Intervention de Marwan Lahoud

Réunion du 16 octobre 2013 à 9h30
Commission des affaires économiques

Marwan Lahoud, président d'EADS France et directeur général délégué du groupe EADS :

Je suis très heureux de me présenter devant vous aujourd'hui et vais évoquer l'actualité récente ainsi que les orientations stratégiques du groupe EADS, élaborées sous la direction de Tom Enders, avec l'implication de Fabrice Brégier chez Airbus, Guillaume Faury chez Eurocopter et moi-même à la stratégie.

Le groupe EADS a connu une croissance exceptionnelle : son chiffre d'affaires a doublé entre 2001 et 2012, passant de 30 à 57 milliards d'euros. Il est important de souligner qu'EADS n'a pas abandonné une stratégie de croissance, car celle-ci se maintient. Toutefois, il faut descendre dans le détail afin de bien comprendre quels en sont les déterminants.

L'emploi du groupe a lui aussi connu une croissance très importante de 30 % au cours de la décennie 2000. Fin 2012, nous comptions 142 000 salariés et 15 000 personnes ont été recrutées sur la seule année 2013. Comme dans l'ensemble de l'industrie aéronautique et spatiale, 90 % de nos effectifs sont situés en Europe. Nos collaborateurs sont en quasi-totalité en France, en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni. Pourtant, nous réalisons 80 % de notre chiffre d'affaires à l'export, en dehors de ces quatre pays. Lorsque nous nous projetons en Chine et aux Amériques, nous développons de l'emploi principalement en Europe de l'Ouest.

Non seulement nous sommes un acteur majeur, mais nous avons aussi l'ambition de tirer l'ensemble de la filière aéronautique française. Je suis moi-même président du Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales). L'aéronautique n'oppose pas les grands groupes et les petites entreprises : nous formons une filière cohérente car nous avons la mémoire de nos débuts. A l'aube du XXème siècle, nous étions tous des start-ups et la structuration des géants du secteur a demandé un siècle.

L'échec de la fusion avec BAE a été amplement commenté mais ne doit pas être regretté. Nous devons désormais regarder devant nous. Nos deux entreprises étaient parvenues à un accord sur la très grande majorité des points en discussion. On dit souvent, dans le monde de la fusion-acquisition, que les trois points les plus difficiles à régler sont le nom de l'entreprise, le nom du dirigeant et la composition de l'équipe de direction. Ces aspects-là avaient fait l'objet d'un accord. Mais nous ne sommes parvenus à emporter l'accord que de deux des trois gouvernements en jeu, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Cette dernière n'avait pas de levier particulier pour s'opposer à la fusion car elle n'était pas actionnaire en propre et ne détenait pas de droits particuliers sur l'entreprise, mais, dans notre secteur, il est nécessaire d'obtenir l'approbation des États pour mener à bien une opération d'une telle ampleur. Une fois l'impossibilité de parvenir à un accord constatée, nous avons décidé de « débrancher » la machine sans plus attendre et de renoncer à la fusion, plutôt que d'attendre un éventuel moment plus favorable.

L'échec de la fusion avec BAE a été l'occasion de lancer deux opérations majeures : une révision de la structure actionnariale du groupe EADS et une revue stratégique.

Les actionnaires privés qui participaient au contrôle de l'entreprise, Daimler et Lagardère, souhaitaient sortir du capital. La structure mise en place en 2000 n'était donc plus viable et nous étions face à un risque de dissolution du pacte d'actionnaire. Cela m'amène à répondre à votre question, M. le président, sur le rôle des États dans la gouvernance de l'entreprise. Nous nous sommes fondés sur un principe simple : l'État a un rôle à jouer non en tant qu'actionnaire mais en tant que puissance publique. Auparavant, le pacte d'actionnaire était négatif : les États avaient la possibilité de s'opposer à une décision, mais n'avaient pas d'influence positive sur la stratégie du groupe. Nous avons souhaité substituer à ce fonctionnement un contrôle à travers des accords de sécurité, afin de préserver les intérêts nationaux de souveraineté.

