Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Réunion du 24 octobre 2013 à 9h35
Commission élargie : justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec :

, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République pour les crédits relatifs à la justice administrative et judiciaire. Dans le PLF 2014, les crédits de la justice administrative et judiciaire progressent de 1,7 %, après avoir crû de 4,3 % l'année dernière. Il s'agit donc d'un processus d'augmentation, même s'il prend place dans l'encadrement budgétaire conduit par le Gouvernement.

L'effort le plus important concerne les effectifs, avec 535 emplois créés ; la ligne budgétaire des frais de justice se retrouve, au contraire, érodée. Les frais de justice sont sinistrés depuis une quinzaine d'années, la dégradation étant accentuée par l'effet des dispositions législatives et par les conséquences des directives européennes. Ainsi, l'obligation – parfaitement légitime – de fournir un traducteur à toute personne placée sous main de justice et qui ne parle pas français est à l'origine d'un processus d'inflation des frais extrêmement important. D'autres dispositions législatives ont pour conséquence d'augmenter considérablement le recours à des prestataires externes – experts, légistes –, mais également aux techniques nouvelles. Le problème est donc devenu récurrent, menaçant de se transformer en une véritable crise institutionnelle si la justice ne pouvait plus faire face à ses obligations. En effet, l'État ne semble pas avoir la capacité financière de répondre aux demandes des magistrats.

En matière de juridiction administrative, aux termes du décret d'août 2013, certains contentieux pourront être examinés par un juge unique, sans intervention du rapporteur public. Cette mesure – qui prend place dans le contexte d'une juridiction saturée – concerne le domaine de la solidarité, notamment le droit au logement opposable (DALO). Ne laisser, comme voie de recours dans ce domaine, que le seul pourvoi en cassation ne favorise pas l'accès des personnes concernées – souvent de condition modeste – à ces procédures.

S'agissant de la gestion prévisionnelle des effectifs, plus de 1 400 magistrats devraient partir en retraite dans les quatre années à venir ; la situation est similaire pour les personnels de catégorie C. Si nous ne prenons pas en compte ces départs, nous irons au-devant de graves difficultés.

Si les personnels de catégorie C ont été sensibles à l'augmentation de leur rémunération, il faut également réviser celle des greffiers, qui stagne depuis près de dix ans.

Des économies restent possibles dans plusieurs domaines. Il faut par exemple améliorer la technique de gestion des frais de justice en réduisant notamment le nombre de mémoires dont la surabondance gêne le fonctionnement de la justice. Les commissariats comme les juridictions doivent pour leur part prendre en compte les conséquences financières des décisions de sollicitation d'avis. Mon rapport fait des propositions sur l'ensemble de ces questions.

Enfin, une source de financement – la taxation des frais de procédure – mériterait d'être revue ; il faudrait notamment réviser l'ordonnance de taxe mise à la charge des personnes condamnées définitivement.

M. Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à l'« Administration pénitentiaire ». Le budget de l'administration pénitentiaire pour 2014 est quasiment stable en matière de crédits, les variations – moins 1,2 % en autorisations d'engagement, plus 1,4 % en crédits de paiement – apparaissant peu significatives après l'effondrement de 38,5 % en autorisations d'engagement l'année dernière. Ce budget prévoit une légère augmentation du plafond d'autorisations d'emploi, représentant 112 équivalents temps plein travaillé (ETPT).

Du fait des redéploiements d'emplois, cette augmentation du plafond doit notamment permettre l'affectation de 300 ETPT – principalement de conseillers d'insertion et de probation – pour la mise en oeuvre du projet de loi relatif à la prévention de la récidive, et de 30 ETPT pour le renforcement de la sécurité des établissements pénitentiaires, avec la création de deux nouvelles brigades cynotechniques.

Pour autant, ce projet de budget ne saurait satisfaire le rapporteur pour avis que je suis, car il ne répond pas au principal problème de nos établissements pénitentiaires, celui de la surpopulation carcérale. Je reste convaincu que la mise en oeuvre du projet de loi sur la récidive, dont les perspectives de discussion parlementaire et d'adoption sont pour le moins lointaines, ne permettra pas de le pallier. L'objectif de 80 000 places de prison qu'avait fixé la loi de programmation pour l'exécution des peines du 27 mars 2012 me semble toujours aussi pertinent ; je déplore l'abandon de cet objectif, et j'émettrai un avis défavorable aux crédits du programme « Administration pénitentiaire ».

Dans le cadre de cet avis budgétaire, je me suis intéressé à la question récurrente de la sécurité des établissements pénitentiaires, revenue sur le devant de la scène au mois d'avril dernier à l'occasion de l'évasion violente survenue à Lille-Sequedin. Je tiens à exprimer ma sympathie et mon soutien aux agents pris en otage lors de cette évasion, ainsi qu'à tous les agents pénitentiaires victimes de violences.

En choisissant ce thème, je me suis fixé comme objectif de formuler des propositions pragmatiques et efficaces pour renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires – objectif qui peut et doit nous rassembler, quel que soit le groupe auquel nous appartenons. Vous pouvez prendre connaissance de mes suggestions à la page 41 du projet d'avis.

J'insisterai ici uniquement sur ce qui constitue aujourd'hui le talon d'Achille des établissements pénitentiaires, à savoir l'introduction d'objets interdits. Les volumes de saisies ont connu une forte progression au cours des dernières années, et les chiffres pour 2012 – détaillés page 24 du rapport – sont édifiants : 20 500 téléphones, 8 750 produits stupéfiants, 705 armes saisis dans nos prisons.

Ces objets, qui menacent tous la sécurité des établissements pénitentiaires – y compris les stupéfiants, car ils génèrent trafics et violences –, y entrent par deux voies : soit par la porte, introduits par des personnes autorisées à y accéder, soit par les airs, par ce que l'on appelle des « projections ». Je me félicite du plan de sécurisation des établissements pénitentiaires annoncé par Mme la ministre en juin 2013, qui prévoit le financement de moyens de lutte contre ces projections : filets anti-projection et renforcement des glacis. Pour ma part, je propose de donner en outre à des agents pénitentiaires la qualité d'agents de police judiciaire, afin qu'ils puissent intervenir en dehors des établissements pour appréhender les auteurs de projections. Aujourd'hui, lorsque des personnes sont repérées aux abords d'une prison en train de lancer des objets par-dessus les murs d'enceinte, les agents de l'administration pénitentiaire ne peuvent qu'appeler la police ou la gendarmerie en espérant qu'elles arrivent assez vite pour les appréhender. Autant dire que cela n'arrive quasiment jamais. La proposition que je formule permettrait de mieux lutter contre les projections, et s'inscrirait dans la dynamique de l'évolution amorcée depuis quelques années, qui consiste à diversifier les missions de l'administration pénitentiaire par des missions exercées « hors les murs », telles que les extractions judiciaires ou la surveillance des unités hospitalières.

Je formule aussi plusieurs propositions pour lutter contre l'introduction d'objets par des personnes entrant dans l'établissement. La question a pris une acuité particulière depuis l'interdiction, par l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, des fouilles systématiques, qui, de l'avis unanime des personnels que j'ai pu rencontrer, a rendu les établissements beaucoup plus vulnérables et mis les personnels en danger. Le principal problème de cette disposition est de n'avoir retenu, pour permettre de procéder à des fouilles, que des critères individuels – la présomption d'une infraction ou le comportement de la personne –, laissant totalement de côté le risque systémique d'introduction d'objets interdits dans certaines situations de la vie en détention, telles que les visites au parloir. L'interdiction des fouilles systématiques met aussi en danger les détenus les plus vulnérables et leurs familles, forcés de jouer le rôle de « mules ».

Pour remédier à ces difficultés, je propose tout d'abord de modifier l'article 57 de la loi pénitentiaire afin de permettre aux agents de procéder à des fouilles systématiques des détenus, soit dans certaines zones, soit à certains moments de la vie en détention qui présentent des risques particuliers d'introduction d'objets interdits.

Ma deuxième proposition consiste à permettre aux équipes cynotechniques de l'administration pénitentiaire de procéder, dans le cadre d'opérations de police judiciaire menées sous l'autorité du parquet, à des contrôles de recherche de stupéfiants et d'explosifs sur les personnes entrant dans les établissements.

Enfin, je suggère de permettre la réalisation, par les agents pénitentiaires, de fouilles par palpation sur les personnes entrant dans les établissements. Ces fouilles – qui consistent seulement en une recherche extérieure et au-dessus des vêtements, par tapotements, d'objets interdits – sont pratiquées quotidiennement par des personnels de sécurité privée dans les aéroports ou à l'entrée des stades et des salles de spectacle. Il s'agit d'un geste peu intrusif, dont chacun comprend la nécessité et auquel chacun est désormais parfaitement accoutumé.

Prévenir en amont l'introduction d'objets interdits compenserait la perte d'efficacité qu'a entraînée l'adoption de l'article 57 interdisant les fouilles systématiques des détenus, et permettrait de renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires. Je pense – et j'espère – que mes propositions pourront recueillir l'approbation de Mme la ministre, car il est de notre responsabilité commune de rechercher ensemble, de façon pragmatique, les moyens d'améliorer la sécurité des personnels, celle des détenus, et la sécurité publique dans son ensemble.

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