Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 24 octobre 2013 à 9h35
Commission élargie : justice

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Avant de répondre aux questions posées, je me dois de rendre plus intelligible le budget de la justice en rappelant ce qui fait sa cohérence et de quelle façon il traduit les priorités définies par le Gouvernement. Le budget pour l'année 2013 était construit selon une logique triennale ; les priorités établies l'an dernier sont donc consolidées, qu'il s'agisse des crédits ou de l'action du ministère sur le terrain.

En 2012, nous avions entrepris de corriger les injustices accumulées au cours des dernières années, et décidé de consentir un effort particulier en faveur de la jeunesse, et donc de la protection judiciaire de la jeunesse. Aujourd'hui, nous en venons à une phase plus qualitative de l'organisation de la PJJ, qui passe notamment par une diversification des réponses en matière d'hébergement, sur le plan éducatif et en termes de sanctions auxquelles peuvent recourir les juges et tribunaux pour enfants.

Dès l'année dernière, nous avions annoncé que nous serions vigilants et actifs au sujet des ressources humaines, qui constituent la force principale du ministère de la justice. Cela ne recouvre pas seulement la question des effectifs, mais aussi celle de l'organisation du travail, des conditions de travail, de la répartition des charges, des méthodes, ainsi que des procédures et formalités qui peuvent pénaliser l'activité des magistrats, greffiers et fonctionnaires.

Cette année encore, nous proposons la possibilité de créer 590 nouveaux postes pour l'ensemble de la justice : 35 pour la justice administrative et 555 pour la justice judiciaire, la protection judiciaire de la jeunesse et l'administration pénitentiaire. Cette augmentation est d'autant plus remarquable que les effectifs de l'État vont être globalement réduits de 3 200 postes en 2014. C'est la marque incontestable d'un maintien de la priorité accordée à la justice par le Président de la République. De même, comme l'ont souligné plusieurs d'entre vous, le budget de la justice augmente de 1,7 %, alors que le budget de l'État enregistre une baisse en valeur.

Le ministère de la justice est peut-être celui qui porte la plus lourde part de l'action réformatrice de l'État. Il suffit de rappeler le nombre de textes qui viennent d'être adoptés, dont l'examen est en cours ou qui vont être examinés par le Parlement : le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines, qui entraîne des conséquences en termes d'effectifs ; le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature ; le projet de loi modifiant les relations entre le garde des sceaux et le parquet, qui n'est pas sans effet sur l'organisation du travail et les relations entre les parquets généraux et la Direction des affaires criminelles et des grâces ; le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ; les projets de loi ordinaire et organique créant le parquet financier, qui conduisent à débloquer des moyens budgétaires spécifiques et à créer de nouveaux postes de magistrat et de greffier.

Nous avons également déposé un projet de loi relatif à la collégialité de l'instruction. En effet, la loi du 5 mars 2007, dont l'entrée en vigueur a déjà été reportée deux fois, prévoyait un principe de collégialité systématique dont l'application aurait eu pour effet d'alourdir l'instruction et de nécessiter la création de 354 postes de magistrat, une charge que nous ne pouvons pas assumer. Une chose est d'ouvrir des postes au concours, une autre est de trouver des magistrats en chair et en os pour les occuper. Je reviendrai d'ailleurs sur les dispositions que nous prenons pour pallier le manque de vocations.

D'autres textes sont susceptibles d'entraîner des effets sur le budget de la justice pour 2014, comme la réforme de l'hospitalisation sous contrainte. Bien que ce projet de loi soit porté par le ministère de la santé et des affaires sociales, il implique la création de postes de juge des libertés et de la détention, mais aussi de greffiers et de fonctionnaires. Il en va de même s'agissant de la réforme de la justice commerciale, ou du texte sur le secret des sources des journalistes.

L'action du Gouvernement se caractérise donc par la continuité, qu'il s'agisse de la création de postes, de la réforme des méthodes et de l'organisation du travail ou de la modification de certaines procédures.

Pour illustrer ce dernier aspect, on peut citer l'exemple des mesures de tutelle. Les tribunaux d'instance étaient engorgés par le nombre de mesures à réviser, et nous nous sommes aperçus, à la mi-2012, qu'il serait impossible de parvenir avant la fin 2013 à une résorption du stock. Nous avons abandonné l'idée de prévoir un délai pour l'application de l'obligation de révision, car cela n'aurait fait qu'augmenter le nombre de mesures restant à réviser. Nous avons donc engagé les moyens nécessaires, en termes d'effectifs et d'organisation du travail, pour éviter que les autres contentieux civils ne soient pénalisés par le traitement du contentieux relatif à la protection des majeurs. Les effectifs sont en place, et nous sommes désormais en mesure de résorber le stock de tutelles à réviser, ce dont il faut rendre grâce aux personnels.

