Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 23 octobre 2013 à 16h20
Commission élargie : finances - défense nationale

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Je vous remercie pour ce moment de recueillement commémorant le trentième anniversaire de l'attentat du Drakkar. La cérémonie célébrée à cette occasion à Pamiers – à laquelle j'ai assisté ce matin – a notamment été marquée par les retrouvailles émouvantes de deux soldats présents sur le sommet du Drakkar au moment de l'attentat, qui ne s'étaient jamais revus depuis car ils faisaient partie de deux régiments différents.

Nos dispositifs de soutien destinés aux blessés et aux familles ont beaucoup progressé depuis trente ans ; s'ils ont bénéficié aux vétérans d'Afghanistan et du Mali, ils n'existaient pas encore à l'époque de l'attentat du Drakkar. Nous avons donc décidé de reprendre tous les cas individuels pour les intégrer aux mécanismes d'aide actuels, qui permettent en particulier de prendre en charge les blessures invisibles, nombre de survivants du Drakkar souffrant du syndrome post-traumatique.

M. François Cornut-Gentille, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire pour les crédits relatifs à la préparation de l'avenir. Je laisse à mon collègue Jean Launay le soin de féliciter M. le ministre pour la qualité de ce budget ; l'opposant que je suis émettra au contraire des réserves. En prenant du recul, force est de constater que sur le long terme, quels que soient l'engagement, la sincérité et les intentions des majorités et des ministres de la défense qui se succèdent, la place de la défense dans le PIB est inexorablement érodée. Il faut nous interroger collectivement sur les ressorts de ce mécanisme – très difficile à enrayer – qui affecte particulièrement les crédits du programme 146 dont je suis rapporteur.

Le budget 2014 et l'entrée dans la loi de programmation militaire – LPM – sont conditionnés par la fin de gestion 2013 ; or en 2011 et en 2012, il manquait à chaque fois au programme 146 un milliard d'euros en crédits de paiement. Monsieur le ministre, cette situation va-t-elle perdurer, s'améliorer ou s'empirer ? Où en est-on dans la négociation avec Bercy ?

Si personne ne conteste la nécessité de défendre le budget et de respecter la LPM, plusieurs points de faiblesse doivent nous amener à réfléchir. Ainsi, la diminution des crédits alloués aux opérations extérieures – OPEX – ne peut que nous alarmer, malgré les tentatives de prouver que les 450 millions d'euros seraient suffisants. Alors qu'à l'époque où Michèle Alliot-Marie était ministre de la défense, l'on essayait d'augmenter les crédits des OPEX afin de ne pas être confronté à des difficultés en fin d'année, pourquoi ce recul aujourd'hui ? Les évaluations qu'on nous livre ne semblent pas crédibles et laissent un sentiment de malaise.

Le fait que dès 2014, le budget du programme 146 repose pour une large part sur des ressources extrabudgétaires – investissements d'avenir et recettes exceptionnelles – représente un autre sujet de préoccupation. Au-delà du débat sur le montant de ces ressources et le calendrier prévu, je m'inquiète de la fragilisation du budget qui en résulte. En effet, les recettes extrabudgétaires contrevenant aux règles de la LOLF, elles peuvent donner lieu à des pressions de la part de Bercy, puis de la Cour des comptes. Elles menacent donc, dès 2014, le budget de la défense et notamment le programme 146. Comment sécuriser la procédure budgétaire ?

Enfin, s'agissant du programme 144, l'on ne peut que saluer la volonté d'inverser la tendance en matière d'études amont qui conditionnent l'avenir de nos forces armées. Qu'est-ce qui garantit que ces crédits de paiement seront réellement préservés ? Comment permettre au Parlement d'assurer un suivi et une évaluation dans la transparence des études amont qui représentent un enjeu industriel majeur ? Ne pourrait-on pas articuler ces travaux avec une réflexion extérieure au secteur de la défense ?

M. Jean Launay, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire pour les crédits relatifs au budget opérationnel de la défense. Le budget 2014 de la mission défense consacre le maintien d'un effort financier important de la Nation avec la reconduction de 31,4 milliards d'euros de crédits de paiement – hors pensions –, soit le même niveau qu'en 2012 et 2013, dont 1,76 milliard d'euros de ressources exceptionnelles. Ce haut niveau de financement – 1,5 % du PIB – permet de concilier souveraineté budgétaire et souveraineté stratégique.

