Intervention de Jean-François Lamour

Réunion du 4 novembre 2013 à 21h00
Commission élargie : culture

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-François Lamour :

, rapporteur spécial pour les crédits du programme « Patrimoines ». Cette année encore, les moyens consacrés aux patrimoines témoignent des difficultés budgétaires que rencontre notre pays. Après avoir enregistré une baisse très substantielle en 2013 – les autorisations d'engagement ayant alors diminué de 10 %, et les crédits de paiement, de 5,5 % –, les crédits inscrits au projet de loi finances pour 2014 sont de nouveau en diminution. Ainsi, avec 760,5 millions d'euros, les autorisations d'engagement devraient baisser de 1,2 %, tandis que les crédits de paiement présentent une baisse plus importante encore, de près de 4 %. Ils s'élèveraient ainsi à hauteur de 760,67 millions d'euros, soit près de 9 millions d'euros de moins qu'en 2013.

Si l'on compare l'évolution des crédits du programme « Patrimoines » à ceux des deux autres programmes de la mission « Culture », intitulés « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », on s'aperçoit que le secteur patrimonial supporte pour la deuxième année consécutive une part substantielle de l'effort de maîtrise de la dépense du ministère de la culture, alors même que le programme « Transmission des savoirs » voit ses crédits augmenter d'environ 7 millions d'euros en autorisations d'engagement et 3 millions d'euros en crédits de paiement. Le déséquilibre ainsi créé au détriment du programme « Patrimoines » me semble préjudiciable au rayonnement international de notre pays, à son économie et à la démocratisation de la culture.

J'en viens à présent aux moyens alloués aux opérateurs du programme. Avec 360 millions d'euros en autorisations d'engagement et 356 millions d'euros en crédits de paiement, les crédits de ces derniers représentent presque la moitié des crédits du programme. Comme l'an dernier, le présent projet de loi de finances demande un effort financier important aux opérateurs. En premier lieu, le montant de leurs subventions pour charges de service public devrait connaître une baisse pérenne globale de 6,5 millions d'euros. En outre, est également prévue une nouvelle baisse d'environ 21,6 millions d'euros – que vous qualifiez d'exceptionnelle, madame la ministre. Mais ainsi reconduit, ce prélèvement sur le fonds de roulement des opérateurs n'a plus rien d'exceptionnel !

Au-delà d'une telle observation sémantique, je m'interroge quant à l'adéquation entre les moyens alloués aux opérateurs et la mission de service public qui leur est confiée. Il me semble en effet qu'il s'agit là d'un exercice périlleux, qui, s'il devait perdurer pourrait s'avérer problématique. S'il convient de souligner la capacité d'adaptation dont les opérateurs du programme « Patrimoines » ont su faire preuve, il reste que cette année encore, nombre d'entre eux m'ont fait savoir, lors des auditions préparatoires au projet de loi de finances, que ces mesures de restrictions budgétaires les obligeaient à des arbitrages délicats en termes d'investissement, de développement et de calendrier de travaux, dont l'impact pourrait s'avérer néfaste à moyen terme.

Concernant la redevance d'archéologie préventive, je vous avais fait part l'an dernier de mon scepticisme à l'égard de l'article 63 du projet de loi de finances pour 2013, notamment parce qu'il entérinait le principe d'une dépense supplémentaire reposant sur le contribuable plutôt que de procéder à une réforme du pilotage de cette redevance. L'exercice budgétaire en cours a mis en évidence que cette réforme, discutable dans son principe, était de surcroît très mal préparée : en effet, à ce jour et selon les informations qui m'ont été transmises, il semble que le ministère de la culture n'a perçu aucune recette en provenance du ministère du logement, chargé du recouvrement de cette redevance. Il s'agit donc là d'un véritable fiasco.

En conclusion de cette intervention, je vous poserai quatre questions.

