Intervention de François-Michel Lambert

Réunion du 22 octobre 2013 à 21h10
Commission élargie : action extérieure de l'État

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois-Michel Lambert, rapporteur spécial :

Monsieur le ministre, en un an, vous avez accompli deux réformes d'ampleur, pas entièrement achevées mais largement engagées : celle de l'aide à la scolarité des enfants français vivant à l'étranger et celle de l'Assemblée des Français de l'étranger.

La première correspond au remplacement de la prise en charge (PEC), très onéreuse et inéquitable, par un système de bourses réformé, plus juste et dont le montant a été augmenté – il le sera à nouveau en 2014 et 2015. Malgré l'expression d'inquiétudes lors de la présentation du projet, il semblerait que le basculement d'un système sur l'autre se soit bien passé : les décisions finales d'attribution ne sont plus prises de manière centralisée à Paris, mais ont été déléguées aux commissions locales des bourses.

La réforme de l'Assemblée des Français de l'étranger vise pour sa part à donner une plus grande représentativité à ses membres. Elle a été largement débattue et adoptée par le Parlement il y a quelques mois. L'élection des membres de cette nouvelle AFE est prévue pour le printemps 2014 et je ne doute pas du bon fonctionnement de cette instance rénovée.

À côté de ces deux réformes, vous avez entamé une évolution peut-être moins visible aux yeux du grand public, mais dont certains observateurs ont souligné « l'ampleur inégalée » : vous avez commencé à rééquilibrer les moyens, financiers mais surtout humains, d'un certain nombre de nos postes, visiblement surdotés pour des raisons historiques, en faveur de postes situés dans les pays émergents. Nous déclarions déjà, l'année dernière, que la diplomatie devait s'adapter aux réalités nouvelles du XXIe siècle. Elle a commencé de le faire et j'ai cru comprendre que la démarche serait poursuivie l'an prochain. Peut-être pourrez-vous nous en dire quelques mots.

Vous avez réussi à entamer ce rééquilibrage tout en conservant la quasi-universalité du réseau diplomatique de la France et en menant les travaux de sécurisation nécessaires des postes les plus exposés – l'une des priorités de votre action.

Troisième point, votre administration a réussi à faire face à la demande croissante de visas, de 8 % par an depuis 2009, alors que les moyens des consulats, eux, ont tendance à diminuer. Pour cela, le réseau consulaire a dû innover : l'instruction des demandes de visas est

le plus souvent externalisée, parfois en coopération avec nos partenaires de l'espace Schengen.

Les premiers résultats sont encourageants. Ainsi, des agences Schengen ont ouvert leurs portes dans des villes où la France ne dispose pas de consulat, comme à Vladivostok, à Shenyang ou à Izmir. Ce sont autant de touristes potentiels qui peuvent être tentés de venir visiter notre pays, avec les retombées économiques que nous savons.

Toutes ces réformes et actions ont été menées avec des moyens financiers et humains malheureusement en diminution constante.

En 2014, les moyens de la diplomatie française seront réduits de 3 % si l'on prend en considération le ministère des affaires étrangères, ou de 0,8 % si l'on considère le seul périmètre de la mission « Action extérieure de l'État ». Les effectifs de la mission diminueront de près de 200 emplois supplémentaires, à l'exception notable du recrutement de vingt-cinq agents qui seront affectés à la délivrance des visas. Le budget de l'action extérieure de l'État participe donc bien à l'effort de maîtrise de la dépense publique, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Néanmoins, des sujets de préoccupation demeurent, sur lesquels je souhaite vous interroger.

Les crédits de fonctionnement des postes sont globalement insuffisants. Ils ont atteint un point d'étiage qui, souvent, ne permet plus l'entretien courant, d'autant que les contrats d'externalisation, qui ont été encouragés, sont imputés sur le fonctionnement. Lorsque des investissements sont réalisés, les contrats d'entretien ne peuvent pas être conclus faute de crédits. Dans tel pays, j'ai rencontré un consul ayant du mal à assurer la révision périodique de son véhicule de fonction, puis un autre ne disposant plus des crédits nécessaires au fonctionnement des portes sécurisées. En matière de fonctionnement, les postes semblent être arrivés au bout des économies réalisables. Que comptez-vous faire ?

Deuxième question : l'entretien du parc immobilier du ministère des affaires étrangères n'est plus assuré de manière satisfaisante dans de nombreux pays, faute de moyens. Dans les cas extrêmes, lorsqu'un bien est trop dégradé, le ministère le vend pour en acquérir ou en louer un autre plus modeste. Quelles instructions donnez-vous à vos services sur ce point ?

