Intervention de Clotilde Valter

Réunion du 17 juillet 2013 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClotilde Valter, rapporteure :

Cette proposition de loi est le fruit d'un long travail parlementaire, engagé en février 2012 par François Hollande et Jean-Marc Ayrault, alors députés, et repris ensuite autour de François Brottes qui en a été le principal artisan et dont je salue l'implication. Je salue également la présence de notre collègue Jean-Marc Germain, que je remercie de son aide précieuse.

Ce texte s'inscrit dans la perspective, ouverte par le Président de la République, de redressement de notre économie et plus particulièrement de notre industrie, avec l'adoption du Pacte pour la compétitivité, la croissance et l'emploi, la création de la Banque publique d'investissement, l'accord national interprofessionnel et la loi pour la sécurisation du marché du travail.

La proposition a une portée symbolique extrêmement forte car nombre de nos territoires ont subi des fermetures de sites qui ont été autant de traumatismes pour les salariés, les habitants et les élus, à la mesure des 750 000 emplois industriels perdus en dix ans en France.

L'État doit être le protecteur des entreprises et des salariés. Il s'agit, par cette proposition, de marquer notre volonté d'ouvrir une nouvelle phase pour notre économie, celle du redressement et de la reconquête, de deux manières. La première est le redressement productif, qui tend à favoriser, chaque fois que possible, la reprise de sites rentables pour préserver l'activité économique, l'emploi, les savoir-faire et nos territoires. La seconde est la stabilisation de l'actionnariat des entreprises dans la durée, pour privilégier leur intérêt social et leur stratégie de long terme en les préservant des opérations purement financières. Il s'agit d'assurer la primauté de l'économie réelle sur la finance ; de ce point de vue, cette première étape devrait être suivie d'autres.

Nous sommes nombreux ici à avoir été confrontés à des fermetures de sites, drames industriels et humains mais aussi causes d'appauvrissement des territoires et, souvent, de disparitions de savoir-faire industriels. Quand est concerné un site rentable, les salariés, les élus et les habitants font face à l'incompréhensible, à l'absurde, à l'inacceptable. C'est à quoi nous voulons répondre par ce texte, pour garantir la recherche effective d'un repreneur avec la mise au point d'une procédure ad hoc et en instituant un mécanisme dissuasif : la sanction financière prononcée par le tribunal de commerce à l'encontre des entreprises qui refuseraient une offre de reprise sérieuse ne portant pas atteinte à la poursuite de l'activité et de l'emploi du groupe.

Notre préoccupation a été double. D'une part, concilier des principes de valeur constitutionnelle que sont la liberté d'entreprendre, le droit à l'emploi et le droit de propriété ; d'autre part, assurer la cohérence entre cette procédure nouvelle et celle retenue lors de la signature de l'accord national interprofessionnel et qui a été reprise à l'article 19 de la loi sur la sécurisation de l'emploi. Cet article énonce le principe de l'obligation de recherche d'un repreneur en associant le comité d'entreprise à cette recherche et en la complétant avec une procédure spécifique, une sanction – les partenaires sociaux n'ayant pas souhaité aller plus loin lors de la négociation.

Le dispositif se déroule en deux étapes : la recherche d'un repreneur suivie de la vérification et de la sanction. Le schéma joint au dossier de séance montre comment nous l'avons articulé avec la procédure de licenciement collectif.

Pour la recherche d'un repreneur, une obligation de moyens est imposée à l'entreprise. La procédure institutionnalise la phase de recherche, à laquelle sont associés les salariés, l'État et d'autres acteurs extérieurs, tels les élus locaux. La qualité de la recherche en est améliorée, et le diagnostic est partagé par l'ensemble des acteurs. En permettant d'explorer toutes les solutions, y compris la reprise par les salariés, et de faire émerger des solutions de reprise innovantes, la nouvelle procédure multiplie les chances de maintenir l'emploi industriel. D'une durée de trois mois, elle peut commencer avant celle du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). Elle s'enclenche devant le comité d'entreprise au plus tard le jour de l'information-consultation en vue du PSE.

Ensuite s'ouvre une phase juridictionnelle de vérification et de sanction. La procédure prévoit le recours au juge en cas de conflit entre l'employeur et les salariés qui peuvent, par le biais du comité d'entreprise, saisir le tribunal de commerce au cas où l'employeur n'aurait pas donné suite à une offre considérée comme sérieuse. Ce dispositif donne une garantie d'impartialité à la procédure. Le contrôle par le juge des actions engagées par l'employeur aux fins de reprise et la perspective d'une sanction financière ont une logique économique : la menace de la sanction contraint l'entreprise à intégrer cette perspective et à conclure avec un repreneur en l'absence de motif susceptible d'être retenu par le tribunal. La procédure dissuade donc les entreprises de fermer des sites quand existent des possibilités de maintenir l'activité.