La première concerne les contraintes que doivent subir les opérateurs en même temps que la baisse de leurs dotations. D'une part, certains d'entre eux m'ont alerté sur l'effet d'aubaine que constitue, au profit des sociétés de tourisme, les « tour-opérateurs », la possibilité pour les touristes de visiter gratuitement certains monuments et musées le premier dimanche de chaque mois. Quelles mesures comptez-vous prendre pour éviter les problèmes suscités par ce dispositif, tant en termes de perte de recettes que de gestion des flux de visiteurs ? Certains opérateurs déplorent d'autre part la rigidité de recrutement qu'impose la structure d'emploi de la fonction publique en ce qui concerne les effectifs sous plafond. Un tel manque de souplesse leur semble préjudiciable à leur activité. Est-il envisageable de leur accorder une plus grande liberté de recrutement, de façon à répondre au plus près à leurs besoins ?

Ma deuxième question a trait à la redevance d'archéologie préventive : quand les problèmes techniques liés à son recouvrement seront-ils résolus ? Pourriez-vous nous fournir une évaluation de son rendement ? Correspond-il peu ou prou aux 122 millions d'euros prévus en 2013 ?

Troisièmement, il m'a été indiqué, lors de mes auditions préparatoires, que l'un des objectifs poursuivis par votre ministère consistait à recentrer son action sur les opérateurs de second rang du programme « Patrimoines ». Or, je considère, pour ma part, que notre politique muséale et patrimoniale a au contraire besoin de leaders puissants, attractifs, et disposant d'une capacité d'entraînement suffisante pour en faire profiter les établissements plus petits et moins prestigieux, et, en définitive, tous les acteurs de la culture sur le territoire. Je crains qu'un tel objectif ne se résume en fait qu'à des mesures de saupoudrage, forcément inefficaces. Êtes-vous en mesure de répondre à cette inquiétude ?

Enfin, je n'ai pas souhaité redéposer cette année les amendements visant à supprimer les dépenses fiscales inutiles ou, du moins, peu efficientes du programme « Patrimoines ». Il m'a en effet paru préférable d'attendre l'examen du futur projet de loi relatif au patrimoine, annoncé pour janvier prochain. Pourriez-vous néanmoins nous indiquer dès aujourd'hui si un toilettage des niches fiscales est prévu dans le cadre de ce texte ?

M. Hervé Féron, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour les crédits des programmes « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Dans un contexte budgétaire difficile, l'évolution des crédits en faveur de la création, de la transmission des savoirs et de la démocratisation de la culture est marquée par les priorités établies par votre ministère – au premier rang desquelles figure le programme « Création », qui a pour objet le soutien à la diversité et le renouvellement de l'offre culturelle. En effet, si les crédits de paiement de ce programme diminuent de 3,7 %, ses dépenses d'intervention sont préservées : le niveau des crédits déconcentrés alloués à l'intervention en fonctionnement demeure stable en ce qui concerne l'action « soutien à la création, à la production et à la diffusion du spectacle vivant », et augmente de 4,5 % en ce qui concerne l'action « soutien à la création, à la production, et à la diffusion des arts plastiques ».

Pourriez-vous par ailleurs nous préciser quelles seront les grandes lignes du projet de loi d'orientation pour la création dont la présentation est prévue en 2014 ?

À Marseille, une vente de photographies réalisées par cinq artistes de renom dans le cadre de commandes financées par des fonds publics – vente que vous avez vous-même contestée – a été maintenue pour des raisons financières par l'Agence pour le développement et la valorisation du patrimoine. Les cinq auteurs considèrent pourtant que ces oeuvres relèvent d'une commande publique et qu'à ce titre, elles ne peuvent être vendues à des tiers ne poursuivant pas les objectifs d'intérêt général ayant motivé cette commande. Le projet de loi précité apportera-t-il une solution à ce type de problème ?

Quant à la collection Lambert à Avignon – collection privée unique en France comprenant actuellement plus de 1 200 oeuvres –, elle fait l'objet d'un projet d'extension chez son voisin, l'hôtel particulier de Montfaucon, qui abritait jusqu'à cet été une école d'art. Ce projet, qui doit être terminé avant l'été 2015, a été validé par François Hollande à la suite d'une donation à l'État par Yvon Lambert, de son exceptionnelle collection d'art contemporain. La ville d'Avignon l'a par ailleurs adossé à un second projet de construction d'une nouvelle école d'art. Comment les travaux sur ce projet se déroulent-ils ?