Enfin, les agents de droit local (ADL) représentent désormais plus du tiers des emplois de la mission – un peu plus de 5 000 sur un total de 14 500 agents. Chacun s'accorde à reconnaître que le ministère ne pourrait plus fonctionner sans eux. Rémunérés en fonction du marché du travail local, ils coûtent beaucoup moins cher que le personnel expatrié. Mais dans certains pays, le coût de la vie augmente vite et, pour ces personnels, la situation devient parfois difficile. Or les ADL sont qualifiés, polyglottes, et ils comparent avec amertume leurs rémunérations avec celles proposées par les autres ambassades ou par les multinationales. Dans plusieurs postes où je me suis rendu, le thème de leur démotivation n'est plus tabou. Dans tel pays, le SMIC a tant augmenté que les salaires les moins élevés versés aux ADL y sont désormais inférieurs, si bien que certains agents ont dû trouver un second emploi. Envisagez-vous de prendre des mesures pour essayer de maintenir le niveau de vie de ces agents ?

Le rapport de la Cour des comptes sur le réseau consulaire est très positif à l'égard de votre gestion et de celle de nos agents, dont le travail est largement reconnu et que je tiens donc à saluer.

Mme Claudine Schmid, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, sur le programme « Diplomatie culturelle et d'influence ». Monsieur le ministre, je déplore que la diplomatie culturelle et d'influence se développe dans un cadre budgétaire contraint qui se traduit par des économies imposées à l'ensemble des instruments, y compris aux opérateurs. Comment, dans ces conditions, ne pas s'inquiéter pour la poursuite de la politique d'influence de la France et du fait que cette politique, ses ambitions et ses actions sont tributaires de financements extrabudgétaires ?

Le projet annuel de performance pour 2014 indique que la mise en oeuvre de la stratégie d'influence privilégiera des moyens d'intervention capables de mobiliser des cofinancements. Or, dans son rapport concernant le réseau culturel de la France à l'étranger, la Cour des comptes souligne que, dans cette activité complexe de recherche de fonds, le ministère, et en particulier la direction générale de la mondialisation (DGM), n'accompagne pas suffisamment les postes. Selon la Cour, « ce sont les ambassadeurs, les conseillers de coopération et d'action culturelle et leurs collaborateurs qui effectuent le travail de lobbying nécessaire. L'impression prévaut d'une organisation fonctionnant de manière artisanale, sans vision ou stratégie globale et qui ne déploie pas des efforts coordonnés en vue de développer les cofinancements de façon systématique et avec des instruments adaptés ». Quel est votre commentaire sur cette appréciation de la Cour des comptes et de quelle manière comptez-vous répondre aux attentes des postes ?

Ma deuxième question concerne l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Le 19 février 2013, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision qu'a prise en 2009 l'AEFE d'instaurer une contribution de 6 %, assise sur les frais de scolarité des établissements en gestion directe et conventionnée, pour compenser partiellement l'intégration dans ses charges de la part patronale de la pension civile des personnels. L'Agence a fait appel du jugement et a également demandé de surseoir à son exécution. Au cas où le jugement du tribunal administratif serait confirmé en appel, quelle somme l'AEFE sera-t-elle appelée à rembourser ? Je n'ai pas trouvé trace d'une provision dans son budget : a-t-elle prévu une réserve de précaution à cet effet ?

Ma troisième question porte également sur l'AEFE dont le budget représente environ 60 % du programme 185. Voudriez-vous nous éclairer sur les propos tenus par Mme Conway en Conseil des ministres le 28 août dernier ? Elle mentionnait, au sujet des offres éducatives, que « des offres supplémentaires seront aussi encouragées pour répondre à une nouvelle demande des familles françaises ou étrangères qui souhaitent scolariser leurs enfants dans les systèmes d'enseignement locaux ». Quelle est votre position sur des écoles privées étrangères qui préparent avec succès les candidats au baccalauréat et qui ont le soutien de nos autorités diplomatiques ? Un label spécifique pourrait-il leur être accordé, qui leur assurerait une reconnaissance pédagogique sans coût pour l'État ?

M. Philippe Baumel, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, sur le programme « Action de la France en Europe et dans le monde » et sur le programme « Français à l'étranger et affaires consulaires ». L'exercice budgétaire pour 2014 sera difficile pour le ministère des affaires étrangères qui devra participer au désendettement de l'État avec une baisse des crédits de 0,7 % et de ses effectifs de plus de 1 %. Cet effort est d'autant plus difficile que le ministère a constamment contribué, depuis une décennie, aux politiques budgétaires en rendant de nombreux emplois : de 2006 à 2013, près de 1 900 emplois y ont été supprimés, soit une baisse de plus de 12 %.