Ce budget s'inscrit donc pleinement dans les orientations stratégiques issues du Livre blanc et de la LPM – dont l'Assemblée vient d'être saisie à la suite du Sénat. Ces trois documents sont liés par une logique commune : le Livre blanc a servi de référence à la rédaction de la LPM, tandis que le budget 2014 détaille la première annuité de la période couverte par cette dernière. Je me réjouis donc que l'examen de la LPM débute avant la fin de cette année. En effet, alors que de nombreuses décisions – notamment en matière d'acquisition ou de maintien en condition opérationnelle des équipements – doivent être anticipées un ou deux ans à l'avance, nos armées doivent disposer d'un cadre de référence clair et réaliste pour les années à venir.

Parmi les grandes lignes du budget de la mission pour 2014, les crédits d'équipement progressent de 16 à 16,5 milliards d'euros, pour atteindre ensuite 17,2 milliards en moyenne sur la période couverte par la LPM. Ce niveau considérable, qui permet de ne renoncer à aucun programme majeur, s'accompagne d'une hausse de 5 % des crédits consacrés à l'entretien programmé du matériel, soit 155 millions d'euros supplémentaires par rapport à la loi de finances 2013, reflétant la priorité accordée à l'activité des forces.

Il faut y ajouter l'ouverture de 1,5 milliard d'euros au titre du programme « Excellence technologique des industries de défense », dont la majeure partie profitera au Centre de l'énergie atomique – CEA –, contribuant ainsi au maintien du volet dissuasion de notre outil de défense.

Cependant, si les crédits augmentent, les efforts de rationalisation des effectifs et de réduction des dépenses de fonctionnement continuent. Ainsi, nos forces armées seront amputées de près de 90 millions d'euros en matière de carburant, de transport et de communication. S'agissant des effectifs, les réductions porteront sur 7 881 équivalents temps plein – ETP –, le taux d'encadrement ne devant pas dépasser 16 % à l'horizon 2019. Dans le cadre de ces réductions d'effectifs, les fonctions de soutien et d'encadrement – qui en subiront les deux tiers – seront davantage sollicitées que les unités opérationnelles – qui n'en assumeront qu'un tiers seulement. Si la maîtrise de la masse salariale devient un enjeu majeur, les unités actives sont ainsi préservées autant que possible – preuve de la cohérence du contrat opérationnel fixé à nos armées dans le PLF 2014, et au-delà dans la LPM.

Plusieurs points relatifs au bon fonctionnement de cet édifice méritent pourtant d'être soulevés. En premier lieu, j'ai noté avec inquiétude que la France ne disposait plus que de six frégates de surveillance pour l'ensemble de son espace maritime outre-mer – soit 11 millions de km2. Le programme « Bâtiments de surveillance et d'intervention maritime » – BATSIMAR – ayant été repoussé à la prochaine décennie, il serait souhaitable que la marine puisse bénéficier au plus vite des bâtiments multimissions – B2M –, mais ce dossier semble compromis par des problèmes de financement interministériels. Selon le chef d'état-major de la marine, il s'agirait d'un investissement de quelque 91 millions d'euros. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous en dire plus sur ce sujet essentiel pour la sécurité de nos côtes ?

Dans mon rapport de cette année, j'ai attaché une importance particulière au travail des structures intégrées de soutien : la Structure intégrée de maintien en condition opérationnelle du matériel terrestre – SIMMT –, la Structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense – la SIMMAD – et le Service de soutien de la flotte – SSF. J'ai conclu, comme les chefs d'états-majors, que ces structures devaient garder leur autonomie et leur réactivité et non être intégrées dans un seul organisme piloté par la Direction générale de l'armement – DGA. À l'heure où des décisions doivent être prises rapidement dans ce domaine, quelles sont les orientations déjà retenues ou en passe de l'être ?

Sur un plan strictement financier, je rejoins les préoccupations de François Cornut-Gentille quant à la question des reports de charges constatés sur la mission à la fin de l'année 2013, ainsi qu'à celle des recettes exceptionnelles – 1,8 milliard d'euros pour 2014. Dans le cadre du débat sur le Livre blanc, j'avais déjà posé cette question pour la période de la LPM.