Nous proposerons de compléter le dispositif par des amendements. Les uns sont techniques. D'autres, de précision, tendent à définir ce qu'est une offre sérieuse, les conditions dans lesquelles une entreprise peut à juste titre refuser la cession, le montant de la pénalité et son affectation. D'autres enfin visent à compléter le texte pour tenir compte des expériences de terrain.

L'impact potentiel du dispositif est important, en raison du champ retenu, celui des entreprises de plus de 1 000 salariés, qui correspond au seuil de l'obligation de revitalisation. Il couvre 15 % des PSE mais 30 % des suppressions d'emplois dans ce cadre ; l'impact est donc fort pour les salariés et les territoires. D'autre part, le dispositif garantit une recherche sérieuse et, surtout, menée à son terme, avec une sanction dissuasive en cas de refus de reprise ; la sanction financière modifie les paramètres de la décision de l'entreprise puisqu'elle peut entraîner un coût double de celui d'un PSE dont le coût moyen est de 27 000 euros, soit 19 SMIC. Par ailleurs, le dispositif fait prévaloir le dialogue social sur le conflit avec un diagnostic partagé et une association étroite des salariés à la recherche.

Le deuxième volet du texte tend à évoluer vers un nouveau modèle de gouvernance des entreprises. Les excès de la finance, avec le déficit de régulation et la priorité donnée à la rémunération des actionnaires et aux décisions de court terme, mettent en danger les entreprises et les salariés. Dans certains cas, les intérêts des actionnaires vont à l'encontre des intérêts de long terme des entreprises, de leurs salariés, de nos territoires et de nos filières industrielles. Une série de rapports et d'ouvrages récents ont souligné cette préoccupation : le rapport d'information du sénateur Christian Gaudin en 2007, l'ouvrage que Jean-Louis Beffa est venu nous présenter en 2012, le rapport de Louis Schweitzer et Olivier Ferrand publié en juillet 2012, le rapport remis par Louis Gallois au Premier ministre en novembre 2012…

Par ce nouveau modèle de gouvernance, nous recherchons le bon équilibre entre une attractivité indispensable pour attirer des capitaux, notamment étrangers, afin de financer notre économie, et la protection des investisseurs qui, lorsqu'ils s'engagent dans la durée, protègent mieux les entreprises, les salariés, nos filières industrielles et nos territoires. La situation est particulièrement préoccupante en France où les entreprises sont d'autant plus exposées aux risques d'instabilité que l'actionnariat est trop faible. Il demande à être particulièrement protégé.

Notre texte dit notre volonté de restaurer le primat de l'économie réelle sur la finance, en préservant et en confortant les actionnaires de long terme ou historiques ; en donnant à nos entreprises les moyens de lutter contre les prises de participation hostiles ou rampantes ; en conférant plus de poids aux salariés – et nous déposerons un amendement en ce sens ; en engageant enfin une réflexion sur notre capacité à protéger celles de nos entreprises industrielles dont l'activité est considérée comme stratégique mais dont les faiblesses sont connues, en nous dotant des outils adéquats.

En abaissant à 25 % le seuil de déclenchement obligatoire des OPA pour mettre un terme aux contrôles de fait, le dispositif permet de lutter contre les OPA rampantes. Il généralise aussi le droit de vote double pour les actions inscrites au nominatif au bout de deux ans de détention, donnant ainsi suite aux conclusions du rapport Gallois et au rapport de MM. Jean-Michel Clément et Philippe Houillon établi au nom de la mission d'information de la commission des lois. Enfin, le dispositif associe les salariés aux procédures d'OPA en renforçant les prérogatives du comité d'entreprise : s'il considère l'offre comme hostile, il pourra demander la désignation d'un médiateur.

Nous proposerons une série d'amendements sur cette partie du texte, visant à tenir compte des auditions que nous avons menées.

J'appelle l'attention sur le fait que ce texte ne constitue pour nous qu'une première étape. Nos entreprises sont manifestement moins bien protégées que certaines de leurs concurrentes étrangères, notamment dans le domaine de la défense et dans d'autres secteurs stratégiques. Le rapport rendu par notre collègue Jean Grellier au nom de la commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes montre que certaines OPA hostiles ont eu des effets pour les salariés, les filières et la maîtrise de notre indépendance. Nous devons en tirer les conséquences et réfléchir aux outils dont nous pourrions nous doter à l'avenir. Nous déposerons un amendement en ce sens, en demandant au Gouvernement un rapport d'évaluation du mécanisme d'action spécifique et des autres dispositifs mis en place depuis quelques années pour permettre à l'État d'avoir le contrôle sans être actionnaire majoritaire. C'est un moyen de marquer notre volonté d'aller plus loin.

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