Pourriez-vous nous présenter le plan de soutien aux galeries d'art, au profit duquel un budget de 800 000 euros est prévu dans le cadre du projet de loi de finances ?

S'agissant à présent du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », il est lui aussi marqué par les priorités définies par le ministère, à commencer par celle que vous entendez accorder à la jeunesse. Cette dernière bénéficiera ainsi de 5 millions d'euros supplémentaires dans le cadre du plan national en faveur de l'éducation artistique et culturelle. En outre, sont renforcés les moyens affectés à l'enseignement supérieur culturel, qui forme 35 000 étudiants chaque année. Enfin, les crédits alloués à l'enseignement supérieur augmentent de 7 %.

Je vous invite, madame la ministre, à prendre connaissance de la partie thématique de mon rapport, consacré au « 1 % artistique », c'est-à-dire à l'obligation de consacrer 1 % du coût des constructions publiques à la réalisation d'une oeuvre d'art adossée à celles-ci. Lors de son audition, le Directeur de la création artistique chargé des arts plastiques a évoqué le projet du ministère, d'instauration d'une journée du « 1 % » dans les établissements scolaires. Qu'en est-il concrètement de ce projet ? Plus largement, comment valoriser le « 1% artistique », instrument de soutien à la création artistique et de mise en contact du public avec l'art contemporain dans l'univers quotidien – notamment dans le cadre de l'éducation artistique et culturelle ?

J'évoquerai pour terminer le succès du cinéma français, fruit d'une politique publique ambitieuse, menée notamment grâce au CNC. Ce dernier est en effet chargé de financer les créateurs, de réguler les marchés du cinéma et de l'audiovisuel, et d'entretenir et de valoriser la mémoire du passé. Profondément ancré dans le secteur du cinéma, le centre intervient également dans tous les champs de l'image animée, depuis les oeuvres audiovisuelles jusqu'aux univers interactifs. Or, depuis 2009, le CNC est exclusivement financé grâce au produit de trois taxes qui lui sont directement affectées : la taxe sur les prix des places de cinéma, la taxe sur les éditeurs et les distributeurs de services de télévision et les taxes sur la vente de vidéogramme sous forme physique et de vidéo à la demande. Comme le rappelle le document stratégique de performances du CNC, l'assiette de la taxe sur les services de télévision due par les éditeurs et les distributeurs de services de télévision (TST-D) a été modifiée dans le cadre de la loi de finances pour 2012, compte tenu des pratiques commerciales de certains opérateurs de télécommunication visant à restreindre l'assiette imposable en isolant et en minimisant de façon artificielle la valeur des services audiovisuels dans leurs offres. Le CNC indique ainsi que l'évaluation du produit de la TST-D en 2014 intègre les effets attendus de la réforme de la taxe et son entrée en vigueur effective au 1er janvier 2014 « sous réserve de l'adoption par le Parlement d'une mesure transitoire prévoyant que les acomptes versés par les redevables en 2014 seront calculés sur la base de l'assiette réformée et non sur l'assiette 2013 ». Prévoyez-vous effectivement de proposer une telle mesure transitoire ?

M. Christian Kert, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour les crédits du programme « Patrimoines ». Cette année encore, le programme « Patrimoines » sera marqué par une extrême rigueur budgétaire : de fait, au total, sur les deux premières années de cette législature, les crédits en faveur des patrimoines auront baissé de plus de 13 % ! Si la ministre se félicite tout de même dans ce contexte du maintien des crédits en région, il convient de nuancer un tel constat.

Tout d'abord, parce que le centre des monuments nationaux (CMN), qui bénéficiait d'une fraction du produit de la taxe sur les jeux en ligne à hauteur de 8 millions d'euros, n'en est plus affectataire à compter de cette année. Ne lui sera versée en contrepartie qu'une subvention de 5 millions d'euros. Ce sont donc là 3 millions d'euros de dotations en moins pour le CMN et donc pour le réseau des monuments répartis sur l'ensemble du territoire !