M. Michel Terrot, suppléant M. Guy Teissier, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Je tiens à excuser mon collègue Guy Teissier, rapporteur pour avis des crédits de la défense pour la commission des affaires étrangères ; retenu aujourd'hui, il sera présent mercredi prochain, lors du débat en séance publique.

Alors que l'an passé, le Gouvernement nous avait proposé un budget de transition qui pouvait laisser subsister des doutes quant à son dessein, il est désormais clairement engagé dans une voie qui ne peut satisfaire ceux qui, comme Guy Teissier et moi-même, sont attachés au maintien d'une armée solide et apte à répondre aux aspirations de notre pays. Monsieur le ministre, les réponses apportées aux nouveaux défis sécuritaires sont décevantes ; on prépare les guerres de demain avec des ambitions réduites. La contrainte budgétaire est désormais érigée en horizon stratégique et conduit, une fois de plus, à faire des crédits de la défense une variable d'ajustement. Baisse des effectifs, rétrécissement du format des armées, réduction du contrat opérationnel sont autant de coups portés à un outil militaire qui a fait ses preuves et dont le récent engagement au Mali a montré l'efficacité et le professionnalisme.

La LPM et le projet de budget pour 2014 sont bâtis sur des hypothèses peu crédibles. Je doute, monsieur le ministre, que la trajectoire budgétaire que vous prévoyez soit tenable ; cette fragilité constitue une menace pour nos forces et, à terme, un risque significatif de déclassement pour notre pays. Même si je n'y crois guère, peut-être pourrez-vous me démontrer le contraire ?

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour nos militaires confrontés au risque de fermeture ou de déplacement de leur base ou de leur régiment ? La période est des plus anxiogènes pour les hommes et les femmes qui servent notre défense : comment avoir des projets d'avenir si l'on ne sait pas où l'on sera dans un an ? Vous avez annoncé une première série de restructurations ; quand comptez-vous annoncer les suivantes ? Il faut agir vite, les personnels ont besoin de savoir !

Vous avez décidé de ralentir le rythme des livraisons des Rafale, pariant sur les ventes à l'exportation. Comme tous ici, je souhaite que ce magnifique avion puisse être vendu. Mais si nous échouons – comme cela a malheureusement été le cas, tant de fois, par le passé –, vous devrez négocier avec l'industriel. Au final, l'opération ne se révélera-t-elle pas plus coûteuse ?

Enfin, si nous nous félicitons tous du lancement du programme relatif à l'avion multirôles de ravitaillement en vol et de transport – MRTT –, pourquoi ne prévoit-on que douze appareils seulement, alors qu'ils doivent en remplacer dix-neuf ? Certes, le nouvel avion sera plus moderne, mais il n'aura pas, pour autant, le don d'ubiquité. De plus, maintenir les ravitailleurs actuels jusqu'au début des années 2020 coûtera très cher. Ces avions vétustes sont – osons le mot – dangereux pour les équipages. N'aurait-on pas pu accélérer les livraisons en se contentant, peut-être, dans un premier temps, de quelques exemplaires d'Airbus MRTT de la même version que celle déjà en service dans les forces britanniques ou australiennes ?

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées pour les crédits relatifs à l'environnement et à la prospective de la politique de défense. Monsieur le ministre, comme l'a indiqué notre collègue François Cornut-Gentille, les crédits de prospective de la politique de la défense augmentent, s'élevant à 1,98 milliard d'euros ; 746 millions sont également réservés aux études amont. Ces chiffres globaux – dont on ne peut que se féliciter – préparent l'avenir de notre défense.

