Intervention de Marie-Anne Chapdelaine

Réunion du 5 novembre 2013 à 16h20
Commission élargie : immigration, asile et intégration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Anne Chapdelaine :

laine, rapporteure pour avis de la commission des lois, pour l'immigration, l'intégration et l'accès à la nationalité française. Je commencerai par saluer le travail qu'avait effectué l'an dernier, à cette place, Patrick Mennucci ; je me suis d'ailleurs attachée à examiner les suites données à ses propositions.

Mon avis porte pour la plus grande part sur la mobilité des étudiants, enjeu économique, culturel et diplomatique considérable pour notre pays et pour sa place dans le monde. Chacun se souvient que la circulaire du 31 mai 2011, dite « circulaire Guéant », avait considérablement durci les conditions d'accès au marché du travail des étudiants à l'issue de leurs études. Les effets directs de cette circulaire ont été massifs : pendant sa durée d'application, environ quatre demandes de changement de statut sur cinq ont été refusées par la préfecture de police de Paris, alors qu'auparavant la proportion était inverse. Au niveau national, le taux de refus des autorisations de travail demandées dans le cadre d'un changement de statut a plus que doublé, passant de 20 % à 43 %.

Les effets indirects de ce texte ont également été considérables. Le nombre d'étudiants étrangers accueillis par la France a chuté de 10 % en 2012. Notre pays, qui était le premier pays non anglophone pour cet accueil, est passé au cinquième rang mondial, derrière l'Allemagne. La France a donc perdu du terrain et le signal de fermeture au monde envoyé par la circulaire Guéant a durablement dégradé notre image.

Celle-ci devait être restaurée. Un premier signal très positif a été envoyé, immédiatement après l'élection présidentielle, par l'abrogation de cette circulaire. D'autres mesures concrètes ont suivi, notamment avec la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche qui a assoupli les conditions d'accès au marché du travail des étudiants ayant obtenu un master. Pour que la France reste une destination de choix pour les meilleurs étudiants, il convient d'aller plus loin.

Nous devons nous doter d'une politique d'attractivité universitaire et scientifique ambitieuse. À cette fin, grâce aux auditions que j'ai effectuées, j'ai formulé une quinzaine de propositions concrètes, et j'aimerais recueillir votre avis sur certaines d'entre elles, même si elles ne relèvent pas exclusivement de votre ministère.

Il convient tout d'abord de faciliter les démarches de ceux qui souhaitent venir étudier en France. Seriez-vous favorable, par exemple, au rétablissement de la motivation des refus de visas de long séjour « étudiants » et « scientifiques » ? Prévue par la loi dite Chevènement de 1998, elle a été supprimée en 2003 ; or il me paraît indispensable qu'un étudiant qui s'est vu opposer un refus puisse en comprendre les motifs.

Il faut aussi répondre aux difficultés que rencontrent certains étudiants lorsque la validité de leur visa de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) expire au cours de l'été, en particulier lorsqu'ils souhaitent retourner, durant les congés, dans leur pays d'origine. Certaines préfectures délivrent, pour surmonter ces difficultés, des « récépissés d'été », d'une durée de validité maximale de trois mois, mais les pratiques sont très variables d'un département à l'autre. Ne pourrait-on envisager d'allonger la durée de validité maximale des VLS-TS étudiants de quelques mois, afin qu'elle couvre systématiquement la période de réinscription universitaire ? Ce serait une simplification pour les étudiants et allégerait la charge de travail des préfectures.

Il convient aussi de simplifier et d'alléger les formalités que doivent accomplir les étudiants étrangers une fois admis en France. Certains départements ont imaginé des « guichets uniques » qui permettent aux étudiants de déposer leur demande de titre de séjour dans leur université, sans avoir à se déplacer jusqu'à la préfecture. J'ai pu constater à Rennes que ce dispositif fonctionnait bien : son extension me semble donc hautement souhaitable, afin d'assurer à terme une couverture quasi complète des sites universitaires.

Je suis également favorable à une banalisation de la visite médicale obligatoire que doivent actuellement effectuer les étudiants auprès de l'OFII. Ne serait-il en effet pas plus simple qu'elle puisse être effectuée auprès d'un médecin de ville ou des services universitaires de médecine préventive des CROUS ?

Par ailleurs, je souhaite que les titres de séjour pluriannuels soient étendus aux étudiants suivant un cursus de niveau licence, à l'issue de leur première année d'études. Pourriez-vous nous confirmer que cette extension figurera dans le futur projet de loi relatif à l'immigration ?

Je suis enfin convaincue que notre pays doit accompagner et respecter, plus qu'il ne l'a fait ces dernières années, celui qui y construit son avenir avec le nôtre, en apportant la valeur ajoutée de son travail et de son histoire. Il est dès lors essentiel que notre politique d'accueil de l'immigration estudiantine s'accompagne d'un profond changement d'orientation dans les perspectives que nous voulons nous donner en matière d'immigration économique. Il y a en effet un décalage entre l'attractivité et la qualité de notre système de formation et la difficulté pour les entreprises et les jeunes diplômés de concrétiser un dessein professionnel commun.

