Intervention de Brigitte Allain

Réunion du 15 janvier 2014 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Allain, rapporteure :

Je tiens tout d'abord à remercier les services de l'Assemblée nationale qui m'ont accompagnée dans ma tâche.

Cette proposition de loi est complémentaire du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, dont nous avons débattu la semaine dernière en séance publique. Celui-ci encourage fortement l'agroécologie et permettra une utilisation réduite des pesticides par les professionnels ; la présente proposition de loi va plus loin, en actant leur dangerosité pour les utilisateurs et les usagers non agricoles.

Elle touche au coeur de la problématique des produits phytosanitaires et apporte des réponses pragmatiques, concrètes et, je l'espère, consensuelles, au problème souvent négligé de l'emploi des pesticides en zone non agricole.

Les produits phytosanitaires ont nourri le modèle agricole intensif qui domine aujourd'hui encore dans notre pays. S'ils ont pu donner l'illusion d'une solution miracle à leurs utilisateurs, ils ne sont pas simplement de sympathiques boissons énergisantes pour les géraniums souffrant de dépression automnale, mais d'abord et avant tout des produits chimiques actifs, ayant un impact sur le vivant végétal et animal, dont l'application et le dosage exigent de grandes précautions.

L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) s'est saisi des risques sanitaires associés à l'exposition professionnelle aux pesticides en 2013. Son rapport est tout sauf rassurant. L'existence d'un lien entre exposition aux pesticides et certaines pathologies de l'adulte paraît ainsi avérée, qu'il s'agisse de la maladie de Parkinson, du cancer de la prostate ou de certains cancers affectant les cellules sanguines. Par ailleurs, l'exposition aux pesticides au cours des périodes prénatale et périnatale, et lors de la petite enfance, représente un risque considérable pour le développement de l'enfant, notamment de maladies endocriniennes pouvant entraîner un handicap à vie.

Face à ces enjeux sanitaires, l'engagement avait été pris, dans le cadre du Grenelle de l'environnement, de réduire l'utilisation des pesticides en zone agricole de moitié en dix ans - soit entre 2008 et 2018 – et de retirer du marché les préparations contenant les 53 substances actives les plus préoccupantes, à condition que des produits substituables existent. Le plan Écophyto 2018 a été présenté par les pouvoirs publics le 10 septembre 2008. Sa mise en oeuvre suit aujourd'hui son cours, même s'il apparaît d'ores et déjà que l'objectif d'une réduction de moitié des pesticides agricoles ne pourra être tenu. Une nouvelle version devrait en être présentée sous peu ; notre collègue Dominique Potier, président du comité consultatif de gouvernance du plan, s'est saisi du sujet.

En zone non agricole, où la mise en oeuvre de cette démarche est assurée par le ministère chargé de l'écologie, diverses actions ont été engagées en 2010 : signature d'un accord-cadre relatif à l'usage des pesticides par les jardiniers amateurs, lancement d'une campagne de communication nationale à destination de ces mêmes jardiniers amateurs, signature d'un autre accord-cadre relatif à l'usage professionnel des pesticides en zone non agricole. Lors de son discours de clôture de la conférence environnementale de septembre 2013, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a confirmé que l'objectif demeurait bien « d'aller vers la suppression des produits phytosanitaires en ville ». Des villes comme Paris ou Nantes ont fait figure de précurseurs en s'engageant dans cette voie bien avant les plans gouvernementaux ; le mouvement « zéro phyto » est désormais en marche dans de nombreuses collectivités. Enfin, le rapport de la mission d'information sénatoriale sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement, qui comporte une centaine de propositions que je tiens à saluer, a été adopté à l'unanimité.

