Intervention de Cécile Duflot

Séance en hémicycle du 10 septembre 2013 à 15h00
Accès au logement et urbanisme rénové — Présentation

Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement :

Ce n’est pas ma position et je suis convaincue qu’il n’y a pas de fatalité. Sans attendre les effets de la relance de la construction qui est à portée de main, nous devons dès à présent mieux encadrer et réguler ce secteur. C’est une impérieuse nécessité et une attente légitime de nos concitoyens.

Le dispositif pérenne d’encadrement des loyers que ce texte propose est une réponse intelligente et innovante à cette attente.

L’examen du texte par votre commission des affaires économiques a d’ailleurs permis de consolider ce mécanisme, qui doit être suffisamment contraignant pour être efficace et suffisamment souple pour que nous n’entrions pas dans une logique de prix administrés que personne ne souhaite.

J’entends naturellement monter les critiques. Elles ont leur place en démocratie. Encore faut-il parfois en dévoiler les soubassements idéologiques.

Mon projet découragerait soi-disant l’investissement locatif et toucherait au portefeuille des petits propriétaires. Comme si les décisions des investisseurs sérieux reposaient sur les possibilités d’excès qu’autorise le marché, comme si les bailleurs composaient les couches les plus modestes de la population !

Rappelons que le patrimoine moyen des propriétaires bailleurs est plus de trois fois supérieur à celui de l’ensemble des ménages et que près de deux tiers des logements locatifs privés appartiennent à des propriétaires dont le niveau de vie est supérieur à celui de 80 % de la population. Notre projet de loi répond avant tout à un impératif de justice sociale.

La faiblesse des arguments de fond laisse alors la place aux arguties de forme. Notre projet serait contreproductif, l’encadrement des loyers ferait baisser le loyer des « riches » mais pas celui des pauvres car seuls les premiers paieraient des loyers excessifs.

C’est totalement faux ! Les personnes modestes paient en moyenne des loyers, rapportés au mètre carré, plus élevés que le reste des ménages car elles se logent, dans de mauvaises conditions, dans des logements de plus petite superficie. De surcroît, les personnes aisées sont, dans leur grande majorité, propriétaires de leur résidence principale.

On affirme même parfois, ultime paradoxe, que l’encadrement des loyers serait inflationniste. C’est un comble ! Un dispositif d’encadrement des loyers ne saurait être porteur en lui-même d’une hausse des loyers ! Bien au contraire, en entraînant la baisse des loyers les plus élevés, il provoquera en cascade un mouvement de désinflation globale.

De tous ces points, bien sûr, nous aurons à débattre : je souhaite que cela se fasse dans la clarté afin que chaque habitant de ce pays puisse appréhender la réalité des positions défendues par les uns et par les autres.

Enfin, en guise, non pas de conclusion, mais pour éclairer le débat qui s’ouvre, je voulais vous dire un mot sur les enjeux urbains et fonciers qui constituent une part primordiale du projet dont nous allons discuter.

La ministre de l’égalité des territoires et du logement que je suis, l’écologiste et la femme de gauche que je demeure plus que jamais ne pouvaient être que très préoccupées par ces questions qui façonnent notre territoire, et partant de là, notre vivre ensemble, notre expérience quotidienne de la vie en société et son impact tant sur la cohésion sociale que sur l’environnement.

J’ai donc voulu, avec vous, saisir à bras-le-corps ces enjeux.

En janvier dernier, vous avez voté un texte qui favorisait la cession des terrains de l’État aux collectivités et aux bailleurs pour y construire du logement, et en particulier du logement social et du logement accessible.

Le foncier est rare, cher et précieux. Nous le savons, sa disponibilité est l’incontournable condition pour construire là où sont les besoins et pour faire en sorte que le droit au logement ne soit plus ni une utopie ni une incantation, mais bel et bien une réalité.

Nous avons commencé par une loi de mobilisation du foncier public parce que la disponibilité du foncier est une condition nécessaire pour répondre à la crise du logement. Mais elle n’est pas suffisante : elle doit être combinée à une maîtrise de ce foncier, une maîtrise intelligente pour laquelle les élus ont besoin d’outils plus efficaces. En portant aujourd’hui le projet de loi ALUR, c’est un droit de l’urbanisme rénové que je vous présente, un régime de planification réformé, simplifié et résolument modernisé.

Les communes et les intercommunalités doivent disposer de l’ingénierie foncière la plus efficace pour répondre aux besoins spécifiques de chaque territoire, ce qui veut dire disposer des moyens qui leur permettront au mieux de concrétiser leurs stratégies de développement et de mettre en oeuvre des projets d’aménagement ambitieux, intégrés.

L’aménagement de notre territoire, notamment sa dimension urbanistique, est en effet un enjeu politique qui se trouve au confluent de la question de la géographie sociale, de la question environnementale, des questions économiques et de la question sociale. L’urbanisme, c’est l’espace vécu, ressenti, parfois subi.

Ces dernières années, par choix ou par renoncement, les ménages se sont essentiellement tournés vers la périphérie des villes. Aujourd’hui, ce sont plus de 80 % de la population et des emplois qui trouvent place dans l’espace périurbain et, nous le savons malheureusement bien, la périurbanisation est synonyme de consommation excessive de nos espaces naturels.

Pourtant, l’urbanisation galopante n’est pas une fatalité. Un autre modèle urbain est indispensable, mais il ne pourra émerger sans un changement d’approche. Tirons les leçons de l’intelligence écologique accumulée depuis de longues années : rien de ce qui détruit indûment des espaces naturels ne saurait être considéré comme durablement profitable à l’intérêt général.

