Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 24 octobre 2013 à 15h00
Commission élargie : recherche et enseignement supérieur

Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Je remercie les rapporteurs pour la précision de leurs questions.

Deux approches du budget se dégagent de ces interventions. La première, monsieur Hetzel, est celle qui avait cours dans le passé, lorsque l'on additionnait le budget de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur (MIRES) aux investissements d'avenir – tous crédits confondus, consomptibles ou non. Pour ma part je me refuse à cette confusion car, même si les deux types de crédits servent la recherche et l'enseignement supérieur, leur nature est différente. Au demeurant, comme l'observait M. Borgel, il serait souhaitable de simplifier l'environnement technocratique dans lequel évoluent nos PME : les acteurs eux-mêmes ont parfois du mal à s'y retrouver. Quoi qu'il en soit, c'est la première fois que l'enveloppe dédiée à la MIRES, si l'on s'en tient à son seul périmètre, dépasse les 26 milliards d'euros. C'est donc bien un budget préservé, et même en hausse, que nous vous proposons d'adopter.

L'exigence de sérieux budgétaire ne nous est pas seulement imposée par la crise : elle tient aussi à l'insuffisance des efforts conduits sous le précédent quinquennat. Il nous faut donc éviter d'obérer l'avenir, tout en veillant à ce que chaque euro investi soit productif sur le plan des connaissances, des échanges, de la visibilité internationale de notre recherche – ce qui passe aussi par l'Europe – et de la compétitivité, en d'autres termes du transfert, qui constitue notre faiblesse historique. L'enseignement supérieur et la recherche invitent par nature à se tourner vers l'avenir, tout comme la question de la dette, dont la charge ne doit plus être le premier budget de l'État. Cette dette, rappelons-le, a augmenté de 650 milliards d'euros au cours du dernier quinquennat.

La loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « LRU », n'a pas institué l'autonomie des universités, puisque celle-ci leur est consubstantielle depuis le haut Moyen-Âge. Cette loi, en revanche, a provoqué une brusque déconcentration des fonds. Les présidents d'université ont été incités à embaucher dans la mesure où le régime des responsabilités et compétences élargies (RCE) leur a été présenté comme offrant tout liberté à cet égard, et ils l'ont fait d'autant plus libéralement qu'on leur a dit – sauf la première année – de ne pas se préoccuper du glissement vieillissement technicité (GVT) et qu'on ne leur a offert aucun soutien pour les aider dans leur gestion. Les nouvelles dispositions, leur affirmait-on, devaient mécaniquement décupler leur budget ; mais n'importe quel établissement, public ou privé, qui verrait ses charges augmenter dans de telles proportions serait évidemment contraint de déposer le bilan. Il n'est donc pas étonnant que la situation se soit dégradée ; c'est, en tout état de cause, celle dont le Gouvernement a hérité, et à laquelle il doit faire face avec responsabilité.

Lorsque l'on examine la présente mission en ayant cela présent à l'esprit, on constate qu'elle a été préservée et qu'elle est une priorité pour le Gouvernement – ce dont certains de mes collègues, qui ont eu, eux, à assumer des réductions de budget, peuvent témoigner.

Les effets de la crise au niveau européen se font également ressentir. La situation du budget dont j'ai la charge est à peu près équivalente à celle que l'on observe dans les pays nordiques, au Royaume-Uni et en Allemagne, et bien plus favorable qu'en Italie ou en Espagne, où l'enseignement supérieur et la recherche subissent des coupes claires de l'ordre de 30 %. Sans doute ce budget ne permet-il pas de remédier à tous les aléas d'une transition mal assurée vers les RCE, mais il constitue une base suffisante pour accompagner les universités, y compris dans le redressement de leurs comptes lorsque c'est nécessaire.

Aujourd'hui, sur plus de cent établissements soumis au régime des responsabilités et compétences élargies, quinze présentent une trésorerie négative et trois seulement sont dans ce cas pour la deuxième année consécutive. La situation s'est donc améliorée par rapport aux dernières années. Cela ne s'est pas fait par magie, mais parce que nos équipes – administration du ministère et cabinet – ont accompagné les universités en les aidant à redresser leurs comptes sur deux, trois ou quatre ans.

Monsieur Mandon, nous sommes bien conscients du problème que pose le glissement vieillesse technicité. Si les organismes de recherche ont toujours intégré cette contrainte dans leur gestion, ce n'était pas le cas des universités, qui ne l'ont pas anticipée lors du passage au régime des RCE, de sorte que la charge atteignait l'an dernier 38 millions d'euros. Grâce à des opérations de fin de gestion, l'État a pu s'acquitter de la moitié de cette somme, soit 18 millions d'euros. Je précise à ce propos que les reliquats de fin de gestion ont permis au total de redistribuer aux universités près de 60 millions d'euros, qui les ont beaucoup aidées.

Nous avons décidé de créer 1 000 postes par an, soit 5 000 pour la durée du quinquennat. L'objectif a été tenu en 2013 et ces premiers mille postes sont fléchés, monsieur Bréhier. Leur répartition par type d'emplois est la suivante : 240 emplois d'enseignants chercheurs, 310 emplois de professeurs agrégés (PRAG) et 450 emplois de personnels ingénieurs, administratifs et techniques, dont a bénéficié le premier cycle universitaire car là est notre priorité – celle de la réussite étudiante.

Par établissements, ils se répartissent comme suit : 871 emplois dans 53 universités, 31 emplois dans douze écoles d'ingénieurs, dix emplois dans cinq instituts d'études politiques en régions, vingt emplois dans l'enseignement supérieur agricole, dix-huit pour le centre universitaire de Mayotte et cinquante dans divers autres établissements.

Par grands domaines, on compte 235 emplois pour l'orientation choisie et accompagnée, en lien avec le secondaire – car on choisira désormais son orientation et son parcours, en toute connaissance de cause, dès les années du lycée –, et 140 emplois pour le numérique. Celui-ci constitue en effet une innovation pédagogique, et non pas une cosmétique destinée à « faire moderne ». Il donne la possibilité d'une démarche plus interactive qui permet à l'étudiant de mieux maîtriser son parcours, avec la réussite pour objectif. Nous avons en effet affaire aujourd'hui à une génération de « digital natives », de jeunes nés avec le numérique et à qui on ne peut plus faire cours comme on le faisait auparavant. La conversion au numérique offre en outre la chance d'un accompagnement plus personnalisé et permet de réduire au maximum, surtout en première année, les cours dans des amphithéâtres surchargés, qui donnent une mauvaise image – et tout à fait injustifiée – d'une université qui assure une qualité de formation et de suivi pédagogique encore trop méconnue. Parmi les autres emplois, 75 sont consacrés à l'innovation pédagogique et 125 à la maîtrise des langues vivantes car, comme l'a montré une étude récente au niveau européen, les jeunes qui maîtrisent plus d'une langue ont 60 % de chances supplémentaires d'améliorer leur employabilité – tel était le sens de l'article 2 et de l'augmentation de 30 % des programmes Erasmus. Ces derniers bénéficieront en priorité aux jeunes issus des filières professionnelles et technologiques, dont on parle si peu et qui accueillent des jeunes issus des milieux les plus modestes et possédant moins que d'autres les codes de l'international. Ce sont ces jeunes que la puissance publique, lorsqu'elle est progressiste, doit aider en priorité. Enfin, 425 emplois serviront l'amélioration du taux d'encadrement des étudiants, car la réussite scolaire repose d'abord sur l'accompagnement par les formateurs et sur la qualité de leur formation.

De ce point de vue, les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), dont on n'a pas encore parlé bien que nous ayons fait le choix de les établir dans les universités, contribueront à mieux former des enseignants pour l'université. Jusqu'à présent, un enseignant dispensant son premier cours à l'université n'était pas formé à la pédagogie, ou l'était trop peu. Il le sera désormais grâce aux ESPE, ce qui le placera, face aux étudiants, dans une situation plus confortable.