La revue stratégique a permis de confirmer que la « Vision 2020 » lancée en 2007, qui n'était en réalité qu'un prolongement des plans stratégiques des dernières décennies, c'est-à-dire un plan de croissance tous azimuts, n'était plus possible. Non pas qu'elle n'était pas valable, mais elle n'était pas atteignable et il était de ce fait illusoire de s'y accrocher. La Vision 2020 disait en effet qu'il fallait parvenir à un équilibre entre les activités civiles et militaires du groupe. Or, alors que l'activité civile connaît une croissance exponentielle de 5 % par an, le militaire et le spatial sont en stagnation voire en légère régression. Face à de telles tendances durables et en ayant constaté l'échec de la fusion avec BAE, force est de constater que l'équilibrage entre les deux activités n'était pas possible.

A ce stade de notre analyse, nous nous sommes interrogés sur le futur de l'activité défense et espace du groupe. Ce fut la première conclusion de notre revue stratégique : même si les perspectives de croissance sont faibles, nous avons fait le choix conscient de demeurer un acteur majeur de ce secteur. Nous avons ensuite procédé à une « revue des bataillons » et nous avons fait le constat suivant : non seulement la défense et le spatial est au coeur du groupe, mais le regroupement de toutes les activités militaires et spatiales d'EADS nous place à la première position du secteur en Europe ! Ainsi, les activités défense d'Airbus et Cassidian associées aux activités défense et espace d'Astrium forment une structure qui représente 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 45 000 à 50 000 salariés, dont 99 % en Europe. De par sa taille critique et sa contribution à l'économie européenne, nous avons jugé que cette nouvelle structure avait un rôle décisif à jouer.

Nous nous sommes également interrogés sur le degré d'intégration du groupe EADS. Louis Gallois avait lancé le plan « Power 8 » en 2006 pour conforter la place d'Airbus dans la bataille de l'aéronautique civil face à Boeing et affronter une croissance du marché qui s'annonçait vertigineuse. Le changement de nom constitue une étape supplémentaire. Il est important que, dans un groupe industriel, tous les salariés soient rassemblés sous une même bannière. Deux options se présentaient à nous. La première était de missionner un très compétent cabinet de consultants, qui aurait fait tourner un modèle et nous aurait sorti un nouveau nom, qui aurait pu s'appliquer autant à un avion qu'à un dentifrice. La seconde était de s'appuyer sur une marque qui existait déjà dans le groupe. Le choix d'Airbus, marque la plus puissante, s'imposait. Pour l'anecdote, j'ai exhumé le compte rendu du premier conseil d'administration d'EADS. Alors que le groupe était en cours de formation, Jean-Luc Lagardère avait déjà proposé de l'appeler Airbus.

En conclusion de ce développement sur la stratégie, je voudrais souligner que ce changement de nom, pour aussi médiatique qu'il soit, ne doit pas occulter l'essentiel : EADS a fait le choix de rester un acteur majeur du secteur de la défense et de l'espace.

Enfin, je voudrais évoquer la question de l'innovation et de la recherche. Nous consacrons 20 % de notre chiffre d'affaires en R&D, dont 7 % sont autofinancés, soit 3 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter 3 milliards d'euros en investissements industriels sur nos sites pour soutenir la recherche et la production. Nous n'aurions pas pu parvenir à un tel niveau sans le dispositif du crédit impôt recherche (CIR). Le CIR constitue un atout indéniable pour la compétitivité du territoire français : aucun des trois autres pays dans lesquels nous sommes implantés ne dispose d'un dispositif aussi efficace, pour le groupe et ses sous-traitants. Il constitue une des clés du succès des activités françaises de R&D d'EADS et justifie la priorité donnée à l'installation de ces dernières en France. Ma présence devant vous, Mesdames et Messieurs les députés, est l'occasion de souligner à quel point les choix fiscaux que vous ferez auront des effets secondaires collatéraux très importants sur Airbus et l'ensemble de la profession aéronautique.

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