Nos terres naturelles, forestières et agricoles doivent être préservées. Elles sont devenues un bien précieux qui nécessite d’être protégé, un bien commun dont la préservation constitue un devoir républicain à part entière. Il est temps de mettre un terme résolu à l’artificialisation des sols. Nous devons être ambitieux en engageant une mutation de notre habitat au sens large, autrement dit de nos quartiers, de nos villes, de nos territoires.

Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové donne à voir une façon nouvelle de penser, de fabriquer et, au final, d’habiter la ville. C’est une vision à long terme, bien sûr. Le tournant écologique ne se réalisera pas en un jour, mais je prends ma part de cet aggiornamento dans le champ ministériel dont j’ai la charge : la ville durable doit voir le jour et elle le verra.

Elle porte en elle les prémices de la transition énergétique, préalable à une transition écologique plus globale de l’ensemble de nos territoires. Elle dépendra largement de nos stratégies de développement mises en oeuvre à travers les politiques d’aménagement et d’urbanisme et de notre capacité à construire plus tout en construisant mieux, c’est-à-dire là où sont les besoins.

Les documents de planification seront demain plus que jamais essentiels à cette démarche de transition écologique des territoires à laquelle nous travaillons. C’est pourquoi ils doivent gagner en sécurité juridique, en lisibilité, et remplir les objectifs qui leur sont assignés à chaque échelle du territoire.

C’est dans ce sens que sera renforcé le schéma de cohérence territoriale. Il assurera demain l’intégration de l’ensemble des politiques d’aménagement à l’échelle du bassin de vie. Le plan local d’urbanisme traduira les objectifs du SCOT au niveau opérationnel.

Si le SCOT définit des espaces naturels à préserver, le PLU organise leur protection jusqu’à l’échelle la plus fine, celle des parcelles, en classant les espaces boisés, en adaptant le zonage et son dispositif réglementaire, en formulant des orientations d’aménagement et de programmation spécifiques ou encore en organisant la maîtrise de l’étalement urbain par la densification des zones déjà bâties.

Cette organisation spatiale de nos territoires sera d’autant plus pertinente qu’elle aura associé à son élaboration l’ensemble des communes à l’échelle intercommunale. Je tiens à saluer le travail de conviction qui a été accompli par la commission des affaires économiques au mois de juillet et qui a permis l’adoption unanime du PLU intercommunal.

Je sais les réticences que suscite encore cette évolution et je m’emploierai à lever les craintes, les doutes et les objections qui demeurent. Mais je suis convaincue de l’opportunité que constitue un tel outil – envisagé dès 1976 – pour nos territoires, qui seront aménagés de manière plus cohérente et plus durable.

L’échelle intercommunale est celle qui permet de considérer la réalité du fonctionnement d’un territoire, la manière dont il est vécu et pratiqué. Nous le savons, les habitants de notre pays ne travaillent plus là où ils vivent ni là où ils se divertissent. Nous devons donc bousculer les pratiques en place pour embrasser la réalité de notre société.

S’il est donc nécessaire que les documents de planification dépassent une échelle communale qui n’est plus vraiment à même de comprendre la manière dont nos concitoyens habitent leur territoire, c’est aussi une chance à saisir pour mettre en oeuvre des politiques plus efficaces.

L’intercommunalité est une échelle pertinente pour coordonner les politiques d’urbanisme, d’habitat et de déplacement dans leur caractère transversal. Elle est aussi celle qui permet la mutualisation des moyens, détail non négligeable dans un contexte où les finances publiques nous imposent d’être économes.

L’intercommunalité comme espace de mutualisation des moyens est aussi le lieu de l’émulation collective, de l’imagination et de l’intelligence communes : celui où les savoir-faire, les ingénieries peuvent se rencontrer.

Enfin, elle représente le meilleur niveau pour que s’exprime une véritable solidarité entre les collectivités.

J’ai parlé de transition écologique des territoires et de lutte contre l’étalement urbain, mais j’ai aussi parlé de crise du logement et de la nécessité qu’elle impose de construire davantage. Nous faisons face aujourd’hui à une crise environnementale et à une urgence sociale. Les réponses à ces enjeux ne sont pas incompatibles. La densité urbaine, qui permet de construire là où les besoins en logements se font sentir sans mobiliser les espaces non urbanisés, devenus rares et précieux, est la solution à cette équation.

Tout le monde est d’accord avec l’objectif, mais la pratique montre qu’on considère toujours les espaces naturels, les champs, les forêts, comme vides, comme des variables d’ajustement de l’urbanisation. En recentrant la construction dans les coeurs de ville par des mesures de densification, nous pourrons répondre à la demande des Français en matière de logement, tout en préservant les ressources naturelles et leur richesse. Il nous faudra, pour cela, démontrer qu’une densité urbaine qui fera des quartiers de demain des espaces plus agréables à vivre et plus solidaires est possible. Pour que la proximité ne soit pas la promiscuité, il faut partir des besoins exprimés par les habitants, anticiper, imaginer de nouveaux usages, conjuguer les formes urbaines et la nature en ville, pour gagner en qualité de vie.

Voilà, entre autres choses, ce que je tenais à vous dire en ouverture de notre discussion qui s’annonce – j’en suis sûre – passionnante. J’en appelle à un débat franc, sans arrière-pensée, sans crainte de la confrontation, mais sans peur du consensus.

Notre pays ne peut pas renoncer face à la crise du logement : c’est à nous, c’est à vous qu’il revient de lui donner les moyens d’affronter la dureté de cette période.

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