Intervention de Danielle Bousquet

Réunion du 6 novembre 2013 à 16h30
Commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes :

Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir rappelé que le Haut conseil avait adopté lundi, à l'unanimité moins une voix, le rapport que nous avons établi sur la proposition de loi, ce qui montre l'attachement que portent les membres du Haut conseil à la lutte contre la prostitution.

Nous avons tout d'abord voulu saluer l'approche globale de la proposition de loi, qui prend en compte le système prostitutionnel dans sa globalité et ses trois types d'acteurs que sont les proxénètes et les réseaux mafieux, les personnes prostituées et les clients.

Cette proposition de loi repose sur quatre piliers afin de donner de la lisibilité à la pensée et à l'action du législateur.

Le premier a trait au renforcement de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains.

Le deuxième améliore l'accompagnement des personnes prostituées – c'est extrêmement important si nous voulons être crédibles – et ouvre le droit au séjour des victimes du proxénétisme et de la traite des êtres humains. Car les personnes prostituées en France sont, dans une écrasante majorité, des personnes étrangères sans papiers. On ne peut guère imaginer qu'elles envisageront de sortir de la traite si on ne leur délivre pas un titre de séjour, au moins temporaire, qui leur permettra de rester sur le territoire français.

Le texte prévoit en outre d'octroyer à ces personnes un revenu de substitution, car comment une personne sortirait-elle de la prostitution si elle n'a pas un minimum de revenus pour vivre ?

Il offre également aux personnes prostituées l'accès au droit et à la santé. C'était indispensable car vous savez certainement que leur santé est extrêmement préoccupante, tant sur le plan physique que psychologique, voire psychiatrique.

Enfin, le texte leur accorde l'accès au logement d'urgence et leur ouvre la possibilité d'une réinsertion sociale. Car comment, sans logement et sans aucune perspective de réinsertion sociale, une personne pourrait-elle envisager de quitter la prostitution ?

Le troisième pilier, tout aussi important, concerne la prévention des pratiques prostitutionnelles. Il convient d'éduquer les jeunes à l'idée que, dans toute relation sexuelle, l'autre doit être respecté et que c'est dans la réciprocité et l'égalité que deux personnes peuvent se retrouver. Pour cela, il faut renforcer l'éducation sexuelle à l'école, ce qui signifie consacrer plus de moyens à l'éducation.

Le quatrième pilier a trait à la responsabilisation des clients de la prostitution qui est, selon nous, de nature à tarir la demande. Car dès lors qu'il y aura moins de clients, il y aura moins de prostitution et donc moins de traite d'êtres humains. C'est pourquoi la proposition de loi prévoit l'interdiction d'achat d'un acte sexuel.

Ce texte contient deux innovations majeures : d'une part, il met en place, pour la première fois, un véritable parcours de sortie de la prostitution, et d'autre part il interdit l'achat d'un acte sexuel et sanctionne le client qui contreviendrait à cette interdiction.

Nous avons d'emblée rendu un avis favorable à cette proposition de loi en saluant la volonté du législateur de l'inscrire dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes, car la prostitution est une violence en soi, et donc in fine dans une perspective d'égalité entre les femmes et les hommes, car chacun sait qu'il ne peut y avoir d'égalité s'il y a violence. Il est impératif de lutter contre cette violence et c'est ce qui nous avait déjà motivés lorsque nous avions élaboré la proposition de loi renforçant la protection des victimes, la prévention et la répression des violences faites aux femmes.

Nous avons également salué la cohérence globale de ce texte, qui vise à renforcer à la fois la lutte contre le système prostitutionnel et le soutien aux victimes, ainsi que la volonté du législateur d'apporter son soutien aux personnes prostituées, y compris celles qui sont étrangères et qui constituent l'immense majorité des personnes prostituées en France.

Nous vivons un moment historique d'une grande importance. Pour la première fois, je le répète, nous allons donner à ces personnes une perspective de sortie de la prostitution.

Celle-ci étant une violence, ses auteurs doivent être sanctionnés. Ce sont les proxénètes et les réseaux mafieux, qui font déjà l'objet de sanctions dans notre droit, et ce sont les clients, qui doivent donc faire l'objet de sanctions dont nous souhaitons discuter les modalités.

