Intervention de Isabelle Bruneau

Réunion du 3 décembre 2013 à 17h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Bruneau :

Nous pouvons estimer qu'en période de crise économique, les concours que peuvent apporter les pouvoirs publics aux entreprises en difficultés est essentiel. Néanmoins, cette action bute sur le principe d'une concurrence libre et non faussée. La Commission européenne s'est vue reconnaître par les traités une compétence exclusive dans ce domaine, afin de veiller au respect de ce principe fondateur de l'Union européenne.

Elle a choisi d'encadrer son pouvoir discrétionnaire par la publication de lignes directrices qui permettent aux différents acteurs de connaître ses intentions.

Toutefois, on peut regretter son interprétation très dogmatique du principe de « concurrence libre et non faussée ».

Ce projet de lignes directrices concernant les aides d'État au sauvetage et à la restructuration d'entreprises en difficultés n'échappe pas cette critique : il est long, complexe et imprégné de postulats libéraux, voire ultralibéraux, présentés comme des évidences. Ainsi, par exemple, le marché est décrit comme intrinsèquement vertueux. Les États devraient, par conséquent, se garder de toute intervention susceptible de perturber ses mécanismes régulateurs, qui permettent aux entreprises les plus performantes de se développer.

Or, des entreprises intrinsèquement viables peuvent être mises en difficultés par une concurrence déloyale issue de dysfonctionnements de la législation européenne – ou de l'utilisation qui en est faite – comme, par exemple, en ce qui concerne la directive « détachement ».

Je ne partage pas les présupposés de la Commission européenne qui, devant la crise économique la plus grave depuis la Seconde Guerre Mondiale, ne fait évoluer qu'à la marge sa conception du droit de la concurrence, sans vision claire de politique industrielle.

Je conviens des améliorations apportées par ce texte mais, même si je défends le principe de libre concurrence qui est sain, je n'approuve pas les postulats libéraux dont le bien-fondé peut être débattu. En effet, des entreprises peuvent être en difficulté pour de multiples raisons, qui n'ont rien à voir avec leur efficience sur le marché.

Le fait d'empêcher la sortie du marché d'une entreprise peut également avoir des vertus pour préserver l'existence même de la concurrence, en évitant l'apparition d'oligopoles.

Aussi, je tiens à indiquer mon désaccord avec la philosophie d'ensemble de ce texte, qui, néanmoins, présente des aspects positifs. Indiscutablement, il améliore les précédents mais il nous semble, en même temps, que la Commission devrait se donner plus de latitude d'interprétation pour pouvoir mieux prendre en compte les situations particulières issues de la crise et les phénomènes de concurrence déloyale que sont le dumping fiscal et social auquel se livrent des États membres de l'Union européenne.

Le projet de lignes directrices introduit la notion de soutien temporaire à la restructuration qui permet de mettre à la disposition des PME en difficulté́ un soutien de trésorerie pendant une période supérieure à un délai de six mois.

Le texte invite à formuler des observations sur deux options possibles, pour le remboursement de ce soutien, à savoir un délai de 12 ou de 18 mois. Je vous propose de retenir un délai de 18 mois mais de demander à la Commission européenne qu'elle s'autorise à y déroger au vu de circonstances particulières.

Le deuxième point important à souligner est le fait que le projet de lignes directrices contient de nouveaux filtres conçus pour vérifier que l'aide est accordée dans un intérêt public réel. Ainsi, les aides ne seront jugées d'intérêt public que si elles apportent un réel changement par rapport à la situation qui prévaudrait en l'absence d'aide.

Les États membres auront l'obligation d'effectuer une comparaison avec un scénario ne comportant pas d'aides d'État.

Le troisième point concerne l'aléa moral : le projet de lignes directrices présente deux approches possibles concernant l'obligation, pour les entreprises faisant l'objet d'une restructuration, d'apporter une contribution aux coûts de restructuration sur leurs propres ressources :

– la première approche est générale et exige que les contributions versées par les actionnaires et créanciers historiques soient raisonnables au vu des pertes probables qu'ils auraient subies en cas de faillite ;

– la seconde approche est plus précise et exige que toutes les pertes antérieures soient supportées par les actionnaires et, si cela ne suffit pas, que des créanciers subordonnés y contribuent également.

La deuxième option a retenu ma préférence. En effet, le redémarrage d'une entreprise implique la confiance de ses créanciers. Aussi, me semble-t-il dangereux de les mettre à contribution du fait des difficultés d'accès au financement que pourrait générer la première option.

Enfin, la définition actuelle de la notion d'« entreprise en difficulté́ » renferme à la fois des critères « stricts », objectifs, et des critères « souples », qui requièrent une appréciation plus subjective de la situation de l'entreprise.

Afin d'accroitre la clarté́ et la sécurité́ juridique, le projet de lignes directrices vise à privilégier les critères « stricts » au détriment des critères « souples ».

Je suis en désaccord avec cette conception qui me paraît dangereuse car, la Commission ne doit pas encadrer trop étroitement son pouvoir d'appréciation.

Les autres modifications importantes proposées dans le projet prévoient notamment :

– une augmentation du niveau minimal de rémunération des aides au sauvetage pour inciter les bénéficiaires d'une aide à rembourser celle-ci dès que possible. Il s'agit de taux Libor. Je suis opposée à cette approche qui me paraît contreproductive car le remboursement rapide des aides peut fragiliser une entreprise convalescente ;

– des dispositions plus détaillées sont prévues sur les éléments devant obligatoirement figurer dans un plan de restructuration, qui risquent d'accroître les coûts administratifs des plans de redressement ;

– des mesures visant à limiter les distorsions de concurrence remplacent les «mesures compensatoires» afin de privilégier la préservation de la concurrence sur le marché́ par rapport à la protection des concurrents. Cette proposition me paraît assez pertinente ;

– l'admissibilité́ des aides au titre du régime d'aides au sauvetage et à la restructuration est entendue pour couvrir les entreprises qui ne peuvent pas être considérées comme des PME car elles sont détenues au moins à 25 % par l'État. Là aussi je suis en désaccord avec l'approche de la Commission européenne lorsqu'elle prend en compte la détention de capital par l'État.

En conclusion, la Commission européenne considère qu'« il est dès lors important de faire en sorte que les aides ne soient accordées qu'à des conditions permettant de limiter les effets négatifs potentiels et de favoriser l'efficacité́ des dépenses publiques. » Cette phrase démontre qu'elle occulte complètement le fait que le coût des aides publiques puisse se révéler inférieur au coût d'une faillite pour les finances publiques. Elle n'intègre ni les coûts sociaux ni la dépense liée à la désertification de l'espace.

Le point 10 du projet nous paraît particulièrement inadapté en considérant qu'un pays de l'Union aidant un secteur en difficulté légitime les délocalisations entre pays de l'Union. Or, nous savons parfaitement que les conditions de la concurrence ne sont pas faussées uniquement par les aides d'États.

Il est étonnant que la Commission européenne traite des conditions de la concurrence sans évoquer les questions fondamentales du dumping social, fiscal et monétaire pour les pays de l'Union non membre de la zone euro.

Outre l'adoption des conclusions qui suivent, je vous propose de poursuivre l'analyse de ce thème essentiel par un rapport plus approfondi.

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