Dans ce contexte, le présent projet de budget est bon car, tout en prenant sa part de l'effort, il conserve la faculté de financer des priorités, en particulier, comme en 2013, le renforcement de la sécurité de nos ambassades, avec des crédits en hausse de 28 %. Je note également un effort significatif pour les bourses scolaires de nos compatriotes à l'étranger. Pour le reste, notre réseau diplomatique parvient, pour le moment, à se réorganiser sans renoncer à son universalité. Il convient de saluer le caractère novateur des réformes engagées pour y parvenir : expérimentation de postes diplomatiques avec des équipes réduites, mutualisation des moyens des différents services dans les grandes capitales étrangères et regroupement des sites, valise « Itinera » qui permet d'avoir des consulats mobiles, simplification, voire dématérialisation de procédures… Seulement, à force de réduire les effectifs, ces mesures ne risquent-elles pas d'atteindre leurs limites et ne devrons-nous pas, à terme, renoncer à une part de notre réseau ?

Il en est de même pour l'immobilier. Depuis quelques années, les cessions financent non seulement les nouvelles acquisitions, mais aussi les travaux d'entretien, ce qui n'est pas normal. Par ailleurs, le programme de cessions du ministère comprend, certes, de nombreux appartements de fonction et terrains divers, mais aussi des biens de prestige pourvus d'une grande valeur patrimoniale ou symbolique. Sur la liste des biens susceptibles d'être cédés, figure toujours la Maison de France à Berlin. Quelles sont les intentions du Gouvernement sur ce cas particulier et, plus généralement, comment tracer une frontière nette entre les biens essentiels, incessibles, et les autres ? Car si la notion de domaine public inaliénable ne s'applique pas à ces biens à l'étranger, il est évident qu'il y a aussi à l'étranger des bâtiments qui constituent des symboles forts de la présence française.

En ce qui concerne les bourses, conformément aux engagements pris, le projet de loi de finances prévoit une hausse de 7,7 % des crédits. Le budget pour 2014 sera celui de la pleine application de la réforme mise en oeuvre depuis la rentrée de septembre dernier. Cette réforme est juste car elle permettra de mieux prendre en compte la réalité des ressources des familles et les différences de coût de la vie entre les pays ; elle conduit à un dispositif plus progressif et à un léger rééquilibrage entre les zones géographiques. Toutefois, cette réforme répond aussi à une volonté, légitime dans le contexte actuel, de mieux contrôler la dépense. Néanmoins, envisagez-vous des adaptations du dispositif ?

Je terminerai par la politique des visas. Je tiens à saluer le volontarisme du Gouvernement et l'engagement commun de tous les ministères concernés – affaires étrangères, enseignement supérieur et recherche, intérieur – pour un changement de cap dans ce domaine. Nous avons rompu avec le temps de la circulaire Guéant et une politique purement méfiante et restrictive. L'ouverture aux talents étrangers est une nécessité pour l'internationalisation de nos entreprises et de nos universités et, plus généralement, pour le rayonnement de notre pays. Des mesures très intéressantes sont déjà en oeuvre comme la délivrance d'un plus grand nombre de visas de circulation permettant des entrées multiples.

Je poserai deux questions sur deux points problématiques. Le premier est celui de l'hétérogénéité des taux de refus de visas. En 2012, moins de 10 % de toutes les demandes de visa adressées à la France ont été refusées, mais ce taux dépasse 20 %, voire 30 à 40 % en Algérie et dans de nombreux pays francophones d'Afrique subsaharienne. Je mesure les risques migratoires, mais nous avons des liens privilégiés avec ces pays où la jeunesse aime la France et veut souvent venir y étudier. Or les refus très fréquents de visa y sont mal vécus. Considérez-vous que cela appelle une analyse particulière des situations, afin de mesurer si ces taux sont réellement inévitables ?

Le second point concerne l'entrée des étudiants étrangers. En quelques années, la France est passée de la troisième à la cinquième position mondiale pour l'accueil d'étudiants étrangers, et de grands pays, comme l'Allemagne ou les États-Unis, se livrent une véritable concurrence pour libéraliser leurs règles d'entrée des étudiants étrangers afin d'attirer les meilleurs. Cette situation doit nous interpeller, car ce ne sont pas des pays que l'on peut considérer comme laxistes en matière d'immigration. Nous allons prochainement examiner le projet de loi sur l'immigration et l'asile : plaiderez-vous pour qu'il comporte des mesures fortes pour faciliter l'entrée des étudiants étrangers ? Ensuite, la procédure de délivrance des visas étudiants est parfois critiquée pour deux raisons : les refus ne sont pas motivés et le rôle de Campus France, point de passage obligé et chargé de donner un avis sur le dossier académique des demandeurs, est contesté. Ne pensez-vous pas que les universités et grandes écoles françaises pourraient avoir une plus grande part, avec la responsabilité qui va avec, dans le recrutement de leurs étudiants étrangers ?