Mon rapport apporte un éclairage particulier sur deux questions : celle des drones et celle de la cyberdéfense. Comme on a pu le constater lors du conflit en Afghanistan, les drones constituent un symbole de la désunion de l'Europe et du refus, pendant de très longues années, de s'appuyer sur les technologies pour conforter notre défense nationale. Nous devons maintenant préparer l'avenir. Ayant acheté sur étagères deux Reaper dans le cadre du conflit malien, nous comptons en commander d'autres, de la génération Block 5 dotée d'un nouveau système d'atterrissage et de décollage. Sait-on aujourd'hui s'il sera possible de franciser ou d'européaniser les dix exemplaires à venir ? Quelles demandes ont été faites aux États-Unis en ce sens ? Quel est le prix des deux Reaper Block 1 déjà achetés, et quel sera celui des Block 5 suivants ? À combien évalue-t-on le coût d'une francisation ? Des industriels français se sont-ils portés candidats pour cette mission ? Qu'est-il prévu pour le déploiement des Reaper français au Mali ? Quel est le partage des tâches entre Français et Américains ? En effet, la coopération entre les États-Unis et la France se déroule très bien dans le cadre de ce conflit ; mais à d'autres moments de l'histoire, nous avons pu occuper des positions distinctes, et l'actualité montre que nous pouvons avoir des intérêts divergents.

Existe-t-il aujourd'hui une volonté de construire un drone Moyenne altitude longue endurance – MALE – européen ? Nos interlocuteurs semblent hésiter, rejetant dans un avenir lointain cette option qui nous apparaît primordiale.

En matière de cyberdéfense, les entreprises privées se battent pour les rares spécialistes du domaine. On peut se féliciter de la création et du travail de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information – ANSSI –, mais si l'on ne renforce pas tant la partie défense que la partie civile de l'institution, on risque demain de manquer de personnels. Le 15 octobre dernier, M. Jacques Feytis, directeur des ressources humaines du ministère de la défense, a inquiété notre Commission en suggérant que le « dépyramidage » concernerait la totalité des secteurs. Touchera-t-il la DGA ? Faut-il appliquer ce traitement aux chercheurs qui travaillent à renforcer la sécurité des systèmes informatiques, préparant ainsi l'avenir ?

Le ministère mène-t-il en interne des actions de sensibilisation à la cyber-sécurité ? Le manque de relations entre le secteur civil académique – qui représente 60 % de personnels dans ce domaine – et le secteur de la défense apparaît très préoccupant. Il faut absolument renforcer leur coopération. Si la notion de confidentiel défense est importante, on ne peut que regretter que l'on y classe le nombre de thèses dans ce domaine.

Enfin, je m'oppose aux amendements qui tendent à supprimer des crédits relatifs à l'excellence technologique des industries de défense au profit d'autres secteurs, même si ces derniers doivent également être confortés. En effet, ce domaine me paraît revêtir une importance économique majeure.

M. Alain Marty, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées pour les crédits relatifs au soutien et à la logistique interarmées. Chargé, comme l'an dernier, de l'avis de la commission de la défense sur les crédits consacrés au soutien et à la logistique interarmées, j'ai à nouveau choisi d'approfondir un thème en particulier, en l'occurrence celui des dépenses d'infrastructures.

Les crédits relatifs au périmètre qui me concerne sont globalement stables dans le PLF 2014. L'exercice 2013 avait déjà été présenté comme un budget d'attente ; à cet égard, on note une grande continuité d'une LPM à l'autre. On peut saluer la légère hausse des crédits de fonctionnement des bases de défense, chroniquement sous-dotés. Je crois savoir, monsieur le ministre, que vous comptez annoncer bientôt une dotation supplémentaire pour ce poste ; ce serait une excellente chose.

S'agissant des dépenses d'infrastructure, 2014 sera marquée par une augmentation de près de 10 % des autorisations d'engagement. Si cette hausse est utile, est-elle suffisante face aux défis que nous devons affronter ? En effet, les besoins sont considérables en matière d'accueil des nouveaux matériels, tout comme d'amélioration des conditions de vie de nos militaires.

Quelles décisions avez-vous prises concernant le système Louvois ? Malgré les efforts entrepris depuis 2012 pour le stabiliser, les dysfonctionnements persistent. Comment voyez-vous aujourd'hui son avenir ?