L'abrogation de la « circulaire Guéant » était un pas dans la bonne direction. Il convient d'aller plus loin, d'abord en supprimant le délai de quatre mois imposé aux étudiants pour déposer leur demande d'autorisation provisoire de séjour, ensuite – et c'est une réforme plus ambitieuse – en supprimant l'opposabilité de la situation de l'emploi pour les étudiants étrangers titulaires d'un master : ce serait une simplification bienvenue, car il n'est guère justifiable, lorsqu'un étudiant a obtenu une promesse d'embauche avant la fin de ses études, de l'obliger à solliciter une autorisation provisoire de séjour, afin de bénéficier du régime favorable procuré par ce dispositif. Il conviendrait également d'assouplir l'accès des scientifiques et chercheurs à une carte de séjour « salarié ».

Notre politique d'accueil, d'immigration et d'intégration nécessite une vaste réflexion, nous en convenons tous. Commençons par en faire à nouveau l'un des vecteurs du rayonnement économique et culturel de la France !

M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l'asile. L'asile est bien sûr au coeur de nos valeurs républicaines et doit être préservé. Pour cela, nous devons réformer profondément notre système de demande d'asile, qui est aujourd'hui à bout de souffle. Tout récemment, les 200 tentes plantées sur une place de Clermont-Ferrand ont montré à quel point nous manquions de places d'hébergement d'urgence et de places en CADA. Je ne reviens pas sur le psychodrame de la reconduite à la frontière de la famille Dibrani ; « l'affaire Leonarda » n'a pas fait honneur à notre pays.

Les demandes d'asile continuent d'augmenter : à la fin de 2013, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) devrait avoir reçu plus de 70 000 demandes, ce qui constitue un record absolu et une hausse prévisible de 11 %, après déjà une hausse de 7 % en 2012. Vous rappellerez certainement, monsieur le ministre, que le nombre de demandeurs d'asile avait déjà fortement crû au cours des années précédentes, mais la situation atteint aujourd'hui un niveau de gravité très préoccupant. Il est faux de penser que nous n'avons pas prise sur cette situation. Ainsi, lorsque l'Arménie a, en 2009, été inscrite sur la liste des pays considérés comme sûrs, les demandes ont chuté de 82 %. En revanche, lorsque le Conseil d'État a rayé de cette liste l'Albanie, le Kosovo et le Bangladesh, les demandes d'asile de ressortissants de ces pays ont augmenté respectivement de 173 %, de 160 % et de 166 %.

Cette hausse des demandes d'asile se traduit par une augmentation du stock d'affaires en instance à l'OFPRA, qui est passé de 24 200 au 1er janvier 2013 à 30 400 au 30 juin 2013, soit une hausse de plus de 25 % en six mois ! Malgré les discours, malgré les annonces, la situation continue de se dégrader. La durée moyenne d'examen d'un dossier est passée de 14 mois et 6 jours en 2012 à probablement 16 mois en 2013. Je note aussi que près de la moitié des protections sont accordées non par l'OFPRA, mais par la Cour nationale du droit d'asile, c'est-à-dire en appel, ce qui constitue une anomalie.

La longueur de ces délais permet un détournement de la procédure à des fins d'immigration économique. Les failles de notre système en font une porte d'entrée dans l'immigration illégale ; il encourage les phénomènes de filière et crée alors un cercle vicieux : les délais longs renforcent l'attractivité de notre système d'asile et donc sa saturation, ce qui allonge encore les délais…

Vous envisagez une réforme du droit d'asile. Envisagez-vous, comme cela a été annoncé, de passer par la voie d'ordonnances ?

Avec cette réforme, la décision de rejet de l'OFPRA, en l'absence de recours, ou de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), en cas de recours et de rejet de ce dernier, vaudra-t-elle automatiquement obligation de quitter le territoire français (OQTF) ? Cela raccourcirait considérablement les délais. Je propose également, comme les trois corps d'inspection, que le demandeur soit tenu de déposer sa demande dans un délai maximal de trois mois à compter de son entrée sur le territoire. J'ai rencontré à l'OFPRA un demandeur d'asile qui était arrivé d'Afghanistan dans notre pays cinq ans avant le dépôt de sa demande !

Ma troisième question concerne les moyens que vous entendez affecter à la réduction des délais. Vous avez recruté dix officiers de protection supplémentaires en 2013, et trente avaient été recrutés en 2011. Vous prévoyez d'en recruter encore dix en 2014 : ce chiffre paraît, au regard des besoins, très insuffisant.

La transposition des récentes directives européennes va rendre la procédure plus complexe encore. Ces questions n'en sont donc que plus urgentes.

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