Les modalités de répartition n'ont pas été décidées d'une manière centralisée, mais elles ont fait l'objet de discussions avec la Conférence des présidents d'université, notamment pour ce qui concerne les critères d'attribution de ces emplois. Nous avons décidé d'adopter à cet égard un cadre pluriannuel qui permettra aux universités sous-dotées – car c'est là l'un des critères pris en compte, au même titre que le nombre de boursiers et le contenu pédagogique des emplois – de programmer leurs actions, leurs moyens et leur organisation, ce qui leur était précédemment impossible. Cette méthode, qui m'a valu les félicitations de la présidente de l'université de Montpellier III, a été unanimement appréciée en ce qu'elle responsabilisait, face à un État stratège et régulateur, l'ensemble des intervenants, en particulier les présidents d'université – j'emploie le masculin, car il y a encore, à côté de 92 % d'hommes, trop peu de présidentes.

Le nombre d'universités en difficulté diminue donc et je ne veux pas engager un débat qui opposerait la vision de la Cour des comptes, stigmatisant les universités qui disposent de fonds de roulement ou de trésorerie trop importants, et les revendications fondées sur l'idée selon laquelle l'université serait trop pauvre pour progresser. Il est toujours plus facile d'adopter l'une ou l'autre posture que de chercher comme je le fais une position équilibrée pour remettre l'université en mouvement, en accordant une priorité très forte au premier cycle, à la formation des enseignants et, surtout, à l'accompagnement des étudiants et à toutes les aides destinées aux boursiers.

Vous avez bien voulu souligner l'effort consenti dans ce dernier domaine et, de fait, entre 2012 et 2014, les bourses bénéficieront de 459 millions d'euros de crédits, en comptant la budgétisation du dixième mois – qui, à l'exception de quelques crédits relevant du ministère de l'emploi et rapidement repris par ce dernier, n'avait jamais été correctement assurée –, soit 159 millions d'euros nets que mon ministère a dû décaisser lorsque j'ai pris mes fonctions, car je ne voulais par revenir sur cette mesure. Ma méthode est là encore celle de la concertation avec les organisations étudiantes.

Nous avons privilégié les jeunes soumis aux situations les plus précaires ou en rupture familiale, attribuant des aides sociales revalorisées de 17 % à 7 000 d'entre eux, soit 1 000 de plus. Nous avons également créé une septième catégorie de boursiers pour les jeunes les plus en précarité, qui perçoivent aujourd'hui une aide de 4 500 à 5 500 euros sur dix mois. Nous avons aussi aidé, à l'autre bout de la chaîne, en accord avec les mouvements d'étudiants qui nous avaient signalé ces situations, les étudiants en difficulté « cachés » : ceux issus de classes moyennes modestes qui se situent à la limite des critères d'obtention d'une allocation et sont obligés de travailler pendant leurs études – souvent plus de 15 heures par semaine. C'est là en effet une source majeure d'échec et de décrochage, en particulier en première année et, plus largement, dans le premier cycle. Ces jeunes étaient, dans une certaine mesure, les 135 000 pseudo-boursiers dont se prévalaient mes prédécesseurs et qui, s'ils étaient exonérés des droits d'inscription et d'affiliation à la sécurité sociale, ne percevaient aucune aide. Aujourd'hui, 58 000 d'entre eux – soit un nombre un peu supérieur à celui de 55 000 évoqué par M. Mandon – bénéficient d'une allocation de 1 000 euros qui leur permet de ne pas dépasser la durée de travail au-delà de laquelle leur réussite serait compromise. J'ai eu l'assurance du Président de la République et du Premier ministre que cet effort serait prolongé tout au long du quinquennat.

Pour ce qui est, monsieur Claeys, de l'organisation globale que l'État souhaite promouvoir, la constitution de communautés d'universités et d'établissements a précisément pour objet d'établir des contrats de site par académie ou à l'échelle inter-académique, voire au niveau transfrontalier, comme c'est le cas par exemple pour la Franche-Comté et la Bourgogne. Cette démarche permet de définir des stratégies communes sur un territoire, de mutualiser les actions et d'éviter les doublons, moins en vue d'économies que d'une plus grande efficacité.

