Intervention de Laurent Marcangeli

Séance en hémicycle du 22 octobre 2013 à 15h00
Loi de finances pour 2014

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Marcangeli, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Vous avez présenté un projet qui est intrinsèquement lié à la garantie des risques professionnels, mais sans, à aucun moment, associer la branche AT-MP à la définition du nouveau mécanisme. Pourtant, qui pouvait croire qu’il n’y aurait aucune incidence sur le travail des ingénieurs-conseils et des contrôleurs de sécurité des CARSAT qui relèvent de la branche AT-MP ?

Auditionnée par la commission des affaires sociales, madame la ministre, vous avez reconnu, pour la première fois et uniquement en réponse à une de mes questions, que le compte de prévention de pénibilité impactera bel et bien la branche : vous avez annoncé un avenant, en 2014, à la prochaine convention d’objectifs et de gestion liant la branche AT-MP à la tutelle qui doit couvrir la période 2014-2017.

Il me semble que cette méthode va compromettre le dialogue social.

Les priorités de la nouvelle COG ont été fixées par les partenaires sociaux dès septembre 2012 : ils attendent depuis un an la définition des moyens de sa mise en oeuvre. Quelques mois après le début de cette COG, ils seraient donc contraints d’en revoir tout l’équilibre ? Ceci est difficile à concevoir. Vous allez briser un lien de confiance avec l’État qui s’était pourtant manifesté avec force dans le vote unanime de la précédente COG, en 2009.

Les partenaires sociaux ont engagé un programme ambitieux et prometteur visant à accroître l’efficacité des mesures de prévention menées par leurs services. Mais, afin de consacrer des effectifs au compte pénibilité, véritable tonneau des Danaïdes, la nouvelle COG pourrait désormais réduire considérablement les moyens humains consacrés à l’objectif de prévention.

Afin de mettre en oeuvre le compte de pénibilité, un projet conçu hors-sol, les caisses se retrouveraient condamnées à ne plus faire que de la gestion de procédures et du contentieux, au détriment de leurs missions de prévention.

Pourtant, poursuivre l’objectif de prévention n’est pas vain. À titre d’exemple, les accidents du travail diminuent depuis dix ans, atteignant le niveau historiquement bas de trente-cinq accidents du travail avec arrêt pour 1 000 salariés. Cette baisse ne peut pas être mise exclusivement sur le compte de la tertiarisation qui est elle-même porteuse de risques dans les secteurs de la logistique, des services aux entreprises ou en raison de la sous-traitance.

Pour des millions de salariés, employés, ouvriers, artisans et techniciens confrontés à des risques de chute ou d’incident sur un équipement professionnel, à des postures pénibles, à des accidents de trajet, la réalité quotidienne du travail, c’est que les actions de la branche permettent de diffuser dans le tissu économique les pratiques de prévention adaptées, en encourageant, par exemple, l’employeur à mieux s’équiper ou à revoir l’organisation du travail.

Si la prévention fonctionne, il faut aller plus loin, c’est-à-dire faire de la réinsertion professionnelle le premier but de l’action de la branche : prévenir la désinsertion professionnelle après un sinistre, c’est la forme la plus noble de la prévention. C’est aussi prévenir le dommage le plus coûteux pour les comptes sociaux et le plus destructeur de la dignité du citoyen. C’est enfin la première et la meilleure forme de réparation.

Dans le cadre de la COG, les partenaires sociaux ont prévu d’expérimenter, en s’inspirant du modèle allemand, un accompagnement précoce et renforcé des salariés atteints d’accidents du travail graves vers des soins adaptés, puis vers l’emploi. Cet effort pourrait porter ses fruits dans de nombreux secteurs dont les intervenants sont mal coordonnés, notamment la médecine du travail et les services d’aide au retour à l’emploi.

Madame la ministre, plutôt que d’écraser la branche AT-MP sous le mécano technocratique du compte de pénibilité, je vous invite à accompagner la branche dans la plus noble des ambitions, léguée au demeurant par les fondateurs de la Sécurité sociale dans la loi du 30 octobre 1946.

Dans l’exposé des motifs de celle-ci, on peut en effet lire ces mots, qui devraient être en permanence présents à l’esprit des responsables publics : « La législation des accidents du travail et des maladies professionnelles […] doit tendre d’abord à prévenir l’accident du travail. Elle doit tendre ensuite, lorsque l’accident ou la maladie est survenu, à restituer à la victime la capacité de travail par des soins appropriés, par une réadaptation fonctionnelle et une rééducation professionnelle, de manière à faire disparaître, dans toute la mesure du possible, les conséquences sociales de l’accident ou de la maladie. La réparation sous forme d’indemnité ou de rente ne doit être considérée que comme subsidiaire, comme un pis-aller lorsqu’il n’est pas possible de faire mieux. »

Mais comment financer cette politique, alors que le Gouvernement réduit encore les marges de manoeuvre de la branche en lui imposant, dans ce projet de loi, une charge indue supplémentaire concernant le financement du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA ?

