Intervention de Aurélie Filippetti

Séance en hémicycle du 22 janvier 2014 à 15h00
Ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Présentation

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

Autrement dit, avoir une langue commune ne signifie pas parler une langue unique.

La ratification de la Charte n’a nullement vocation à faire tomber nos principes constitutionnels les plus sacrés, contenus dans les premiers articles de la Constitution, fruits de notre histoire républicaine. Il ne s’agit en aucune manière de porter atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi, ni d’ouvrir des droits nouveaux à tel ou tel groupe sur des territoires déterminés. Les langues régionales sont le patrimoine indivis de la nation tout entière. Il s’agit plus simplement de reconnaître la pluralité linguistique interne de notre pays et d’en permettre l’expression en donnant aux langues régionales les moyens d’exister. C’est pourquoi la proposition de M. le rapporteur, qui prend soin de garantir le respect de ces principes après la ratification de la Charte, recueille un avis plus que favorable du Gouvernement.

Mesdames et messieurs les députés, l’attention portée à la pluralité des langues et aux dangers qui la menacent est une marque de notre époque. Elle touche tous les pays et tous les niveaux d’organisation politique et sociale. La Convention de l’Unesco de 2005 sur la diversité culturelle affirme dans son préambule que « la diversité linguistique est un élément fondamental de la diversité culturelle ». La Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel inclut explicitement les langues dans le périmètre de contenus pour lesquels les pays signataires s’engagent à prendre les mesures nécessaires à leur sauvegarde.

De son côté, l’Union européenne ne se conçoit que dans le respect de la pluralité linguistique, qui constitue en quelque sorte son patrimoine génétique et représente aussi l’un de ses principaux attraits culturels. On ne compte plus les communications, les résolutions et les avis de la Commission et du Parlement européen qui visent à mieux faire connaître la situation concrète des langues et à construire des stratégies en faveur du multilinguisme, toujours identifié comme un atout pour le développement régional.

C’est un point sur lequel on n’insiste pas assez, parce qu’on en découvre seulement les virtualités : la mise en valeur de leurs ressources linguistiques a toujours des retombées très heureuses sur le développement global des territoires. C’est un facteur d’attractivité. Nous n’en sommes pas encore assez convaincus en France, où l’on croit toujours que l’anglais est le sésame qui permettra de commercer partout dans le monde, mais comment imaginer que l’on viendrait en France pour y découvrir ce que l’on peut trouver ailleurs ?

L’attrait du Pays basque, de l’Alsace, de la Bretagne ou de la Corse tient aussi à leur personnalité au sein de l’ensemble français, et les particularismes linguistiques de ces territoires n’y entrent pas pour peu de chose. Nos concitoyens y sont légitimement attachés.

Attendue depuis de longues années par tous ceux qui militent pour donner un espace d’expression accru aux langues régionales dans notre pays, la ratification de la Charte peut contribuer à clarifier le statut de ces langues, et à faire vivre la pluralité linguistique interne de la France, en favorisant l’application des mesures auxquelles la France a souscrit en signant la Charte il y a maintenant près de quinze ans. Elle peut permettre de clarifier le droit pour libérer les pratiques. Car aujourd’hui, on le constate, il y a souvent une forme d’autocensure de la part d’un certain nombre d’institutions et d’administrations qui, finalement, refrènent, empêchent, entravent l’usage des langues régionales, alors qu’il serait déjà possible dans de nombreux cas.

Le moment est venu de rompre une fois pour toutes avec l’idée qu’apprendre une langue implique d’en désapprendre une autre. Et de renouer avec l’idée selon laquelle c’est une pluralité de langues qui, au côté du français, peut donner à notre pays son vrai visage, celui d’une nation ouverte sur le monde, confiante, fière de la richesse de son patrimoine, qui fait de son histoire une clé pour s’adapter aux défis de la modernité.

Apprendre et pratiquer une langue régionale, ce n’est pas s’enfermer dans un territoire : c’est au contraire se mettre en rapport avec une mémoire, une culture qui donnent accès à un universel. C’est aussi, on l’ignore trop souvent, se donner des atouts pour apprendre d’autres langues – et ce, évidement, plus l’apprentissage en est précoce.

Notre conviction est que la pluralité des langues est une chance pour notre pays. En faire le constat, ce n’est en rien méconnaître le rôle que joue la langue française dans la construction de la nation, ni nier la nécessité de promouvoir son emploi et d’oeuvrer pour sa maîtrise. Ce n’est en aucune manière porter atteinte à la primauté du français, et j’observe que votre rapporteur, dans sa proposition de loi, prend la précaution d’en garantir l’usage, notamment dans les services publics. Il ne s’agit nullement de donner un statut de co-officialité à d’autres langues que le français.

Mais au côté du français – l’indispensable outil de notre cohésion et de notre rayonnement, le bien commun sur lequel nous entendons exercer une vigilance particulière –, nous devons créer les conditions d’exercice dans notre pays d’une véritable pluralité linguistique, qui peut contribuer à son essor économique et culturel.

La proposition qui nous est soumise aujourd’hui vise à articuler l’unité politique de la nation et la nécessaire reconnaissance de sa diversité culturelle. Il ne s’agit pas de diviser, mais d’unir. La République ne doit transiger sur aucune des valeurs démocratiques qui la fondent, mais parmi ces valeurs, il y a l’égale dignité de toutes les langues. Si elle est « une et indivisible », elle est aussi extrêmement diverse, à travers ses langues, ses cultures et ses territoires. Et nous en sommes fiers. Concilier l’unité et la diversité, la langue de la République et la République des langues, tel est le défi qui nous réunit enfin aujourd’hui et que nous allons, ensemble, relever.

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