Intervention de Axelle Lemaire

Séance en hémicycle du 30 janvier 2014 à 15h00
Débat sur la protection de la vie privée à l'heure de la surveillance numérique commerciale et institutionnelle.

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAxelle Lemaire :

« J’instituerai un habeas corpus numérique qui garantira les droits et les libertés de chacun face à l’entrée dans nos vies des nouvelles technologies. » Ainsi s’exprimait François Hollande dans son discours sur la justice le 6 février 2012. La question du compromis à trouver entre la liberté, d’une part, et la sécurité, de l’autre, est vieille comme le monde, mais le dualisme de ces notions trouve à s’exprimer de manière particulièrement aiguë depuis l’avènement des technologies d’information et de communication dont le potentiel d’intrusion dans la vie privée à des fins de protection de l’État, de la société et des justiciables ou de recherche de bénéfices commerciaux est particulièrement fort.

L’affaire Snowden a eu le mérite d’inscrire la question dans le débat public à l’heure où les menaces sur la sécurité, en particulier les menaces terroristes, se font plus diffuses et plus difficiles a cerner, où les manifestations de haine sur les réseaux sociaux prennent une ampleur inégalée et menacent elles-mêmes les libertés au nom de la liberté d’expression et où les acteurs du numérique, ceux que l’on dénomme les « géants du Net », jouent un rôle décisif dans l’édiction des normes applicables.

On constate que les principes qui ont jusqu’à présent guidé le fonctionnement des réseaux d’information sont bousculés et que le législateur peine à apporter une réponse globale et toujours cohérente, comme l’ont démontré les épisodes successifs et récents relatifs à la loi de programmation militaire, à la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes ou encore au projet de loi relatif à la géolocalisation. Dans ce contexte, c’est une bonne nouvelle que celle de l’inscription de la neutralité de l’internet dans la loi, de l’affirmation du principe d’un internet ouvert, du financement des infrastructures et des écosystèmes.

Mais la difficulté à appréhender ces sujets est d’autant plus grande que le temps du politique et de la démocratie n’est pas celui du numérique, de l’innovation et des investissements rapides des capital-risqueurs, que souvent les milieux politiques et numériques se connaissent mal, que, dans ce domaine plus encore que dans d’autres, les sources normatives, locales, nationales, européennes, soft law s’empilent et parfois se contredisent et que le sujet concerne plusieurs ministères. Vous le savez, madame la ministre, il est difficile de faire exister et vivre ce sujet avec une approche aussi complexe.

Le 28 février 2013, le Gouvernement a présenté sa feuille de route numérique autour de trois axes forts : une action résolue pour la jeunesse, une économie plus compétitive grâce au numérique et des valeurs préservées et renforcées. Le projet de loi que vous avez annoncé doit répondre en particulier à ce troisième enjeu. Je me réjouis de l’ambition que vous souhaitez lui donner en impliquant toutes les parties prenantes dans le cadre d’un large processus de consultation.

Cette démarche devra, il me semble, contraster avec celle de la Commission européenne qui, pour rédiger son projet de règlement relatif aux données personnelles, n’a pas suffisamment inclus les États et les acteurs industriels européens. La nécessité d’un arbitrage clair entre les besoins de sécurité et les besoins de liberté se fait particulièrement ressentir en matière de lutte contre la cybercriminalité, de détention et d’usage des fichiers publics et privés, de sécurité des réseaux, d’ouverture des données publiques et de protection des données personnelles.

Le recours massif à la géolocalisation impose de redéfinir le cadre général de cette technique, y compris lorsque son origine est privée – peut-être plus encore lorsque son origine est privée – et qu’elle s’accompagne de traçabilité ou de techniques de profiling sans le consentement de l’intéressé. Au coeur de ces questions se trouve forcément – du moins je l’espère – celle des moyens matériels et humains mis à disposition des autorités publiques – la CNIL ou l’ANSSI – et des forces de l’ordre pour effectuer leur travail de contrôle de la conformité des comportements aux obligations légales et de recherche des auteurs de délits et de crimes.

A l’heure du big data et de la commercialisation des données, l’arbitrage entre sécurité et liberté implique aussi de définir les frontières entre données publiques et données privées. L’ouverture des données publiques permettra une refonte et une dynamisation de l’action de l’État et une plus grande transparence de l’action publique, ce qui renforcera la confiance des citoyens. Il conviendra, là aussi, de redéfinir, lors de la transposition de la directive européenne dans notre droit, le cadre juridique applicable en ce domaine.

Concernant les données personnelles, on connaît désormais le besoin de protection revendiqué par les citoyens. Or, si la liberté nous est chère, le premier mot de notre devise républicaine semble actuellement quelque peu malmené, notamment par certaines pratiques commerciales. Ce règlement européen, qui n’a pas fait l’objet d’un accord, a été amélioré grâce au travail du Parlement européen, mais se pose la question de la date de sa mise en oeuvre en France. Considérant les délais d’application, faut-il envisager une loi française sur les données personnelles incluant le consentement exprès, le droit à l’oubli, la portabilité des données, les transferts internationaux, un niveau de sanctions plus élevé pour l’utilisation des données sans consentement, la suppression de la déclaration auprès de la CNIL pour les meilleures coordinations entre les autorités de régulation, voire la création d’une action collective dans le numérique ?

La France se dote-t-elle d’une stratégie d’influence suffisante pour convaincre ses partenaires européens qu’un niveau élevé de protection pour les usagers et les entreprises peut être facteur d’attractivité et de compétitivité et que toute réglementation, en ce domaine, n’est pas forcément nuisible ? C’est vrai pour Bruxelles, ça l’est aussi pour les négociations sur le partenariat transatlantique. J’espère que la France saura faire entendre sa voix protectrice et attractive en ce domaine.

1 commentaire :

Le 09/04/2014 à 17:33, Latif Ladid a dit :

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l' espace d' adressage Internet IP (v4) a déjà fondu à zero depuis Février 2011 et pourtant seul FREE a adopté la nouvelle version 6 (IPv6). habeas corpus numérique est nul et caduque sans nouvelles adresses IPv6.

voir recommendations à tous les gouvernements dans ce site de l' IUT: http://www.itu.int/en/ITU-D/Conferences/GSR/Documents/GSR_paper_theNeedforMoreIP%20Addresses_fin.pdf

Sincérement vôtre.

Latif Ladid

President, Forum IPv6: http://www.ipv6forum.com/

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