M. François Loncle, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, sur le programme « Diplomatie culturelle et d'influence ». Le contexte de ce budget est triple. Tout d'abord, le déclin des crédits de l'action culturelle extérieure de la France remonte à 1994, à l'exception de deux années alors que Lionel Jospin était Premier ministre. Aux termes du programme triennal d'économies budgétaires, les crédits ont baissé de 7 % en 2013, ils diminueront de 4 % en 2014 et de 4 % également en 2015. Ensuite, nous menons un travail commun avec la Cour des comptes qui a procédé à une évaluation fort intéressante et plutôt positive du réseau culturel de la France à l'étranger, évaluation sur laquelle nous donnerons un avis dans quelques semaines. Enfin, à la suite de la réforme de 2010 expérimentée dans douze pays, il convient de prendre une décision pour savoir si l'on rattache les centres culturels à l'étranger à la maison mère, l'Institut français à Paris.

Le programme 185 a été créé dans l'ambition de regrouper, au sein d'un même programme, les crédits de l'action culturelle extérieure au sens large, inscrits au budget du ministère des affaires étrangères, lequel porte quelque 60 % de ces crédits. Or, même si l'on s'en tient à une définition stricte de l'action culturelle, il demeure difficile de suivre les crédits qui y sont consacrés car certains relèvent du programme 209, « Aide publique au développement ». C'est le cas des actions bilatérales en matière de francophonie, même si je comprends qu'elles s'inscrivent également dans le cadre des objectifs du programme Objectifs du millénaire pour le développement, mais aussi des effectifs du réseau culturel qui continuent à relever d'une logique géographique et non pas thématique. Quelles améliorations vous semble-t-il possible d'apporter pour clarifier cette situation ?

Ensuite, notre dispositif d'action culturelle extérieure au sens large est en restructuration permanente, avec réussite grâce aux personnels à Paris et dans le réseau. Il est donc chaque année difficile de porter une appréciation sur les crédits ouverts lorsque l'on s'interroge sur la manière dont ils seront optimisés – optimisation rendue indispensable par leur diminution continue. Le temps est venu des dernières décisions et de la stabilisation, car la réforme aura été efficace mais aussi déstabilisatrice. L'année 2014 sera donc décisive.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, ce qui devrait être décidé sur trois chantiers en cours ? Celui, d'abord, concernant l'expérimentation du rattachement au réseau. Comment envisagez-vous le rôle de l'Institut français à Paris comme instrument au service du réseau si les centres ne lui sont pas rattachés ? Le second chantier concerne l'exercice de la cartographie du réseau, appelée à évoluer. Le troisième point touche à la création de conseils d'influence : vous avez lancé cette excellente idée qu'il fallait rechercher des synergies entre les différentes composantes de ceux qui concourent à l'influence de la France, qu'il s'agisse des questions culturelles, des questions scientifiques ou de la diplomatie économique. La vitrine de la France à l'étranger, ce sont bien les entreprises françaises et la culture, les deux n'étant en rien antinomiques.

Une nouvelle mission prioritaire a été confiée à Campus France : créer et animer un outil de suivi des étudiants boursiers. C'est une initiative de bon sens, attendue depuis des années. Comment la développer ? Quel pourrait être le champ d'investigation de ces étudiants passés par notre enseignement ?

Je m'interroge également sur la diminution des crédits alloués tant aux bourses délivrées aux étudiants étrangers qu'à la diplomatie scientifique. Ces crédits sont des outils de notre rayonnement qu'il ne faudrait pas sacrifier.

Ma dernière question concerne France Expertise Internationale (FEI), qui n'est pas un opérateur au sens de la loi organique relative aux lois de finances. Cet établissement public est monté en puissance de façon remarquable et dispose d'une surface que n'ont pas les autres opérateurs, bénéficiant par ailleurs de subventions et d'emplois. Vous avez décidé de lancer une évaluation : je m'associe à cette démarche, espérant qu'elle permettra véritablement de rationaliser notre dispositif d'expertise et d'accroître notre influence. Il est essentiel de disposer d'un établissement public qui remporte des marchés européens et internationaux et donne une visibilité à l'action de la France, si l'on songe notamment au poids de la participation française dans l'aide multilatérale.

La culture et l'économie participent à égalité de la vitrine de la France à l'étranger.

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