Cette proposition de loi ne tombe pas du ciel. Elle s'inscrit dans la continuité de la Convention des Nations Unies de 1948, que la France a fini par ratifier et qui la situe parmi les pays abolitionnistes, et de la Convention CEDAW, relative à l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, que la France a également ratifiée et dont la ministre vient d'accepter les dernières mesures qui ne l'avaient pas été dans le cadre de la ratification.

Ce texte fait enfin suite au long et patient travail législatif qui a démarré en 2010 et qui s'est poursuivi tout au long de cette mandature. Nous pouvons nous féliciter de cette continuité, qui montre la volonté des législateurs d'aller au bout de cette démarche.

J'en viens aux recommandations du Haut conseil.

L'article 1er prévoit que les fournisseurs d'accès bloquent l'accès aux sites Internet étrangers lorsque ceux-ci contreviennent à la loi française. Nous nous en félicitons, mais nous ajoutons qu'il est indispensable de donner à l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRETH) et aux brigades régionales spécialisées les moyens, tant humains que financiers, de travailler. Le réseau Internet n'a pas conduit à la prostitution ipso facto, mais il a permis le fantastique développement de pratiques illégales. Il faut pouvoir le contrôler.

Les articles suivants mettent en place un parcours de sortie de la prostitution pour les personnes qui en ont été victimes. Le texte associe les victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite. Je vous en remercie car il s'agit bien du même fléau, comme nous l'ont expliqué hier nos amis suédois, en particulier la chancelière suédoise de la justice et la procureure du tribunal de Stockholm.

Nous souhaitons que soit demandé aux associations qui seront habilitées à aider les personnes victimes de prostitution dans leur parcours de sortie de s'engager à respecter les conditions de ce parcours. Il ne s'agit pas pour nous d'exclure les associations qui accompagnent les femmes en les maintenant dans la prostitution et en aménageant les conditions dans lesquelles elles s'y livrent, mais nous voulons qu'elles s'engagent à respecter les principes abolitionnistes qui ne sont pas forcément inscrits dans leurs statuts. Nous n'excluons personne, mais nous entendons vérifier que les associations ne feront pas n'importe quoi car il ne s'agit pas pour nous d'aménager la prostitution, mais d'en sortir. Nous demandons donc à l'État de prévoir les financements adaptés, car s'occuper de personnes qui sortent de la prostitution est une démarche longue et difficile qui exige des personnes formées.

Je félicite les parlementaires d'avoir envisagé tous les éléments indispensables pour réussir le parcours de sortie, en commençant par l'accès à l'allocation temporaire d'attente, l'ATA, mais il faudra pour cela former les personnels de Pôle Emploi. En outre, il ne sera pas exigé des personnes qu'elles dénoncent leur proxénète. C'est une bonne chose car il serait très difficile pour une personne étrangère, seule, qui parle très mal notre langue, de dénoncer la seule personne qu'elle connaît sur notre territoire. Il serait intéressant que celles qui auront eu le courage d'aller plus loin et de dénoncer les réseaux et les proxénètes puissent bénéficier du revenu de solidarité active (RSA), dont le montant est tout de même supérieur d'une centaine d'euros à celui de l'ATA.

Il est important que les femmes étrangères qui décideront de sortir de la prostitution se voient attribuer, dès lors qu'elles en auront pris l'engagement, un titre de séjour temporaire qui ne soit pas lié au pouvoir discrétionnaire du préfet. L'article 6 de la proposition de loi dispose que l'autorisation provisoire de séjour « peut » être délivrée à la victime. Nous préférons, nous, écrire qu'elle « est » délivrée. Nous n'avions pas davantage souhaité poser des conditions dans la proposition de loi renforçant la prévention des violences, s'agissant de l'ordonnance de protection. Car comment voulez-vous qu'une personne envisage de sortir de la prostitution si elle n'est pas certaine d'obtenir un titre de séjour ? Celui-ci est une condition sine qua non de réussite.

En matière d'hébergement, j'insiste sur la nécessité de former les personnels à la sécurité, car les personnes qui sortent de la prostitution s'exposent à des mesures de rétorsion de la part des réseaux et des proxénètes, et parfois elles risquent leur vie.

Comme tout le monde ici, je me félicite de la suppression du délit de racolage passif et actif, car elle est conforme à l'esprit de la Convention de 1949 pour la répression et la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, texte qui présente les personnes prostituées comme des victimes et non comme des délinquantes. Cette suppression est également nécessaire pour assurer la sécurité des personnes prostituées, dont la situation ne relève en aucun cas de leur responsabilité.

