Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 24 octobre 2013 à 9h35
Commission élargie : justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérald Darmanin :

Le budget constitue un acte politique important, car il permet d'identifier les priorités du Gouvernement et de mettre à l'épreuve la cohérence entre les déclarations politiques et les actes qui en découlent. Force est de constater que la mission « Justice » n'apparaît pas, en termes budgétaires, comme une priorité de la politique gouvernementale, alors même qu'elle relève des missions régaliennes de l'État. Le budget connaît ainsi une quasi-stagnation entre 2013 et 2014, malgré vos belles promesses de campagne. Rien ne laisse donc penser que vous vous apprêtez à faire une réforme ambitieuse de la justice pénale.

En outre, la politique pénale que vous souhaitez mettre en place doit nécessairement s'accompagner de créations de postes. Le projet de budget prévoit la création de 555 postes, mais l'essentiel – soit 432 – en sera affecté aux services pénitentiaires, alors que de nombreux postes de magistrat seront toujours vacants au 1er janvier prochain. Nous avons compris que, cette fois, ce n'était pas la faute de SFR, mais celle de Nicolas Sarkozy.

Sur ce sujet, nous notons la création des 300 postes de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation pour appliquer la réforme pénale que nous attendons en février 2014. Néanmoins, la création de ces 300 postes risque d'être bien insuffisante au regard de la situation actuelle et de vos ambitions.

Alors qu'actuellement un conseiller suit quatre-vingt-onze personnes, l'objectif, selon l'étude d'impact du projet de loi relatif à la prévention de la récidive, est d'atteindre un ratio de quarante personnes par conseiller pour la libération sous contrainte. Cette même étude indique que, « suivant les scénarios envisagés, entre 3 600 et 10 400 personnes seront suivies en libération sous contrainte ». Ce seront donc autant de dossiers supplémentaires pour les conseillers pénitentiaires.

Sur ce sujet, vous ne pouvez d'ailleurs pas nous faire de leçon de morale, car l'ancienne majorité a augmenté les effectifs des services pénitentiaires d'insertion et de probation de 80 % entre 2002 à 2011.

Enfin, il est prévu la création de soixante-dix-huit postes pour renforcer les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse et de vingt-cinq postes de magistrats dédiés à la seule création du futur parquet financier. Cette réforme du parquet financier paraît tout à fait inopportune. Comme à votre habitude, vous réagissez avec excès à une affaire particulière – en l'espèce l'affaire Cahuzac – et en oubliez la vraie priorité : protéger les Français dans leur quotidien.

Vous souhaitez lutter contre l'engorgement des prisons. Mais vous vous attaquez aux conséquences du problème et non à ses causes. C'est bien l'insuffisance du parc immobilier pénitentiaire qui est à l'origine de la surpopulation carcérale, comme l'a d'ailleurs souligné, à plusieurs reprises, le ministre de l'intérieur, Manuel Valls. Dans sa lettre à François Hollande du 25 juillet 2013 sur le projet de réforme pénale que vous portiez, dans le point 2 intitulé « Des désaccords sur le fond », celui-ci écrit : « la surpopulation carcérale s'expliquerait exclusivement par le recours “par défaut” à l'emprisonnement, et par l'effet des peines planchers. […] Nous ne pouvons totalement ignorer la question du dimensionnement du parc immobilier pénitentiaire ».

La comparaison avec nos voisins européens est à cet égard très parlante : en France, on compte 57 235 places de prison, pour plus de 68 500 détenus et 65 millions d'habitants ; au Royaume-Uni, ce chiffre est de 96 200 pour une population identique.

Pour remédier à cette difficulté, nous avions lancé un grand programme immobilier baptisé « 13 200 » sur lequel vous revenez largement.

Le problème ne tient donc pas au nombre de détenus, mais à l'insuffisance de places de prisons, et ce n'est pas la multiplication des peines alternatives à l'incarcération, parfois nécessaires, qui permettra de résoudre ce problème.

De plus, le raisonnement selon lequel la récidive sera limitée par la suppression des peines planchers et la mise en place de la contrainte pénale relève de l'angélisme idéologique et met en péril la sécurité de nos concitoyens. Vous aurez beau doter la mission « Intérieur » d'un budget important et accroître les effectifs de police, si la justice ne met pas en place les réponses pénales adaptées, cela n'aura aucun effet.

Par ailleurs, l'efficacité et la cohérence de la sanction sont d'autant plus grandes que celle-ci est rapide. Or, l'indicateur 3.4 du programme 166 relatif au délai moyen de mise à exécution montre bien que ce dernier ne cesse d'augmenter, qu'il s'agisse des peines de prison ferme ou des peines d'amende.

Enfin, l'aide juridictionnelle est le symbole de l'attitude de votre gouvernement, caractérisée par l'hésitation et l'amateurisme. Depuis que la droite a mis en place un droit de timbre de 35 euros, la gauche n'a cessé de hurler, considérant qu'il s'agissait d'un frein inacceptable pour ester en justice. Nous l'avons encore entendu ce matin. Mme Lemaire ne dénonce pas la hausse de la TVA au 1er janvier mais se félicite de la suppression de ce qu'elle qualifie de « TVA judiciaire ». Pourtant, cette contribution, en vigueur depuis le 1er octobre 2011, sert précisément à financer l'aide juridictionnelle dont bénéficient les plus démunis.

Ainsi, vous aviez promis de supprimer ce droit de timbre dès le PLF pour 2013 avant d'y renoncer, et de reporter la réforme à 2014. Vous allez, semble-t-il, présenter en séance des amendements à l'article 69, parce que Bercy n'a pas pu, ou pas voulu, les étudier avant. Quelle impréparation ! Pouvez-vous, madame la garde des sceaux, nous apporter quelques précisions sur ces amendements ?

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