En effet, en 2001, le législateur a prévu un financement annuel du FIVA, non seulement par un transfert de la branche AT-MP voté chaque année en loi de financement, mais également par une dotation annuelle de l’État en loi de finances. Pourtant, pour la deuxième année consécutive, l’État ne prévoit aucune dotation pour ce fonds, alors que la dotation de la branche AT-MP fait plus que tripler. Il semble au demeurant que le Gouvernement envisage de renouveler l’opération jusqu’à la fin de la législature, ce qui ferait porter à la branche une charge indue de 250 millions d’euros.

Le financement par la branche AT-MP de l’indemnisation rapide et intégrale des dommages effroyables causés par l’amiante est pleinement légitime ; il est considérable puisque l’addition des dépenses au titre des rentes AT-MP au titre du tableau 30 des maladies professionnelles, du financement du FIVA, mais également du financement des préretraites amiante du FCAATA – le fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante –, représente près de 20 % des dépenses de la branche.

Mais cette contribution doit se faire dans la transparence et en confiance. Or l’État manque doublement à sa tâche : d’une part, il décide unilatéralement de ne pas apporter sa contribution annuelle et, d’autre part, le ministère de la défense refuse de rembourser au FIVA les indemnités complémentaires que verse le fonds aux soldats victimes d’une affection liée à l’amiante en raison d’une faute inexcusable de leur employeur : le ministère ne le fait que pour les ouvriers d’État, alors que la jurisprudence du Conseil d’État exige qu’il le fasse pour l’ensemble des agents publics. La dette envers le FIVA atteint 17 millions d’euros.

Mes chers collègues, il me semble d’autant plus inacceptable de réduire les marges de manoeuvre de la branche que le projet de loi de financement accepte de laisser l’excédent modeste de 2013 se réduire en 2014. Pour la première fois depuis 2010, le niveau du solde de la branche ne s’améliore pas d’une année sur l’autre. Pourtant, il faut rembourser, à terme, 2 milliards d’euros de déficits cumulés causés par la crise de 2009 et actuellement portés par l’ACOSS.

Au demeurant, il en va de même concernant le versement de la branche AT-MP à l’assurance maladie pour compenser les coûts occasionnés à la CNAM par la sous-déclaration et la sous-reconnaissance des AT et MP. Et il ne faut pas que le montant voté en loi de financement de la Sécurité sociale devienne, au fil des ans, un expédient de plus pour réduire le déficit de l’assurance maladie.

En respectant le principe selon lequel la branche AT-MP, financée exclusivement par les employeurs, ne devrait supporter que les charges qui lui reviennent, vous éviterez de mettre à mal la légitimité de notre système d’indemnisation forfaitaire, mais automatique, des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui dispense le salarié victime d’un sinistre de la lourdeur du contentieux.

Mes chers collègues, la commission des affaires sociales, par le vote d’un amendement de votre rapporteur, vous a invités à faire un geste supplémentaire visant à garantir la pérennité de la branche. En matière de tarification, de nombreuses réformes, en 2009 et 2010, ont permis de simplifier les procédures pour limiter les recours abusifs des employeurs cherchant à échapper aux effets d’un sinistre sur leurs cotisations et, ainsi, d’améliorer le recouvrement des cotisations. Il convient aujourd’hui de prendre une mesure de justice pour les entreprises auxquelles il arrive parfois que les caisses imputent au compte employeur des taux AT-MP trop élevés. La Cour de cassation, dans son dernier rapport annuel, a proposé d’interrompre le délai de prescription afin que l’entreprise obtienne remboursement de l’ensemble des cotisations acquittées à tort. J’ai présenté un amendement en ce sens, adopté par la commission des affaires sociales. Il me semble qu’un avis favorable du Gouvernement constituera un signal positif tant pour les employeurs que pour les caisses, confrontées à l’explosion des recours conservatoires.

Mes chers collègues, le redressement des comptes et la modernisation en cours de la branche AT-MP, réalisés en confiance avec les partenaires sociaux, peuvent constituer un exemple pour l’ensemble de notre Sécurité sociale. La doyenne de la protection sociale peut redevenir un modèle. Ne l’empêchons pas de continuer à évoluer !

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