Intervention de Laurence Abeille

Séance en hémicycle du 22 novembre 2013 à 9h30
Ville et cohésion urbaine — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Abeille :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe écologiste se félicite que ce nécessaire projet de loi sur la politique de la ville et la cohésion urbaine soit examiné aujourd’hui devant notre Assemblée. Nous partageons pleinement l’esprit de ce texte, même si nous souhaitons aller plus loin sur certains points, j’y reviendrai.

Quel est d’abord l’objectif même à assigner à la politique de la ville ?

Un premier objectif est l’amélioration de la qualité de vie dans les quartiers. C’est dans cet esprit que j’avais proposé en commission du développement durable de modifier le titre de la loi. Parler de cohésion urbaine me semble trop technocratique et trop éloigné des préoccupations directes des habitants. Intégrer l’idée de bien-vivre dans les quartiers dans le titre aurait été préférable. Cela peut sembler anecdotique, mais les mots ont un sens et permettent très souvent une appropriation ou non par les habitants des politiques menées. Qui plus est, l’objectif principal des programmes de rénovation urbaine et d’aide aux associations est justement de favoriser ce bien-vivre en ville.

Néanmoins, se focaliser sur cet objectif de cohésion urbaine, de mieux-vivre en ville, c’est, me semble-t-il, traiter les conséquences et non les causes d’un problème central que sont la précarité des habitants et le manque d’activité économique durable.

C’est pourquoi il serait nécessaire de donner à la politique de la ville un autre objectif, qui est d’améliorer la situation économique, sociale et environnementale du quartier. Comme pour la fiscalité comportementale, dont l’objectif est de réduire la base fiscale, l’objectif de la politique de la ville est de réduire le nombre de quartiers prioritaires, en améliorant le niveau de vie des habitants. Pourtant, lors de la dernière décennie, aucun quartier entré dans le périmètre de la politique de la ville n’en est sorti, et ce projet de loi ne va une nouvelle fois pas assez loin dans la recherche de solutions pour traiter les causes du problème, donc combattre les inégalités et les discriminations, qui ne doivent pas être considérées comme irréversibles. Je voulais le rappeler mais, je le sais bien, la politique de la ville ne peut pas tout.

Venons-en aux dispositions de ce projet.

La concentration des moyens, donc la réduction du nombre de quartiers prioritaires, mesure phare de ce projet de loi, est une nécessité budgétaire. Deux questions se posent cependant.

La première porte sur les territoires qui sortent de la géographie prioritaire, plus de 1 000. Le statut de territoire de veille a été adopté en commission, et c’est une avancée essentielle, mais la question demeure du soutien à apporter à certaines associations qui oeuvraient dans ces quartiers et qui n’auront plus de financements spécifiques. Avec de faibles sommes investies, la politique de la ville peut déboucher sur de grands résultats, utiles, compte tenu, notamment, de ce qui se produirait si elle n’existait pas. Je pense notamment aux associations qui oeuvrent dans le domaine de l’éducation, de l’alphabétisation ou à celles qui aident à l’apprentissage du français.

Il n’est pas anodin, dans certains quartiers, de supprimer des « petits financements » aux associations. Si un territoire fraîchement sorti de la géographie prioritaire y retombait quelques années après car sa situation se serait dégradée, ce serait un échec de la politique de la ville. C’est pourquoi cette stratégie de territoire de veille devra être réellement active, et surtout réactive, en cas de dégradation des indicateurs sociaux et économiques.

De même, qu’en est-il des dispositifs de droit commun qui s’appliquent prioritairement dans les quartiers prioritaires ? Je pense aux emplois d’avenir, pour lesquels les conditions d’attribution sont plus souples pour les habitants de ces quartiers, mais d’autres dispositifs s’y appliquent spécifiquement ou avec des dérogations. Quel sera l’impact de l’abandon de dispositifs de droit commun dans les quartiers qui sortiront de la politique de la ville ?

La seconde question porte sur le financement : le recentrage des crédits ne doit évidemment pas déboucher sur une baisse globale de la dotation allouée à la politique de la ville. S’agit-il donc de faire mieux avec moins ou beaucoup mieux avec autant ?

L’inscription à l’article 2 d’un nouveau plan de rénovation urbaine est une bonne chose. Certes, le financement prévu est moindre que pour le premier programme de rénovation, mais, avec 5 milliards d’euros, il permet au final de lever 20 milliards d’euros, ce qui est loin d’être négligeable pour une deuxième phase.