Ensuite, si les crédits consacrés aux monuments historiques appartenant aux communes et aux propriétaires privés augmentent de 5 millions d'euros, à l'inverse, ceux qui sont affectés aux monuments historiques appartenant à l'État diminuent de 13,3 millions d'euros. Or, ces monuments sont eux aussi répartis sur tout le territoire – à commencer par les plus emblématiques d'entre eux, nos cathédrales !

Enfin, si, comme nous venons de le souligner, les crédits d'intervention alloués aux monuments n'appartenant pas à l'État sont en augmentation, il reste que la réforme ayant eu pour fin de confier la maîtrise d'ouvrage des travaux de restauration de ces monuments à leurs propriétaires, alors qu'elle était autrefois assurée par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), est source de nombreuses difficultés. Financement de l'opération, nécessité de sélectionner une équipe de maîtrise d'oeuvre, organisation des appels d'offre, choix des variantes de travaux : la conduite d'un tel projet est si complexe pour le maître d'ouvrage – notamment lorsqu'il s'agit de petites communes – que la consommation des crédits de paiement est difficilement prévisible, tant pour l'État que pour les partenaires publics – régions, départements – cofinançant ces projets. Dans ces conditions, les crédits inscrits en projet de loi de finances pourront-ils être consommés ? Ne risque-t-on pas de se trouver à nouveau confronté à un phénomène de sous-consommation chronique et de reports croissants de ces crédits ?

Deuxième observation : les opérateurs du programme sont lourdement mis à contribution, puisque la diminution de leurs dotations s'échelonne de 1 % pour le musée du Louvre à 16 % pour le musée d'Orsay. J'ai donc deux sujets d'inquiétude.

En premier lieu, contrairement aux engagements auxquels vous aviez souscrit l'an passé, cette année encore, des prélèvements sur fonds de roulement seront opérés. On ne peut que s'émouvoir d'une pratique risquant d'obérer la capacité d'investissement des établissements et, au-delà, de faire passer le niveau des fonds de roulement en deçà du seuil critique de trente jours de fonctionnement. Vous vous en êtes d'ailleurs vous-même émue, madame la ministre, s'agissant du CMN, dans votre réponse aux observations formulées par la Cour des comptes dans son dernier rapport public. Pourriez-vous prendre l'engagement de ne pas reproduire cette pratique l'an prochain ?

En second lieu, la compensation de la gratuité d'accès aux collections en faveur des jeunes diminue d'environ un tiers. Or, d'après les informations transmises par vos services, cette compensation est vouée à disparaître. Je formulerai donc trois remarques à cet égard. Tout d'abord, si, au cours des premières années, la compensation a été « surcalibrée » par rapport à la perte réelle de ressources supportée par les musées, ainsi que l'avait souligné la Cour des comptes, ce trop-perçu a cependant été utilisé pour financer des investissements qui auraient de toute façon dû être réalisés, comme le schéma directeur incendie du Louvre. Il ne me paraît donc pas pertinent d'arguer de cette surcompensation pour justifier la suppression pure et simple, à terme, de la compensation. Ensuite, madame la ministre, la gratuité relève d'une politique de démocratisation culturelle dont vous aviez vous-même souligné la pertinence l'an dernier. Je trouve donc anormal qu'une telle politique de solidarité ne soit pas prise en charge par l'ensemble des contribuables par le biais d'une subvention aux musées. Enfin, vous vous trouvez contrainte de diminuer les dotations accordées aux musées. Une telle baisse peut avoir des vertus, à condition d'avoir pour finalité de les inciter à accroître le niveau de leur ressources propres, notamment dans le cadre de la vente de billets. Cependant, la gratuité d'accès aux musées les en empêche. Vous adressez donc des injonctions contradictoires aux opérateurs du ministère.

Afin de dissiper le malaise ainsi provoqué, pourriez-vous préciser le montant global de la compensation de la gratuité pour 2014 et nous indiquer si cette mesure de gratuité continue à vous apparaître comme une condition certes non suffisante, mais néanmoins nécessaire, de la démocratisation de l'accès aux collections des musées ? Si oui, la compensation me semble devoir être maintenue, ne serait-ce que pour permettre aux musées de disposer des moyens d'accompagner cette gratuité d'accès de mesures indispensables de médiation culturelle.

En conclusion, j'enjoins notre commission à émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 175.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion