Intervention de François Asensi

Séance en hémicycle du 22 novembre 2013 à 9h30
Ville et cohésion urbaine — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Asensi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ils sont l’avenir de la France, ces quartiers populaires et la formidable richesse de leurs six millions d’habitants. Pourtant, malgré trente et même quarante années de politique de la ville, notre société n’a pas réussi à inverser les logiques de ségrégation et de paupérisation qui les frappent. L’anniversaire, cette année, de la marche pour l’égalité de 1983 nous le rappelle cruellement.

Avant de parler de l’urbain, je voudrais parler des habitants de ces villes populaires. La mal-vie y a considérablement progressé : 36 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Ce taux a augmenté de six points depuis 2006, à un rythme six fois supérieur au reste du territoire. Le chômage s’est enraciné dans les familles, sapant l’autorité des parents, minant la confiance au sein de la jeunesse, jusqu’à faire perdre espoir dans l’avenir. Car comment faire vivre la promesse républicaine dans des quartiers où le chômage touche près de 40 % des jeunes ?

Le droit au logement a reculé, du fait de la flambée des loyers et des charges, la pénurie de logements. Le droit à l’éducation, le droit aux transports, le droit à la santé se sont fissurés et, avec eux, le fondement du pacte social. Dans cette extension du domaine de la mal-vie, à qui la faute ? Au capitalisme financier prédateur qui, à force de malmener le travail, de le libéraliser, de le flexibiliser, de le démanteler, a tout simplement fait disparaître les emplois, mais aussi aux politiques d’austérité, qui ont fragilisé les plus faibles et ont rogné le peu de pouvoir d’achat des moins fortunés ces dernières années : hausse de la TVA, baisse des prestations, inflation des produits de première nécessité.

Les fractures urbaines et sociales que subissent les villes populaires ont une histoire. Elles sont le fruit de processus guidés par la main libre du marché, encouragés par l’État. Le développement insoutenable des activités productives a pris pour terrain de jeu nos banlieues. Les nuisances ont été rejetées par les villes-centres vers leurs périphéries et, avec elles, les classes laborieuses, jugées dangereuses, qui ont en fait été privées du droit à la ville.

Nous avons assisté à la hausse du foncier, à une politique d’étalement urbain anarchique, à la constitution de véritables ghettos sociaux. Aujourd’hui, l’ouest parisien accapare d’immenses richesses, quand l’est de la capitale accueille la masse des travailleurs, avec ses ressources modestes. Comment accepter que le produit intérieur brut par habitant soit trois fois moindre en Seine-Saint-Denis que dans les Hauts-de-Seine ? Comment accepter que, dans ce département, il y ait six fois moins de librairies qu’à Paris, six fois moins de magistrats, quatre fois moins de médecins spécialistes ? Comment accepter que la taxe foncière des habitants de Sevran soit dix fois plus élevée – dix fois ! – que celle de Neuilly-sur-Seine, et la taxe d’habitation cinq fois supérieure à celle de Courbevoie ?

L’État a refusé de s’opposer à ces logiques funestes et explosives, tous gouvernements confondus. La spécialisation des territoires se poursuit, et le projet gouvernemental de métropole en sera un nouveau chapitre. Je redoute qu’avec lui reprenne la politique d’imposition des grands ensembles. Quel paradoxe, alors que la politique de la ville travaille encore à réparer les erreurs urbanistiques des années soixante et soixante-dix !

Monsieur le ministre, je dois le dire, nous sommes satisfaits d’examiner votre projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, après plusieurs années de désengagement de l’État. Les professionnels, les acteurs de terrains, les habitants qui désespéraient de l’absence de volonté politique, peuvent également être satisfaits.

Ce projet de loi affiche une ambition de qualité urbaine, élaborée en étroite relation avec les habitants, et vise à remédier à plusieurs travers de la politique de la ville. Nous ne pouvons que souscrire à ces objectifs. Malgré l’utilité des dispositifs existants, certaines injustices étaient flagrantes, concernant le zonage et les aides ANRU. L’accent avait été mis, sous le précédent gouvernement, sur le bâti, souvent au détriment de l’humain, même si, cela a été dit, un effort important a eu lieu dans ces zones grâce au ministre Jean-Louis Borloo.

Plusieurs avancées sont à relever dans ce projet de loi. Enfin, un engagement est pris pour la poursuite de la rénovation urbaine. Le PNRU 2 est une nécessité absolue pour achever les projets engagés. L’amélioration du bâti ne résout pas toutes les difficultés mais les citoyens de banlieue ont droit à un cadre de vie valorisant.

Au plan démocratique, plusieurs propositions décisives du très bon rapport de Mohamed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué ont été retenues. La création de conseils citoyens, le renforcement de la concertation et de la capacité de contre-expertise apporteront une nouvelle dimension pour que les habitants prennent le pouvoir sur leur lieu de vie et fassent vivre la mémoire de leurs quartiers.

La contractualisation entre les collectivités, l’État et les autres partenaires, au moyen de contrats de ville, permettra une meilleure collaboration et une plus grande efficacité, si les moyens sont au rendez-vous.

Autre avancée, la reconnaissance dans la loi des discriminations territoriales, qui permettra de protéger les citoyens victimes, très souvent, parce qu’ils habitent tel quartier ou tel département, de stigmatisations véritablement odieuses dans les médias.

J’avais déposé, dès 2010, une proposition de loi pour sanctionner les discriminations liées à l’adresse, à la suite des recommandations de la HALDE. Je me félicite qu’après plusieurs années de mobilisation des élus de banlieue, notamment de l’Académie des banlieues, que je préside, et des chercheurs, ce phénomène soit enfin reconnu.

Mais votre projet de loi, monsieur le ministre, traduit aussi des incertitudes, des renoncements, si ce n’est des reculs. De fait, la logique de sélection des territoires demeure. L’objectif de mixité sociale est posé par la loi, sans que l’on se donne des moyens convaincants pour la rétablir entre les territoires. Vous renforcez les mécanismes de solidarité intercommunale : ce serait en soi une excellente mesure, si elle n’avait pas pour conséquence l’affaiblissement de la solidarité nationale. Nous redisons notre attachement à la péréquation verticale, seule à même d’éviter le développement à deux vitesses de territoires, même s’il est évident qu’il faut également envisager la solidarité des villes qui en ont les moyens.

Concernant une réforme de la fiscalité locale et un véritable partage des richesses, le chantier piétine : le 1 % des communes les plus riches dispose de quarante-cinq fois plus de pouvoir d’achat que le 1 % des plus défavorisées. La logique de désengagement de l’État demeure, car il est impossible de considérer ce projet de loi en dehors des politiques d’austérité qui irriguent l’ensemble des mesures gouvernementales et mènent à mon sens la France dans l’impasse, et en premier lieu ses banlieues. L’argumentaire sur le saupoudrage et l’illisibilité de la géographie prioritaire ne masque pas la véritable préoccupation de réduire le nombre de quartiers aidés pour en réduire le coût. La disparition annoncée des zones franches urbaines au prétexte d’effets d’aubaine bien réels doit s’accompagner au plus vite de nouveaux dispositifs de soutien à la création et au maintien des entreprises, des services et des commerces dans ces quartiers – je pense notamment au problème de la santé.

La création utile d’une dotation de la politique de la ville s’annonce comme un simple jeu d’écriture en recyclant l’actuelle dotation de développement urbain, certes bancale. La dotation affichée de 5 milliards d’euros sur dix ans pour le plan de renouvellement urbain représente en réalité un engagement quasi nul de l’État, puisque l’on s’apprête à poursuivre le siphonnage du 1 % logement, c’est-à-dire des cotisations pour le logement des salariés – j’y reviendrai tout à l’heure dans quelques amendements.

Il y a par ailleurs une contradiction forte à vouloir un partage des richesses au niveau local tout en asséchant le budget des collectivités locales. Je vous rappelle que leurs dotations sont réduites de 4,5 milliards d’euros pendant trois ans, soit l’équivalent du volume du PNRU 2. Leurs marges de manoeuvre vont diminuer et le risque est grand que la politique de la ville en fasse les frais.

Enfin, et il s’agit du plus grand écueil, votre projet de loi s’appuie sur le droit commun tant malmené dans cette période d’austérité budgétaire. Dans son rapport de 2012, la Cour des comptes dénonçait déjà « une faible mobilisation du droit commun ». Avec une baisse historique des dépenses publiques de 10 milliards d’euros dans le projet de loi de finances, la mise à contribution du droit commun sera une coquille quasiment vide. Un seul exemple : Le Parisien révélait hier qu’en Seine-Saint-Denis, les policiers en départ à la fin de l’année ne seraient pas tous remplacés. C’est inadmissible au regard de la situation de ce département ! Si ces conséquences touchent un budget épargné par les coupes budgétaires, qu’en sera-t-il des autres services publics ? Tous les élus locaux connaissent le recul de ces services dans les quartiers : la fermeture des CAF, des centres de Sécurité sociale ou de La Poste.

Les élus communistes et républicains attachent, pour leur part, une grande importance au respect de plusieurs priorités : le maintien de la compétence communale – et partant, l’importance des maires – en matière de politique de la ville avec des mutualisations possibles au niveau intercommunal ; des dispositifs cohérents et durables pour les villes qui sortiront de la géographie prioritaire ; la création de mécanismes favorisant l’intervention citoyenne dans le pilotage des politiques publiques, mais aussi le renforcement du tissu associatif ; un haut niveau d’ambition pour l’application du droit commun dans ces territoires, à l’opposé des discriminations territoriales actuelles ; un partage des richesses au sein des agglomérations par une refonte de la fiscalité locale et une péréquation verticale épargnée par les baisses de dotations.

Nous serons par conséquent attentifs à l’évolution des débats et nous y participerons de manière constructive, en soutenant plusieurs amendements visant à améliorer la vie des habitants. Nous oeuvrerons aussi pour que les quartiers populaires ne soient plus en marge, mais au coeur de la République. Nous soutiendrons l’ambition de voir cesser les discriminations insupportables contre leurs habitants, pour leur garantir le droit à la ville et à un environnement de qualité. Nous ne voterons donc pas, monsieur le ministre, contre votre projet de loi.

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