Si ces opérations sont nécessaires pour améliorer la qualité de vie, elles ne doivent pas aboutir à une gentrification de certains quartiers, c’est-à-dire à l’arrivée de personnes moins précaires, qui profiteraient d’un cadre de vie amélioré, reléguant les habitants d’origine dans d’autres quartiers moins agréables. Sur cette question, on est, me semble-t-il, face à un dilemme. Si l’on veut ramener de la mixité sociale dans ces quartiers, l’arrivée de nouveaux habitants est une solution, mais on peut également favoriser la mixité sociale en améliorant la situation économique des habitants originaire de ces quartiers. L’équilibre est donc subtil, mais la seconde solution est clairement à privilégier. Il s’agit, avant tout, d’aider les habitants dans ces quartiers plutôt que d’améliorer de façon trompeuse les indicateurs économiques du quartier.

Je l’ai souligné, le texte ne me semble pas aller suffisamment loin sur cette question de l’emploi et de l’activité économique dans ces quartiers. Qu’est-il prévu par le Gouvernement pour développer l’activité économique ? Le critère économique est le seul que l’on utilise pour distinguer ces quartiers prioritaires mais, au final on n’agit pas vraiment sur ce critère, ce qui semble paradoxal. Une activité économique durable est nécessaire pour que ces quartiers ne soient pas des quartiers de relégation pour inactifs, des zones que les habitants quitteraient une fois un travail décroché ailleurs.

La seule façon d’inciter les habitants dont le niveau de vie s’améliore à rester dans les quartiers est de leur offrir un emploi dans le quartier, donc de développer une vie économique locale, exercice complexe, je vous l’accorde.

J’en viens à un point essentiel pour notre groupe, la participation des citoyens à la politique de la ville, qui a fait l’objet de plusieurs amendements en commission et en séance et de débats très intéressants.

Sur ce sujet, l’excellent rapport Mechmache-Bacqué a fait plusieurs propositions très volontaristes, qui, à notre avis, n’ont pas été suffisamment prises en compte et que nous souhaitons voir introduites dans le texte.

Nous avions ainsi proposé en commission l’idée de co-construction, qui a été retenue. Il est nécessaire, en effet, d’aller plus loin que de simples consultations ou concertations, en intégrant clairement dans la politique de la ville les souhaits des habitants. Un amendement a été déposé pour aller plus loin dans cette co-construction, avec l’idée qu’elle puisse déboucher sur un référendum d’initiative locale, qui porterait sur le contrat de ville ou sur certaines modalités du contrat de ville. Pour que les habitants s’approprient le plus possible cette démarche de co-élaboration, ils doivent être décisionnaires au final.

Certains diront qu’il ne faut pas remplacer la démocratie participative par la démocratie directe. Je pense au contraire qu’une véritable démocratie participative ne doit pas faire semblant d’écouter, mais qu’elle doit permettre, après une phase d’échange, de laisser au citoyen la possibilité d’arbitrer telle ou telle disposition. Ce n’est qu’avec des mesures fortes de ce type qu’on réussira la politique de la ville.

Malheureusement, l’amendement a fait l’objet de la sévérité et de la rigidité de la commission des finances. C’est dommage puisque cette censure nous empêchera d’avoir un débat sur le fond du sujet, c’est-à-dire sur le pouvoir de décision des habitants. Censurer une discussion sur la démocratie dans les quartiers au regard de considérations financières assez spécieuses me semble très dommageable pour nos travaux. J’espère que le Gouvernement proposera des éléments sur cette idée de référendums locaux.

Concernant le dispositif des conseils de citoyens, il est nécessaire de revenir à la désignation proposée initialement par le Gouvernement. Il s’agit d’un conseil de citoyens et non d’un conseil citoyen. Ce conseil de citoyens, c’est l’instance de dialogue avec tous les habitants du quartier. Le choix des mots a dans ce domaine une forte portée symbolique, s’agissant de quartiers et de populations qui souffrent bien souvent d’un sentiment de relégation, voire d’abandon. Il est particulièrement important d’affirmer la qualité de citoyen des habitants et des habitantes qui se mobilisent dans la conduite et l’animation des contrats de ville et dont l’engagement sera décisif pour la réussite des actions entreprises.

Dernier point, la prise en compte de la transition écologique et du développement durable dans la politique de la ville. Les opérations d’aménagement urbain, menées notamment dans le cadre de l’ANRU, doivent intégrer des objectifs de lutte contre la précarité énergétique, de transition énergétique et écologique de la société. De même, la mise en place des trames vertes et bleues est souvent difficile dans ces quartiers. La prise en compte de la biodiversité, de la nature en ville est également un impératif pour rendre ces quartiers agréables à vivre pour tous.

Si nous espérons des avancées, notamment sur la participation, nous soutiendrons bien sûr ce projet de loi.

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