Mais nous avons aussi tiré les enseignements de cette expérience. Pour éviter de faire peser sur les tribunaux d'instance une charge de travail inconsidérée, nous envisageons que le juge puisse autoriser, dans certains cas particuliers – notamment en cas de pathologie lourde et évolutive, lorsqu'une révision au bout de cinq ans ne se justifierait probablement pas –, que la révision de la mesure initiale ait lieu au-delà de ce délai, au plus tard au bout de dix ans.

L'objectif du Gouvernement est donc d'améliorer l'efficacité de la justice, mais aussi de la rendre plus accessible et plus diligente.

La question des délais est évidemment essentielle. Or les effectifs font partie des facteurs qui déterminent la durée des procédures, civiles comme pénales. Alors qu'il nous manque déjà 358 postes de magistrats pour répondre aux besoins, nous allons devoir faire face à 1 400 départs à la retraite pendant la durée du quinquennat. Il aurait donc fallu ouvrir 300 postes par an en moyenne au cours des six dernières années. Or, pendant la législature précédente, entre 80 et 120 postes seulement étaient ouverts chaque année. En 2013, nous avons porté ce nombre à 300, et cette année, nous en ouvrons 420. Malheureusement, 64 de ces postes n'ont pas trouvé preneur.

Nous avons recherché les raisons de la désaffection qui touche la magistrature en dépit de la beauté de ses missions et de la variété des métiers qu'elle propose, aussi bien au parquet qu'au siège. Il ne fait pas de doute que la nature des relations observées ces dernières années entre l'exécutif et la magistrature, ainsi que les mises en cause régulières dont font l'objet les décisions de justice, n'incitent pas les jeunes à se précipiter vers ce type de carrière.

Nous avons donc décidé de rendre la magistrature plus attractive. La campagne de communication que nous avons organisée l'année dernière commence à donner ses fruits, même si, comme on l'a vu, elle reste insuffisante. Nos efforts concernent les trois voies d'accès à l'École nationale de la magistrature : en septembre, nous avons réuni les doyens des facultés de droit pour leur demander d'inciter leurs meilleurs étudiants à passer le concours, mais nous renforçons également les recrutements latéraux, c'est-à-dire externes.

Ayant été beaucoup sollicitée pour autoriser des magistrats à servir dans d'autres organismes, j'ai fait recenser le nombre de professionnels dans cette situation : ils sont environ 250, certains étant hors juridiction depuis plus de dix ans, voire depuis une vingtaine d'années. Pour réduire les délais de jugement et répondre aux besoins en effectifs, nous avons donc entrepris, il y a quelques mois, de les inciter à revenir en juridiction.

En matière d'emplois, l'année 2013 a été essentiellement consacrée à la PJJ, non pour la privilégier, mais pour rompre avec la RGPP, qui avait conduit à la suppression de 8 % de ses effectifs en trois ans, soit plus de 630 emplois en moins entre 2008 et 2012. Nous en avons recréé 205 – essentiellement des éducateurs – de façon que la prise en charge des mineurs ayant affaire à la justice soit assurée dans les cinq ans.

Vous savez, en effet, qu'une prise en charge rapide est indispensable, non seulement pour ne pas donner un sentiment d'impunité à la personne ayant commis un acte répréhensible, mais aussi parce que les statistiques montrent que la réitération a lieu rapidement après le premier acte commis. Une prise en charge rapide permet donc de casser la dynamique qui entraîne les mineurs toujours plus loin dans la délinquance.

Compte tenu de la présentation du projet de loi de prévention de la récidive, nous faisons cette année un effort particulier en faveur des conseils d'insertion et de probation, sur lesquels pèsera l'essentiel du travail d'encadrement, de suivi et de surveillance du respect des obligations et interdictions, qu'il s'agisse de la contrainte pénale, des autres exécutions de peine en milieu ouvert ou du dispositif conduisant à l'examen de la situation d'un détenu aux deux tiers de l'exécution de sa peine.

Nous allons donc créer un millier d'emplois sur les trois ans à venir pour le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) : 400 dès 2014, puis 300 par an en 2015 et 2016. En outre, nous travaillons sur la diversification du recrutement, les méthodes de travail, les outils de prise en charge et d'encadrement, les référentiels métier. J'ai installé la semaine dernière un groupe de travail sur les SPIP. Nous réorganisons également ce corps à l'intérieur de l'administration pénitentiaire.