L'article 16, qui fixe l'interdiction d'achat d'un acte sexuel et sanctionne le recours à la prostitution, constitue une avancée historique.

Cette interdiction répond à quatre motivations. Il s'agit tout d'abord de soustraire la sexualité à la violence et à la domination masculine : on ne peut pas payer en échange d'un acte sexuel.

Elle permet ensuite de dissuader les réseaux de traite et les proxénètes de s'installer sur le territoire français car les réseaux ne pratiquent la traite des êtres humains que pour une seule raison : gagner de l'argent. Si la possibilité de gagner de l'argent s'amenuise, ils trouveront des activités plus rentables.

La troisième motivation de cette interdiction est la nécessité de faire évoluer les représentations et les comportements. Éduquer les enfants, garçons et filles, dans l'idée qu'il est interdit de payer pour une relation sexuelle fera changer la représentation qu'ils en ont. Votre collègue Ségolène Neuville vous a certainement parlé des jeunes garçons, dans certains départements du sud de la France, qui soumettent leurs compagnes à une forme de chantage insupportable en les menaçant, si elles n'acceptent pas de faire telle ou telle chose, d'aller à la Jonquera. Leur représentation de la sexualité induit des comportements d'une violence extrême. Poser cet interdit dans la loi fera évoluer leurs comportements, la représentation qu'ils ont des femmes et ils comprendront qu'il n'est plus possible pour les hommes de payer pour obtenir ce qu'ils veulent.

Enfin, cette interdiction permettra aux personnes prostituées de dénoncer leurs clients, en particulier de se prémunir de violences comme le refus du port du préservatif que leur imposent certains d'entre eux.

La loi prévoit une contravention allant de 1 500 euros à 3 000 euros en cas de récidive. Je n'aime pas beaucoup ce mot-là car il contient une notion de culpabilité. Je lui préfère le mot « réitération ». Nous ne sommes pas là pour montrer les hommes du doigt, mais pour leur faire prendre conscience que ce qu'ils font n'est pas acceptable. Je dirais qu'ils sont responsables, mais pas coupables…

On ne peut prévenir les pratiques prostitutionnelles, en particulier le « devenir client » si la loi ne se positionne pas fermement sur le fait que l'achat d'un acte sexuel est inacceptable. Il faut donc éduquer les jeunes et poser son interdiction dans la loi.

Nous souhaitons que la sanction soit un délit, et non une simple contravention de cinquième classe, car selon les termes de la proposition de loi, dans l'échelle des peines, le recours à la prostitution serait sanctionné de la même manière qu'un simple trouble à l'ordre public. Or, on ne peut dire, d'un côté, qu'il est insupportable de payer pour un service sexuel, et, de l'autre, prévoir une sanction identique à celle prévue, par exemple, pour le dépôt d'ordures dans un endroit non autorisé. J'ai du mal à comprendre la cohérence de cet article. Nous aurons du mal à expliquer qu'une peine aussi peu élevée s'applique à un acte attentatoire à la dignité des personnes.

Ce n'est pas le niveau de sanction qui nous préoccupe – nous ne voulons pas forcément mettre les hommes en prison – mais nous insistons pour que la nature du délit soit reconnue et qu'il soit jugé non pas devant un tribunal de simple police, entre deux excès de vitesse, mais au tribunal correctionnel afin de donner à la sanction une certaine solennité. Il faut que le juge puisse dire à l'homme qui a commis un acte interdit que cet acte est inacceptable. Faute de quoi, le message normatif pourrait être singulièrement amoindri. J'ajoute que les moyens de la police et de la gendarmerie ne sont pas les mêmes suivant qu'il s'agit d'une contravention ou d'un délit.

Nous sommes convaincus que l'interdiction de l'achat d'acte sexuel dans la loi fera changer le regard de la société sur les violences faites aux femmes. À ce titre, je considère que les articles 16 et 17 sont révolutionnaires.

L'article 17 dispose que les clients effectueront un stage de « sensibilisation » aux conditions d'exercice de la prostitution. Nous préférons, nous, parler d'un stage de « responsabilisation », plus à même de leur révéler le caractère illégal de l'achat d'un acte sexuel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion