Intervention de Francis Vercamer

Séance en hémicycle du 28 novembre 2013 à 15h00
Expérimentation des maisons de naissance — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Vercamer :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes souvent confrontés dans cet hémicycle à un choix quasi cornélien entre la rigueur nécessaire des choix publics et la réponse bienveillante aux besoins de nos concitoyens. Dans le cas d’espèce que nous traitons aujourd’hui, la rigueur ne fait pas obstacle à la générosité, la modestie n’empêche pas l’efficacité, bien au contraire. Cela, nous le devons tant à la clairvoyance de notre collègue sénatrice Muguette Dini qu’au travail fructueux qui a été réalisé depuis un an et demi entre les groupes centristes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

La rigueur ne fait pas obstacle à la générosité, disais-je. Ce constat, nous pouvons assurément tous ensemble le dresser à propos de ce texte. Alors, ne boudons pas notre plaisir. D’autant que si le constat est effectivement partagé, je ne doute pas que la solution proposée par cette proposition de loi soit unanimement retenue.

De quoi parlons-nous ? Nous parlons de ce moment unique, par lequel une femme donne la vie, un moment à entourer de la plus grande tendresse possible dans un environnement qui soit le plus accueillant et le moins anonyme possible.

C’est un beau nom, ce terme de maison de naissance, comme la première image d’un foyer, qui évoque, tout à la fois, la nouvelle vie qui s’ouvre à ceux qui deviennent ou redeviennent parents, et la vie qui vient et qui est, par elle-même, l’incarnation de toutes les espérances.

Il faut pourtant bien admettre que la réalité est souvent très éloignée de ce qui pourrait sembler un brin idyllique, car une naissance, aujourd’hui, c’est d’abord un événement qu’il convient de sécuriser, au prix d’une scénographie technologique que l’on croirait conçue pour traiter une pathologie.

Qui ne souhaiterait, en effet, que tout se passe bien, et qui ne voudrait s’assurer des meilleures conditions pour que cela se réalise assurément ? Personne, bien sûr, mais, à vouloir trop protéger, on prend le risque d’insécuriser et, en dépit de toutes les bonnes intentions, on s’expose à des angoisses infondées, sans pour autant, c’est le paradoxe, offrir aux familles les meilleures conditions.

De fait, depuis plusieurs décennies, les naissances n’ont jamais été autant médicalisées, la sécurité étant de plus en plus recherchée, et, si les « accouchements de confort » se sont ainsi multipliés ces dernières années, les naissances nécessitant une véritable assistance technique n’ont en fait représenté que 10 à 20 % du total des accouchements. La naissance, c’est le moment de l’hyper-responsabilité. Qu’en résulte-t-il, à part un stress généralisé ?

Les plus grosses maternités sont débordées et les familles perdues dans le labyrinthe d’institutions tentaculaires, submergées par un flot de matériels, de personnels, de bruits, d’odeurs, par un environnement qui nourrit d’insidieuses impressions d’impuissance quand il devrait inspirer la confiance.

Bien des équipements permettant une prise en charge des pathologies les plus graves sont souvent utilisés à mauvais escient, dans des situations qui ne justifient pas un tel usage. Outre les dépenses occasionnées, de telles pratiques peuvent présenter un risque iatrogène en causant les frustrations de nombreuses parturientes, qui estiment qu’elles auraient pu accoucher plus simplement. S’il est indéniable qu’une meilleure prise en charge des grossesses sur le plan médical a permis de réduire notablement le taux de mortalité infantile, il n’en reste pas moins qu’une hypermédicalisation du parcours des femmes enceintes a également conduit à une artificialisation de la naissance, d’ailleurs non dénuée de risques. Plus de 20 % des accouchements en France se font par césarienne ou par déclenchement, huit sur dix sous péridurale : un taux supérieur à la moyenne européenne. Au final, la France se situe au dix-septième rang européen pour la mortalité néonatale, l’un des plus mauvais d’Europe selon le rapport Euro-Peristat, publié le 27 mai 2013.

Il convient donc de s’affranchir de cette culture du résultat, qui n’est en réalité que la traduction d’une expression collective de peur. Il est évident que nous manquons cruellement de petites structures gérées par des sages-femmes, où l’extrême majorité des parturientes ne présentant aucun risque pathologique peuvent donner la vie en toute intimité et en toute sécurité. Tel est donc l’objet de ces maisons de naissance.

Dès 1998, le secrétaire d’État à la santé du gouvernement Jospin, Bernard Kouchner, se déclarait favorable à une expérimentation des maisons de naissance, une déclaration d’intention qui resta malheureusement lettre morte. Six ans plus tard, le plan prénatalité pour 2005-2007, conçu en 2004, préconisait la mise en place de structures similaires, à proximité directe de plateaux techniques, mais il faudra attendre six années encore pour qu’un article du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011, censuré par le Conseil constitutionnel au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif, prévoie une expérimentation. C’est à l’occasion de ce dernier débat que les conditions de sécurité figurant dans le présent texte ont été fixées.

Sur 800 000 femmes enceintes chaque année, 3 à 5 % d’entre elles souhaiteraient un accouchement physiologique, au terme d’une grossesse prise en charge dans des conditions sanitaires satisfaisantes mais non invasives. Alors, après tant de tentatives infructueuses, nous devons à l’évidence passer à la vitesse supérieure et mener à bien cette expérimentation et, si les résultats sont concluants, nous devrions évidemment généraliser ce dispositif. C’est tout le sens de la proposition de notre collègue Muguette Dini, qui vise à lancer une expérimentation d’une durée minimale de deux ans et maximale de cinq.

Il ne s’agit pas là, que personne ne s’y trompe, d’une réduction de voilure. Ces structures sont, à l’inverse, particulièrement sûres, même si nous savons que, malheureusement, le risque zéro n’existe pas plus en matière d’accouchement qu’en tout autre domaine. Incontestablement, la sélectivité qui caractérise la prise en charge dans les maisons de naissance permet une adéquation optimale entre les moyens et ressources et les mères. Seules les femmes ne présentant aucune pathologie seront prises en charge dans ces maisons de naissance. En outre, la proximité de ces établissements avec un plateau technique, une clinique ou un hôpital avec lequel une convention est conclue, permet un transfert rapide en cas d’urgence. Un cahier des charges préalablement établi par la Haute autorité de santé doit également permettre d’encadrer les pratiques et de concilier performance et prise en charge sereine et efficace des patientes. Ultime garde-fou, il doit revenir au Gouvernement d’établir la liste des maisons de naissances autorisées, choix fondé sur le respect d’un cahier des charges, l’autorisation de fonctionnement pouvant être suspendue à tout moment par l’agence régionale de santé. Il est inutile de préciser que les personnels médicaux qui y seront intégrés auront été parfaitement formés à l’identification des premiers signes de complication et sauront y faire face. La femme et même le couple seront ainsi accompagnés par un même professionnel, de la première visite prénatale à l’accouchement, de l’accouchement aux soins post-partum.

Voilà donc une proposition de loi qui lie la modestie à la pertinence, sans maltraiter nos finances publiques. C’est une sorte d’atteinte à la quadrature du cercle, et la démonstration est parfaitement claire. Pendant la période d’expérimentation, le coût d’un accouchement serait divisé par deux, soit 600 ou 700 euros en maison de naissance contre 1 200 euros pour une hospitalisation de courte durée, voire 2 000 euros, si celle-ci se prolonge. Si 1,5 % des naissances étaient réalisées dans ces nouvelles structures, ce sont 7 millions d’euros qui seraient économisés chaque année. En se basant sur le coût moyen observé pour un accouchement, avec une durée moyenne de 4,4 jours d’hospitalisation, soit 3 000 euros, l’économie réalisée atteindrait presque 30 millions d’euros par an.

Les maisons de naissance sont donc une sorte de cadeau fait aux parents, aux nouveaux nés, comme aux finances publiques. Faut-il, pour s’en convaincre, observer les pratiques qui ont cours dans d’autres pays ? Aux États-Unis, les maisons de naissance ont été expérimentées dès 1970. Aujourd’hui, plus d’une centaine de ces organismes sont implantés sur le territoire américain. Dix-sept ans plus tard, c’est l’Allemagne qui inaugurait un « centre de naissance librement choisi ». En 2013, 150 maisons de naissance parsèment les Länder allemands, dans un pays où la pratique des accouchements à domicile se développe de plus en plus et où les appareillages médicaux ne sont utilisés qu’en cas de réelle nécessité.

De telles structures essaiment ainsi partout en Europe et même hors d’Europe, États-Unis, Québec, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Hongrie, Italie, Suède, Suisse, et les études publiées par des instituts spécialisés révèlent une sûreté de ces structures et un taux de satisfaction particulièrement élevé chez les familles qui en bénéficient. Il est plus que jamais temps de rattraper notre retard.

Lors de la discussion du texte en commission des affaires sociales, un consensus aussi rare que nos travaux sont animés s’est tout naturellement imposé. Nous espérons qu’en séance publique, par-delà les clivages politiques, l’ensemble des membres de la représentation nationale pourront s’accorder sur les bénéfices de cette proposition de loi, que nous avons souhaitée juste, efficace et innovante. Le fait qu’il s’agisse de réaliser une simple expérimentation et non de pérenniser un nouveau type de structure devrait inciter nos collègues à aller dans notre sens.

À n’en pas douter, c’est aussi ce qu’attendent les Français : surmonter les contingences partisanes, par des solutions consensuelles et innovantes. Ils l’attendent d’autant plus que nous ne parlons pas seulement ici d’un nouveau protocole. Nous parlons d’un changement de mentalités. Le « tout pouvoir », le « tout savoir médical » ont fait leur temps. Ce que recherchent les futurs parents, c’est un climat de confiance et de transparence pour préparer sereinement la venue de leur enfant. Quel plus bel exemple pouvons-nous donner d’une société qui s’humanise dès la première minute de la vie ? Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe UDI votera cette proposition de loi autorisant l’expérimentation des maisons de naissance.

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