Concernant les systèmes d'information, votre ministère poursuit deux projets d'envergure du même type : la création d'un système d'information ressources humaines – SIRH – baptisé Source, et celle d'un logiciel dénommé DAD qui doit devenir le Louvois des pensions et des accidents du travail. Or dès aujourd'hui, 45 000 dossiers de pensions sont en attente à la sous-direction des pensions de La Rochelle, qui subit une restructuration rapide sans que les effectifs nécessaires à la sécurisation du basculement vers DAD aient été créés. Seuls vingt sur les soixante-dix postes nécessaires sont actuellement prévus. Ne risque-t-on pas un « Louvois bis » ? Quelles garanties avez-vous obtenues dans ce domaine ?

S'agissant de la manoeuvre de ressources humaines, essentielle dans la LPM, le secrétaire général pour l'administration, M. Jean-Paul Bodin, nous a expliqué que 14 500 postes devraient être supprimés dans les soutiens. Or ceux-ci ont déjà beaucoup donné et en sont d'ores et déjà – si j'ose dire – « à l'os ». La réforme générale des politiques publiques – RGPP – a pu susciter des désaccords ; mais au moins fournissait-elle une analyse fonctionnelle préalable aux réformes. On n'a guère l'impression que la modernisation de l'action publique – MAP – ait donné lieu à des travaux d'audit aussi précis et aussi rapides. Comment comptez-vous identifier les postes de soutien à supprimer ?

Au cours de l'exécution de la précédente loi de programmation militaire, nous avons été surpris par le coût élevé de l'accompagnement des restructurations – 1,2 milliard d'euros. À ce sujet, je fais miennes les questions posées par Michel Terrot : quand allez-vous fixer les objectifs de déflation et présenter le plan destiné à les atteindre ? Il convient de répondre aux interrogations des personnels afin d'apaiser un climat anxiogène. Les crédits prévus pour financer les restructurations – 150 millions d'euros en crédits de paiement, 225 millions en autorisations d'engagement – vous semblent-ils suffisants ?

Les infrastructures représentent un enjeu important qui a dû faire l'objet d'arbitrages : la prochaine loi de programmation militaire leur consacre en effet un budget de 6,1 milliards d'euros, alors que les analystes de l'état-major et du ministère de la défense évaluaient plutôt à 7 milliards d'euros les crédits nécessaires. Le problème ne concerne pas tant les infrastructures technico-opérationnelles, liées à l'arrivée de nouveaux matériels – même si des tensions demeurent en ce domaine – que les infrastructures liées aux conditions de vie des engagés. Alors qu'il faudrait 184 millions d'euros pour achever l'exécution du plan VIVIEN – valorisation de l'infrastructure vie des engagés –, il n'est prévu d'en engager que 134 ou 135 millions. La future LPM ne permettra donc pas de terminer les travaux nécessaires pour améliorer la qualité de vie de nos soldats.

Par ailleurs, je dois insister sur la nécessité de faire figurer dans la LPM le financement des travaux de maintenance lourde : ils représentent souvent une variable d'ajustement au profit des programmes technico-opérationnels, ce qui peut entraîner d'importantes difficultés.

Monsieur le ministre, je voudrais vous remercier pour votre disponibilité à l'égard de notre commission, et j'attends vos réponses.

M. Joaquim Pueyo, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour les crédits relatifs à la préparation et l'emploi des forces terrestres. L'examen des crédits de l'armée de terre me donne l'occasion – à ce moment charnière entre deux lois de programmation militaire – de faire le bilan de l'exécution de la dernière LPM et d'évoquer les grands équilibres de celle que nous allons bientôt adopter, en me concentrant plus particulièrement sur le renforcement de nos forces spéciales et ses conséquences.

L'armée de terre a connu un exercice 2013 difficile, qui cristallise en quelque sorte les difficultés rencontrées dans l'application de la précédente loi de programmation. Elle représente en effet un point bas pour ce qui concerne les commandes d'équipements et les crédits d'entretien programmé du matériel. C'est aussi une année difficile sur le plan des ressources humaines, puisque le dérapage de la masse salariale observé au cours des années précédentes – mais aussi, il est vrai, l'objectif de dépyramidage des armées – ont nécessité un ajustement rigoureux en matière de recrutement comme d'avancement. C'est surtout l'aboutissement d'une loi de programmation qui a fait porter sur l'armée de terre une part très importante de l'effort demandé aux armées, effort dont les effets ont en outre été largement aggravés par les déboires de Louvois.