Sur le plan immobilier, 1 097 places en prison vont être livrées en 2014. Je rappelle que nous avons pris l'engagement de faire passer le nombre de places disponibles de 57 000 à 63 500, soit 6 500 en plus. J'entends bien, monsieur Huyghe, votre désapprobation à l'égard de ce que vous appelez « l'abandon du programme de création de 80 000 places de prison », mais il convient de souligner le caractère fantomatique de ce dernier, qui n'était pas financé.

On peut d'ailleurs faire pire qu'afficher des programmes non financés : lancer des programmes dans le cadre de partenariats public-privé (PPP). Certes, dans ce cas, l'État ne dépense pas un euro dans un premier temps, mais il fait porter sur deux générations le remboursement d'investissements qui auront triplé, voire quintuplé. C'est un choix que ce gouvernement ne fait pas : tout ce qu'il annonce est financé, dont la création de ces 6 500 places supplémentaires. Sans doute aurait-il fallu livrer de nouvelles places de prison dès le mois de juin 2012. Mais il faut tout de même prendre le temps de mener des études, de lancer des appels d'offres et de construire les bâtiments !

Dès cette année, nous avons procédé à d'importantes rénovations, comme à la prison des Baumettes – une centaine de cellules ont été entièrement refaites – ou à Fleury-Mérogis. Une tripale de 700 cellules va par ailleurs être livrée le 31 octobre. Le travail se poursuit donc à un rythme soutenu. En tout état de cause, dans la mesure où la politique pénale vient en amont de la politique carcérale, vous pouvez difficilement vous dire surpris par le phénomène de surpopulation carcérale.

Concernant l'aide aux victimes, je vous remercie, madame la rapporteure pour avis, de votre présentation et des éléments d'information que vous avez apportés. Nous menons une politique d'aide aux victimes très active, dynamique et attentionnée, comme en témoigne la progression des crédits qui y sont consacrés, de 25,8 % l'année dernière et de 9 % cette année.

Conformément à l'engagement qui avait été pris devant vous, nous avons ouvert une centaine de bureaux d'aide aux victimes pour la seule année 2013, ce qui porte leur nombre à environ 150. Dès le mois de juin 2012, j'ai confié à l'inspection générale des services judiciaires un audit sur leur ouverture et leur installation. À la suite de ces conclusions, nous avons substitué à la dotation forfaitaire initiale, une dotation modulable afin de proposer une réponse adaptée à chaque situation. Par souci d'efficacité, nous devons pouvoir procéder aux ajustements nécessaires, car les besoins ne sont pas identiques pour tous les bureaux. Pour certains, l'effort doit porter sur l'équipement ; pour d'autres, sur les modalités d'accueil. D'ici à un an, je demanderai une évaluation du fonctionnement de l'ensemble des bureaux. D'ores et déjà, les corrections que nous avons apportées sont de nature à améliorer leur efficacité.

Vous avez évoqué l'expérimentation en matière d'individualisation du suivi des victimes. La France doit transposer avant décembre 2015 une directive européenne établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité. Ses dispositions sont très intéressantes pour les victimes puisqu'elle leur ouvre de nouveaux droits et leur offre une meilleure prise en charge. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de lancer, avant même la transposition, une expérimentation dans quelques tribunaux de grande instance à laquelle 200 000 euros de crédits sont alloués.

La rémunération des greffiers n'a pas été revalorisée depuis dix ans, en dépit de plusieurs projets, et leur intégration dans le nouvel espace statutaire n'a pu aboutir, car celui-ci est contraire à leur statut. L'an dernier, tout en ayant bien conscience de l'injustice de cette situation, j'avais reconnu que nous ne pourrions pas faire d'effort en leur faveur avant 2015. Cette réalité est d'autant plus douloureuse pour moi que je dois constamment la répéter aux greffiers que je rencontre dans les juridictions et qui réclament légitimement un effort statutaire et indiciaire. En revanche, nous travaillons sur leurs conditions de travail. Environ 1000 greffiers sont actuellement en stage à l'École nationale des greffes ou dans les tribunaux, et devraient donc prendre leurs fonctions dans les juridictions d'ici à décembre 2014. Cela permettra d'améliorer la répartition de la charge de travail dans le corps des greffiers en attendant de pouvoir faire l'effort espéré.

Monsieur Le Bouillonnec, pour les agents de catégorie C, nous faisons un geste – modeste, j'en conviens – en accordant une prime de 219 euros nets. Je ne croyais pas, l'année dernière, que ce serait possible : c'est donc une bonne surprise.

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