La simplification offre une autre marge de manoeuvre dont on peut disposer au bénéfice des universités. Ainsi un travail très concerté a permis de ramener le nombre des parcours de licence – professionnelles et générales – de 3 800 à 100 sans appauvrir pour autant l'offre de formation, qui gagne en revanche en clarté tant pour les familles et pour les jeunes eux-mêmes que pour les employeurs. C'est là un élément important pour l'insertion professionnelle des jeunes. Qu'il y ait, comme c'est le cas aujourd'hui, 11 000 parcours de master n'est pas sérieux – les présidents d'université eux-mêmes ne s'y retrouvent pas ! Gardons-nous cependant d'engager un débat manichéen. L'exemple cité par la Cour des comptes d'un master de mathématiques fréquenté par un seul étudiant relève des cas d'école extraordinaires que l'on trouvera toujours, mais il n'est pas moins préjudiciable à la motivation des étudiants qu'une université de sciences humaines et sociales qui connaît des difficultés budgétaires propose 369 parcours de master, dont la moitié attirent moins de quinze étudiants et le quart moins de dix. Il faut opérer des regroupements, sans appauvrir pour autant l'offre de formation et de recherche. Les contrats de site et le dialogue en vue d'une stratégie commune nous permettront progressivement de simplifier et de rendre plus lisibles, plus efficaces et plus stimulantes pour les étudiants ces formations de master qui, depuis le passage au système LMD, se sont progressivement multipliées sans que personne y prenne garde. S'il m'a fallu six mois pour obtenir des chiffres exacts, ce n'est pas seulement parce qu'ils n'avaient pas été demandés auparavant, mais aussi parce que personne n'avait vu venir cette prolifération.

Les préciputs affichent une grande disparité, avec un taux de 12 % pour l'ensemble des investissements d'avenir, de 20 % pour l'Union européenne – voire de 25 % pour certains programmes, comme le nouveau programme « Horizon 2020 » – et de 15 % pour l'Agence nationale de la recherche. Une harmonisation européenne serait souhaitable, mais ne saurait se faire brutalement. J'ai engagé des discussions dans le cadre du deuxième programme des investissements d'avenir en vue de parvenir à une harmonisation progressive, car les frais d'accompagnement sont les mêmes partout. Il ne s'agit pas pour autant de sacrifier les contenus, mais bien au contraire d'assurer un équilibre et de faire en sorte que les projets bénéficient à l'ensemble des laboratoires, afin d'éviter que certains ne bénéficient de programmes spécifiques tandis que d'autres, qui travaillent avec les premiers sans bénéficier de ces programmes, verraient leur situation se dégrader comparativement.

L'opposition entre la recherche sur projets et la recherche libre ou fondamentale est une question qui me tient à coeur mais sur laquelle il convient de ne pas se limiter à un affrontement de postures. Je m'en tiendrai donc aux faits : le quinquennat précédent a été marqué par des appels d'offres frénétiques, dont tous les chercheurs se sont plaints. M. Serge Haroche, lauréat du Prix Nobel, a ainsi mis en garde lors des Assises nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche contre le danger de transformer les chercheurs en agents administratifs obligés d'inventer des « livrables » pour bénéficier de financements annuels alors même qu'ils sont incapables de prédire le résultat d'une recherche par essence exploratoire.

Dans mes précédentes fonctions au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), j'avais déjà observé que tous les pays du monde préservent – sanctuarisent même parfois – leur recherche fondamentale. Nous avons donc demandé à l'ANR que tous les projets disciplinaires fondamentaux fassent l'objet d'une programmation pluriannuelle, afin que la créativité des chercheurs ne se limite pas à concevoir des intitulés d'objectifs plus ou moins crédibles, mais serve bien la seule recherche. Cette position a été approuvée le 12 novembre dernier par le conseil d'administration de l'agence et tous les chercheurs fondamentaux s'en trouvent bien mieux.

L'ANR craignait aussi les conséquences pour la recherche fondamentale du souci d'assurer aux programmes de recherche une visibilité pour tous les citoyens, au-delà des seuls spécialistes, via la définition des dix enjeux sociétaux de notre stratégie nationale de recherche à partir des entrées mêmes du programme européen « Horizon 2020 ». Or ces grands enjeux ne réduisent pas la part de la recherche fondamentale, bien au contraire : 50 % des projets de l'ANR dans ces dix grands domaines pour 2013 en relèvent ou relèvent des projets « blancs ».