La présente proposition de loi, présentée par notre collègue sénateur Joël Labbé et les membres du groupe écologiste, s'inscrit dans la continuité de ces actions. Elle entend franchir une étape supplémentaire en se concentrant sur la problématique sanitaire et environnementale de l'usage non agricole des pesticides et en poursuivant un double objectif : faire passer les personnes publiques de l'utilisation de produits phytosanitaires à des techniques de gestion alternatives pour l'entretien de leur espaces verts, forêts et promenades, et prohiber la commercialisation et l'utilisation des pesticides pour un usage non professionnel.

L'article 1er introduit donc le principe selon lequel il sera interdit aux personnes publiques – à savoir l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que leurs établissements publics – d'utiliser ou de faire utiliser des produits phytopharmaceutiques pour l'entretien des espaces verts, des forêts ou des promenades accessibles ou ouverts au public et relevant de leur domaine public ou privé. Afin de leur laisser le temps de s'adapter et de s'organiser, cette disposition n'entrera en vigueur qu'au 1er janvier 2020. C'est le temps nécessaire pour associer les professionnels des jardins et mettre en place des plans de formation et de gestion différenciée des espaces. Il ressort en effet de nos échanges avec les collectivités locales que le volet « formation » revêt une grande importance.

Pour l'entretien des voies ferrées, des pistes d'aéroport ou des autoroutes, l'utilisation des produits phytosanitaires demeurera en revanche possible du fait des enjeux de sécurité publique qui y sont attachés – même si à titre personnel, je souhaite que les organismes gestionnaires de ces espaces s'engagent spontanément dans la recherche de solutions alternatives. Réseau ferré de France a déjà fait des efforts en ce sens et nous ne pouvons qu'encourager les autres organismes à suivre son exemple.

Une dérogation est également prévue au bénéfice de certains produits peu impactants, comme les produits de biocontrôle figurant sur une liste établie par l'autorité administrative, auxquels notre collègue Antoine Herth avait consacré un rapport il y a trois ans, les produits « à faible risque » au sens de la réglementation de l'Union européenne, et les produits dont l'usage est autorisé dans le cadre de l'agriculture biologique. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec M. Herth dans le cadre de la préparation de mon rapport et je l'en remercie.

Enfin, cette interdiction générale ne s'appliquera pas aux traitements et mesures nécessaires à la destruction et à la prévention de la propagation des organismes nuisibles. En cas d'urgence sanitaire, les personnes publiques pourront donc continuer de faire appel aux pesticides chimiques classiques jusqu'à ce que la menace soit enrayée.

L'article 2 complète l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime pour prévoir l'interdiction de la mise sur le marché, de la délivrance, de l'utilisation et de la détention des produits phytopharmaceutiques pour un usage non professionnel, et instaure un dispositif de sanctions en cas de non-respect de cette interdiction.

L'article 3 prévoit le dépôt, par le Gouvernement et avant le 31 décembre 2014, d'un rapport examinant les freins juridiques et économiques empêchant la fabrication et la commercialisation des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) comme le purin d'ortie ou la prêle, qui correspondent, dans la réglementation européenne, aux substances à faible risque visées par le règlement du 21 octobre 2009. À ce jour, aucune PNPP n'a pu être acceptée dans le cadre de cette procédure, que son coût et sa lourdeur rendent inadaptée à cette catégorie de préparations.

Enfin, l'article 4, ajouté à l'initiative du rapporteur du Sénat, a pour objectif de prévoir une entrée en vigueur différée des articles 1er et 2 – respectivement en 2020 et 2022.

Le texte a d'ailleurs reçu un excellent accueil au Sénat, où il a été adopté dans des conditions proches du consensus. Le caractère pragmatique et aisément compréhensible du dispositif et les délais laissés à chacun des acteurs pour s'adapter à ce nouvel environnement juridique n'y sont sans doute pas étrangers. J'espère qu'il en sera de même aujourd'hui dans notre commission, et la semaine prochaine en séance publique.

Afin de faciliter l'adoption du texte, qui deviendrait définitif s'il était voté conforme la semaine prochaine, j'ai fait le choix de ne déposer aucun amendement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion