Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 22 janvier 2014 à 15h00
Ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quelques semaines, en septembre, le Parlement européen adoptait un rapport invitant tous les États qui ne l’ont pas encore fait à ratifier ou mettre en oeuvre la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Une majorité écrasante, comme il ne s’en dégage que très exceptionnellement à Strasbourg, s’est retrouvée pour l’adopter : 645 voix pour, 26 voix contre, 29 abstentions. Seule l’extrême-droite s’y est opposée, de même qu’une poignée de membres du PPE, ainsi qu’un élu, un seul, de gauche : Jean-Luc Mélenchon.

Nos travaux s’inscrivent dans la perspective de ce vote. Je souhaite que nous sachions créer, ici aussi, les conditions d’une majorité massive pour l’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle.

La défense et la promotion des langues régionales unissent toutes celles et tous ceux qui ont à coeur de promouvoir une société française réconciliée avec la multiplicité de ses racines, de ses héritages et de ses modes d’expression.

Elle est le refus de la norme sclérosante, de l’inconcevable fatuité de ceux qui se croient autorisés à imposer l’uniformité, du sectarisme aveugle de ceux qui s’en font les gardiens zélés.

Mon intention ici n’est pas de tenter de convaincre ceux qui le sont déjà – farouches détracteurs ou soutiens inconditionnels de la charte. L’entreprise serait vaine.

Mon propos entend s’adresser à tous ceux qui, au sein de cet hémicycle, assistent à un débat qui ne suscite en eux nulle passion particulière et dont ils ne se sentent pas forcément partie prenante.

Je veux m’adresser à eux car c’est de leur suffrage que dépendra la ratification ou non de la charte.

Mon message est simple : aucun des procès en sorcellerie que l’on intente à la charte n’a de réel fondement. Permettez-moi de les énumérer, un à un.

L’on nous dit que ces langues sont mortes, poussiéreuses et qu’elles ne sont plus que le reflet d’une époque heureusement révolue.

La vérité est qu’elles comptent encore beaucoup de locuteurs, même si, malheureusement, leur nombre est en constante et rapide régression.

Les chiffres qui datent de 1999 nous apprennent ainsi que 1 600 000 personnes parlent l’occitan, qu’elles sont 900 000 à parler l’alsacien, 680 000 le breton, 170 000 le catalan et le corse, 80 000 le basque.

Et je ne peux pas citer les langues parlées dans les outre-mer car par l’une de ces aberrations dont notre système de statistiques a le secret, nous manquons de données quantitatives permettant d’en évaluer précisément le rayonnement.

On nous dit encore que ces langues ne sont qu’un ramassis composite de patois informes inaptes à transmettre la moindre pensée quelque peu élaborée, la moindre oeuvre littéraire quelque peu aboutie.

La vérité est que l’ensemble des linguistes insistent au contraire sur leur grande richesse syntaxique et sémantique.

Les littératures en langue régionale constituent une part tout à fait digne d’intérêt du patrimoine culturel de la France, qu’il s’agisse de littérature populaire orale ou de littérature savante.

Je pourrais évoquer dans cette perspective le Barzaz Breiz, ce recueil de chants bretons, épiques et lyriques, rassemblés par Théodore de La Villemarqué en 1839.

Et si le breton n’est enseigné dans aucune de nos prestigieuses universités parisiennes, il l’est en revanche aux États-Unis à Harvard et au Royaume-Uni à Oxford et à Cambridge.

On nous dit encore que les langues régionales sont condamnées par la mondialisation, que c’est peut-être triste mais que personne n’y peut rien.

La vérité est qu’il n’y a aucune fatalité à un tel processus.

Certes, on peut légitimement parler d’une crise mondiale des langues.

Cependant l’expérience révèle que lorsque les conditions sont réunies, le déclin d’une langue peut être enrayé.

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