En revanche, le transfert des acquis de la recherche vers les entreprises et, plus largement, vers le milieu socioéconomique est insuffisant. C'est la raison pour laquelle j'ai inscrit, au prix de quelque débat, ce sujet dans la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Je l'assume parfaitement, car le transfert, ce sont des emplois, et de tous niveaux : c'est donc aussi une action de solidarité et de progrès. J'ai donc voulu, avec l'aide des régions, accentuer l'effort en faveur des instituts Carnot, de la recherche technologique et des démonstrateurs, qui sont les meilleurs vecteurs de transformation de l'invention de laboratoire en innovation créatrice d'emplois.

Pour ce qui est du budget global de l'ANR, nous sommes revenus à ce que cette agence est capable de réaliser dans l'année. Lorsque j'ai pris mes fonctions, elle disposait en effet d'une trésorerie positive de 600 millions d'euros, ce qui n'est pas normal. En outre, par une sorte de retour du balancier, le constat que la recherche sur projets était insuffisante en France avait conduit à basculer tous les crédits sur les appels à projets. Or, autant que l'économie, la recherche a besoin de constance, de vision de long terme et d'accompagnement des évolutions de manière à rendre celles-ci progressives. Tout ce qui est brutal, tout ce qui déstabilise, lui est préjudiciable. J'ai donc voulu rétablir un juste équilibre, par une diminution de crédits de 73 millions d'euros la première année, dont 60 millions redistribués en crédits récurrents, et de 81 millions d'euros cette année, après quoi le budget sera maintenu. Disposant encore de 300 millions d'euros de trésorerie positive, l'ANR n'est pas en mesure d'exploiter tous les appels à projets qu'elle lance. Sans mettre fin à ceux-ci, nous l'avons ramenée à la mesure de ce qu'elle peut faire.

La frénésie des appels d'offres nationaux s'est soldée par un recul de 5 points de la présence française dans les projets européens. Alors que notre pays est, avec 16,7 % du budget de la recherche européenne, le deuxième contributeur derrière l'Allemagne, il n'en retire qu'une part de 11,4 % des projets. Le taux de réussite des projets français – de 25 % –est pourtant l'un des plus élevés. Nos chercheurs, assaillis par de trop nombreux appels à projets nationaux, ont été moins nombreux à présenter des projets européens. Nous avons donc organisé à leur intention et à celle des organismes de recherche des séances de sensibilisation et un accompagnement destinés à leur permettre d'obtenir un taux de réalisation de projets européens au moins égal à celui de notre contribution.

Il ne s'agit pas seulement là d'une question de financement : les grands projets de recherche se mènent aujourd'hui au niveau européen et nos équipes de recherche, lorsqu'elles en sont leaders – ce qui se produit assez souvent, car la France occupe encore le sixième rang mondial pour le nombre de publications scientifiques –, acquièrent une plus grande visibilité au niveau international. Je citerai à ce propos un seul exemple : le fait que mes prédécesseurs aient interdit – sauf dérogation – la recherche sur les cellules souches embryonnaires, interdisant tout partenariat européen, a fait passer la France de la cinquième à la septième, puis à la dix-septième place dans ce domaine. On voit ainsi à quelle vitesse on peut dégringoler lorsqu'on ne se situe pas dans le cadre d'un partenariat européen qui confère une visibilité internationale. Or ces recherches sont très bénéfiques en termes de partenariats.

J'en viens à l'espace, sujet qui me passionne. Lorsque j'ai pris mes fonctions, rien n'était prêt pour le conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA) qui devait se tenir en novembre 2012 à Naples et j'ai été confrontée à des antagonismes assez violents entre les industriels, notre organisme de recherche, le Centre national d'études spatiales (CNES), l'agence Arianespace, responsable des lanceurs, et nos partenaires allemands – qui constituent avec la France un socle fort parmi les nombreux pays participant à l'ESA.

Mon premier travail a donc consisté à rassembler le « groupe France » et j'ai dû pour cela recevoir en bilatéral des gens qui se rencontraient plus, ou ne s'écoutaient plus quand ils se rencontraient. Il a fallu établir une position commune – celle qu'avait indiquée le Premier ministre François Fillon en 2008, mais qui n'avait pas été approfondie par la suite avec les acteurs économiques, avec les industriels et avec les organismes de recherche, qui avaient alors divergé. Nous nous sommes mis d'accord à grand-peine, après quoi il a fallu convaincre les Allemands, qui étaient partis dans une autre direction et qu'il est difficile de faire changer de cap lorsqu'ils ont arrêté une planification. Nous y sommes parvenus, mais il nous a encore fallu poursuivre notre effort de conviction à Naples pendant deux jours et deux nuits de négociations.