Le budget pour 2014 de l'armée de terre, lui, est conforme aux orientations de la prochaine LPM. Il met cette armée sur la voie d'un format resserré, mais cohérent, tout en donnant la priorité à l'activité. Ainsi, l'accent est mis sur la préparation opérationnelle, dont les moyens sont préservés et dont l'organisation a été réformée. De même, 2014 est une année cruciale pour la relance des commandes d'équipements, avec notamment la confirmation du programme Scorpion.

Faute de temps pour présenter ce budget dans le détail, je me concentrerai sur quatre points précis.

Au fil des années, les restrictions budgétaires se sont traduites par des décalages dans les programmes de rénovation des infrastructures, voire par leur annulation pure et simple. Les infrastructures concernées sont consacrées à la vie quotidienne, mais aussi au travail, comme j'ai pu le constater au 2e régiment d'infanterie de marine. Quelles mesures comptez-vous prendre, monsieur le ministre, pour améliorer les conditions de vie de nos soldats dans leurs casernes ?

Lors de chacun de mes déplacements, j'ai été, comme nous tous ici, interpellé par les militaires sur l'application du système Louvois, légitimement qualifiée de scandale par nos collègues Geneviève Gosselin-Fleury et Damien Meslot. Je mesure combien ce problème est difficile à régler définitivement, mais pouvez-vous nous préciser quelles sont les mesures envisagées pour réparer Louvois ou le remplacer, et à quelle échéance ?

En ce qui concerne les matériels, on enregistre de grands progrès. J'ai ainsi pu constater moi-même combien les hommes étaient satisfaits par le véhicule blindé de combat d'infanterie – VBCI – ou par l'équipement Félin – même si, concernant ce dernier, certaines transmissions semblent encore un peu lentes.

Mais les équipements les plus modernes côtoient aujourd'hui des matériels de plus en plus vétustes. Je pense particulièrement à nos véhicules de l'avant blindé – VAB –, à nos P4, à nos AMX10 RC, qui sont à bout de souffle. Et si le programme Scorpion a été maintenu dans son principe et dans sa cohérence, ce dont je me réjouis, on peut malgré tout craindre des risques de rupture capacitaire. Quelles mesures comptez-vous prendre pour les éviter ?

Enfin, en matière de ressources humaines, si des déflations et des restructurations sont prévues, je tiens à souligner que notre dispositif d'aide à la reconversion est pris en compte à la hauteur requise dans votre projet de loi de programmation. Cela étant, il est souhaitable qu'un plan complet et clair soit présenté aux personnels, afin qu'ils soient pleinement informés des réformes en cours et puissent se concentrer sur l'exercice de leur métier.

Telles sont les observations que je souhaitais exprimer sur ce budget. Dans un contexte contraint, il me paraît cohérent, et appelle un avis favorable.

M. Gilbert Le Bris, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées pour les crédits relatif à la préparation et l'emploi des forces maritimes : Marine. Avant tout, je tiens à saluer l'action de l'ensemble de nos forces armées et, notamment, de nos marins, qui font preuve chaque jour, au cours de missions variées et parfois inédites, de leur grand professionnalisme, de leur parfait dévouement et de leur sens extrême du devoir.

Je souhaite également faire part de ma satisfaction quant à l'effort de rattrapage budgétaire consenti en 2014 au profit de nos forces navales. En témoigne la croissance de 7,75 % des autorisations d'engagement et de 3,4 % des crédits de paiement.

Ne nous y trompons pas : il ne s'agit que d'une simple accalmie dans un « grain » budgétaire persistant. Elle n'en demeure pas moins bienvenue, car elle permettra notamment la régénération des matériels et des équipements.

Avec environ 35 000 équivalents temps plein travaillés prévus pour l'an prochain, la marine reste toutefois l'armée la moins dotée en personnels – les forces terrestres et aériennes en comptent beaucoup plus.

En outre, la marine a déjà consenti, par le passé, des efforts majeurs en termes de réduction d'effectifs, efforts qui l'ont sans doute touchée encore plus durement que les autres composantes de nos forces du fait de son dimensionnement en personnels relativement modeste. Or près de 650 ETP seront encore supprimés l'an prochain.

