spécifiques, plus strictes, en matière de sortie de soins pour certaines catégories de patients psychiatriques jugés dangereux pour eux et pour les autres. Il s’est contenté d’affirmer que certaines dispositions de la loi du 5 juillet 2011, en l’état actuel, n’encadraient pas avec une précision suffisante les conditions d’hospitalisation.

Autre exemple : la présente proposition de loi supprime la définition légale, donnée par l’article L. 3222-3 du code de la santé publique, des unités pour malades difficiles, établissements s’occupant des patients aux troubles mentaux particulièrement lourds et aux comportements les plus violents. Cette suppression s’accompagne d’une limitation du régime applicable aux patients déclarés pénalement irresponsables aux seules personnes dont les infractions sont passibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement pour les atteintes à la personne et de dix ans pour les atteintes aux biens. Si la logique est parfaitement claire, le résultat peut laisser planer l’inquiétude puisque ce dispositif ne s’appliquera donc qu’aux patients ayant commis des infractions particulièrement lourdes.

Pour résumer notre point de vue, nous considérons que ce texte va dans le bon sens en renforçant les droits des patients et les garanties judiciaires entourant les mesures d’hospitalisation sous contrainte. Lorsqu’il nous a été présenté en juillet dernier, nous avions espéré certaines évolutions : c’est la raison pour laquelle nous avions souhaité donner d’emblée un signe positif en votant en faveur de ce texte. Toutefois, au regard de l’absence de réponses à nos légitimes questions, des débats ultérieurs, des éclairages apportés notamment par la discussion au Sénat et des perspectives possibles que nos collègues ont su montrer, il nous apparaît a posteriori que la discussion parlementaire n’est pas allée jusqu’à son terme. Nous avons abouti à un entre-deux ; faute d’être creusées, certaines idées risquent, à l’usage, de montrer leurs limites. C’est pourquoi le groupe UDI s’abstiendra sur le texte issu des travaux par la commission mixte paritaire.

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