Le plan d'action qui en est issu explique la structure du budget, qui comporte un petit redéploiement des crédits du CNES vers l'ESA. Nous avons en effet fixé plus tôt que prévu la réalisation du nouveau lanceur Ariane 6, car le marché évolue très vite et il nous fallait éviter de voir se réduire brutalement notre présence sur le marché des lanceurs qui placent sur orbite les satellites de météorologie et d'observation de la Terre, auxquels vous tenez à juste titre. Ce redéploiement en faveur du budget de l'ESA a été opéré en plein accord avec le CNES, dont le président m'a adressé une lettre félicitant le Gouvernement d'avoir gagné la bataille du conseil ministériel de Naples.

Nous voulons également maintenir l'effort en faveur de l'observation de la Terre. J'ai, à ce propos, inauguré récemment un équipement technologique dû aux efforts conjoints de l'ESA, d'Astrium et du CNES, et qui permettra de considérables progrès. En effet, le traitement des données relatives à l'environnement, à la pollution, à l'agriculture et à l'anticipation des tempêtes et des désordres climatiques aboutira à caractériser et à anticiper les catastrophes climatiques quatre fois mieux qu'actuellement, et contribuera donc à réduire l'impact économique de celles-ci.

On ignore souvent à quel point ce domaine passionnant est un levier de développement pour l'ensemble de notre industrie, qu'il s'agisse des grands groupes ou des PMI et PME, et se situe à la source de nombreuses innovations technologiques, car tout ce que l'on fait dans ce domaine est conçu pour les conditions extrêmes et bénéficie donc, en conditions dégradées, à de nombreuses branches industrielles et à de nombreux emplois très diversifiés. Le secteur spatial n'est donc nullement un secteur inutile. En outre, il fait rêver les jeunes, suscitant ainsi des vocations scientifiques.

Enfin, je souhaiterais que vous m'aidiez dans le combat que j'ai engagé pour que le statut de docteur soit mieux reconnu dans les grilles salariales des branches professionnelles – ce n'est aujourd'hui le cas que dans deux branches – et pour que les intéressés puissent accéder aux grands corps de l'État par une sorte de « troisième voie ». Ce dernier point fera du reste l'objet d'une troisième réunion de travail la semaine prochaine avec la directrice de l'École nationale d'administration. Le titre de docteur ingénieur est très coté dans l'industrie allemande et il nous faut convaincre ensemble toutes les branches professionnelles d'imiter cet exemple.

Les entreprises ont besoin des doctorants et le fait que les conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) comportent des doctorats en alternance – qui comptent pour 11 % des doctorats – prouve bien que ces jeunes hommes et femmes ne sont pas de purs esprits académiques – ce qui, du reste, n'est déjà pas mal. J'ai continué à aider ces doctorants, gérés par l'Association nationale de la recherche et de la technologie, et j'ai voulu que les PMI-PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) bénéficient de leur apport. De fait, ils y sont désormais, au titre des contrats CIFRE, plus nombreux que dans les grands groupes. Des entreprises qui n'auraient jamais pensé à embaucher des doctorants sont convaincues par la pratique que ceux-ci apportent un plus en matière d'innovation et, plus particulièrement, d'innovations de rupture, qui créent le plus d'emplois et leur ouvrent des marchés supplémentaires. C'est là encore une façon de rapprocher les laboratoires de recherche de l'économie.

Monsieur Reynier, nous sommes loin de votre vision dogmatique selon laquelle la gauche serait moins proche que la droite des entreprises. La question n'est pas de savoir si j'aime ou non les chefs d'entreprise ou les entreprises : nous avons besoin des entreprises pour créer des emplois et il faut pour cela les rapprocher du monde de la recherche. J'ai ainsi lancé dans le cadre de l'ANR le programme LabCom, pour lequel un premier appel d'offres a déjà eu lieu et qui proposera durant deux ans des partenariats entre des laboratoires publics et des PMI-PME.

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