Les efforts ne s'arrêteront d'ailleurs pas là puisque les forces navales auront, naturellement, vocation à participer à la déflation de postes prévue sur la durée d'exécution de la loi de programmation militaire 2014-2019. Je crois savoir que le ministère mène actuellement une analyse fonctionnelle des postes concernés. Quelle sera la contribution de la marine à ces déflations ? La diminution sera-t-elle appliquée de manière homothétique sur toutes les armées, ou sera-t-elle adaptée – ce que je souhaite – en fonction du dimensionnement de chacune d'elle ? Il ne faut pas oublier que les forces navales font face à des problématiques très spécifiques en matière de gestion des ressources humaines, avec l'existence de « micropopulations » très spécialisées. Je pense par exemple aux spécialistes du nucléaire, en matière de propulsion ou d'armement, ou aux personnels d'appontage sur porte-avions.

Les capacités opérationnelles devraient être relativement préservées de cette déflation, ce dont il convient de se réjouir. Toutefois, il faut rester conscient du fait que l'opérationnel reste fortement dépendant du soutien. Il ne faudrait donc pas solliciter à l'excès le second au risque d'entamer le premier par ricochet.

Ma deuxième série de questions concerne les forces de souveraineté, sujet d'inquiétude pour moi et, je le crois, pour de nombreux marins. Au passage, je rappelle que je suis, d'une façon générale, partisan d'un prépositionnement des forces.

Déployées dans les départements et collectivités d'outre-mer, les forces de souveraineté remplissent, à l'exception de la dissuasion, tout le spectre des fonctions stratégiques : elles assurent la protection du territoire français et des intérêts de la France, et contribuent au maintien de sa souveraineté dans sa zone économique exclusive ; elles soutiennent l'action de l'État dans les départements et collectivités d'outre-mer ; elles constituent également, comme on l'a encore vu récemment, des points d'appui précieux pour lancer ou conduire des opérations éloignées de la métropole.

Or je crains que l'allégement du dispositif, engagé depuis plusieurs années, ne fragilise la capacité de la France à préserver sa souveraineté sur les espaces en sa possession. La loi de programmation militaire prévoit certes la livraison de deux patrouilleurs à faible tirant d'eau spécifiquement adaptés à la Guyane, mais cela reste insuffisant.

Monsieur le ministre, quel est votre sentiment à ce sujet ? Partagez-vous mes inquiétudes et celles de Jean Launay ? Comment pourrait-on les apaiser tout en tenant compte des contraintes budgétaires qui s'imposent à nous ? En particulier, quand les blocages relatifs aux BSAH, les bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers – notamment au sujet de leurs modalités d'acquisition –, seront-ils levés ? Le risque est celui d'une rupture capacitaire en cas de retard trop important. Je rappelle que ces bâtiments remplissent des missions essentielles, à l'image de l'accompagnementescorte des sous-marins nucléaires d'attaque lors de la traversée du canal de Suez. De même, les avions de surveillance et d'intervention maritime sont très attendus.

Ma dernière question, qui dépasse l'horizon budgétaire 2014, concerne le maintien en condition opérationnelle du porte-avions Charles de Gaulle, prévu en 2016 ou en 2017. Ce chantier industriel majeur suppose la réalisation en amont d'un certain nombre d'investissements. Le calendrier prévu est-il toujours d'actualité ? Pourriez-vous nous donner des précisions quant à ces investissements et quant à leur coût ? Pour 2014, je crois savoir que 152 millions d'euros seront fléchés vers l'entretien courant et la préparation de ce prochain arrêt technique majeur – ATM. Quelles opérations, quelles acquisitions sont prévues en 2014 pour le préparer ?

M. Serge Grouard, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées pour les crédits relatifs à la préparation et l'emploi des forces aériennes : Air. Avant d'en venir à mes questions, je souhaite faire quatre constats en forme d'alarmes.

Tout d'abord, nous sommes sur la voie d'un déclassement stratégique – même si le processus a commencé bien avant vous, il y a environ vingt-cinq ans. Ainsi, alors que dans les années 80 l'effort de défense représentait 3 % du PIB, il n'atteint aujourd'hui que 1,5 %. L'armée de l'air a connu une réduction dans les mêmes proportions de ses crédits.

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