Intervention de Elisabeth Pochon

Réunion du 5 novembre 2013 à 16h20
Commission élargie : immigration, asile et intégration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaElisabeth Pochon :

Nous examinons ce soir les moyens que l'État entend mettre au service de sa politique d'immigration, d'asile et d'intégration. Si les chiffres des programmes 303 et 104 du budget 2014 traduisent les efforts fournis par la nation en ce domaine, ils nous révèlent surtout quelles priorités politiques le Gouvernement s'est fixées pour assurer un traitement humain des étrangers sur notre territoire.

Cette mission me paraît particulièrement sensible, non seulement parce que sa présentation nous permet d'appréhender quelles conditions d'accueil nous réservons aux migrants, mais aussi parce qu'elle s'inscrit dans un contexte économique, social et politique marqué par une tendance au repli national et par une certaine angoisse de l'avenir – en un mot, dans un contexte défavorable à une approche apaisée de la situation des migrants. Si ces derniers ont quitté leur terre natale et leur famille, c'est tantôt à la recherche d'un avenir meilleur, tantôt pour fuir les persécutions et sauver leur vie. D'autres, déjà installés, aspirent pour leur part à devenir enfin Français. Devant une telle diversité de situations, la France se doit de se maintenir dans le rôle qu'elle a hérité de son histoire mais qui découle également des engagements qu'elle a souscrits dans le cadre des conventions internationales qu'elle a signées.

Sur le traitement des étrangers, la majorité actuelle aspirait à une véritable rupture avec la brutalité dont avait fait preuve l'ancienne majorité en dévissant le bouchon du flacon d'un poison politique qu'il est aisé d'agiter en période de crise mais bien difficile de refermer ensuite, de sorte que ses effluves continuent à nous poursuivre. C'est pourquoi nous saluons les décisions fortes que vous avez déjà prises en la matière, monsieur le ministre, qu'il s'agisse de l'abandon de la politique du chiffre pour le chiffre dans l'éloignement des étrangers, de l'abrogation de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers, de l'interdiction de placer les enfants en centre de rétention, ou encore de la signature d'une circulaire définissant des critères de régularisation transparents.

Si la mission budgétaire que nous examinons ce soir porte sur à la fois sur l'asile, sur l'immigration et sur la naturalisation, je me limiterai ici au premier sujet et, plus particulièrement, à la question des délais de traitement des demandes d'asile dont la longueur actuelle a des conséquences négatives en cascade sur l'hébergement et sur l'accompagnement des personnes concernées, sans parler de son coût. L'actualité récente nous a ainsi rappelé que, si la loi continue à s'imposer, la longueur des procédures fait perdre beaucoup de sens et de poids aux principes fondamentaux en vigueur. Cette remarque est d'ailleurs valable pour la justice en général.

Le budget général de la mission fait apparaître une hausse des demandes d'asile pour la sixième année consécutive, après un accroissement de 61,4 % entre 2007 et 2012. Si cette évolution devait se confirmer en 2013, nous serions confrontés à une hausse sans précédent, sachant que l'on observe depuis 2008 une dégradation progressive des délais de traitement des demandes d'asile et, par conséquent, une augmentation des stocks de demandes.

Jouant les Cassandre, M. Ciotti nous prédit 70 000 demandeurs d'asile et des coûts infinis pour cette année, sous-entendant qu'une telle explosion des chiffres serait le fruit de la libéralité d'un gouvernement de gauche et que la droite aurait, elle, obtenu des résultats probants et fait preuve d'une vraie volonté et d'un véritable savoir-faire, tandis que nous ne serions que des laxistes, voire des aspirateurs à demandeurs d'asile ! Or la réalité est tout autre : notre système d'asile n'est plus satisfaisant depuis plusieurs années. Reconnaissons-le sans quoi nous ne pourrons le sauver, alors même que l'asile est un principe constitutif de notre République.

Pendant sa campagne, le Président de la République avait d'ailleurs fixé le cap de la réforme en soulignant qu'« outre une dotation adéquate du dispositif d'accueil, [c'était] une autre gouvernance du système qu'il [faudrait] également privilégier. » Or, où en est-on aujourd'hui ? Si le budget général de la mission est en légère baisse, la dotation en faveur de notre politique d'asile augmente de 0,5 % en 2014, le Gouvernement affichant deux priorités en la matière : la réduction des délais d'instruction des demandes d'asile et une rénovation du dispositif d'accueil des demandeurs privilégiant l'hébergement pérenne, aujourd'hui saturé. Ces objectifs se traduisent concrètement par une augmentation des moyens budgétaires de l'OFPRA et par l'affectation d'agents supplémentaires à cet établissement. Ils se matérialisent aussi par la création de 2 000 places supplémentaires dans les centres d'accueil des demandeurs d'asile. Si de telles mesures sont temporairement satisfaisantes, elles demeurent cependant insuffisantes à long terme. Mes recherches m'ont d'ailleurs permis de constater qu'une véritable réforme était menée en amont des prochains changements annoncés : un contrat d'objectifs et de performance a ainsi été signé avec l'OFPRA, énonçant les principes d'un renforcement de la protection et du droit d'asile, d'une réduction des délais d'examen des demandes d'asile, d'un traitement adapté de ces dossiers, et d'une réorganisation des conditions de travail des agents qui, s'ils voyaient leurs emplois stabilisés, pourraient travailler plus efficacement.

Monsieur le ministre, vous avez, parallèlement à la conclusion de ce contrat, confié à deux parlementaires, le député Jean-Louis Touraine et la sénatrice Valérie Létard, le soin de mener une concertation nationale sur la réforme du droit d'asile, en vue de transposer en droit français des normes adoptées par l'Union européenne en juin dernier : quels en sont les premiers résultats ? Dans quelle direction le Gouvernement s'oriente-t-il en la matière ? Vous savez la majorité de gauche attachée à une politique de l'asile qui conserve son caractère spécifique. Le président de la Commission des lois a d'ailleurs exprimé le souhait de ne pas voir traités dans une même loi l'asile et l'immigration.

Le besoin d'asile s'explique tant par les conflits internationaux à nos portes que par l'instrumentalisation du viol comme arme de guerre contre les femmes dans certains conflits ou encore par la nécessité de protéger les petites filles contre des coutumes barbares. Or, si la France est le deuxième pays d'accueil des demandeurs d'asile en Europe, elle n'est qu'en vingt-et-unième place pour l'octroi du statut de réfugié. Ces chiffres relativisent donc les procès en laxisme qui nous sont intentés mais notre pays se grandit en prenant sa part à l'accueil des souffrances humaines. C'est pourquoi, dans cette période budgétaire contrainte, le budget consacré à l'asile me paraît satisfaisant.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion