Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 30 avril 2014 à 15h00
Modification de la loi no 2007-1545 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous sommes réunis cet après-midi pour examiner une proposition de loi qui nous vient du Sénat et dont l’auteure est Catherine Tasca. Je tiens d’emblée à remercier Mme Laurence Dumont, votre rapporteure, dont le travail a considérablement amélioré et enrichi ce texte.

Le but est de consolider et de renforcer l’autorité administrative indépendante que constitue le contrôleur général des lieux de privation de liberté, créé par la loi d’octobre 2007. Pour se faire, la proposition de loi s’est appuyée sur le bilan du premier contrôleur général des lieux de privation de liberté, auquel il nous est agréable de rendre hommage, à quelques mois de la fin de son mandat –mandat unique, rappelons-le. Par son travail de très grande qualité, M. Jean-Marie Delarue a donné une envergure considérable à cette belle et haute fonction.

Le ministère de la justice a naturellement été, depuis maintenant un peu moins de deux ans, extrêmement attentif à ses observations. Nous avons noué avec lui un dialogue fécond et bénéficié de la diligence avec laquelle il a visité les lieux de privation de liberté et produit ses observations. Certaines d’entre elles, faites verbalement, ont été prises en compte par l’administration pénitentiaire avant même que le rapport écrit ne soit publié. Nous avons entretenu ce dialogue en l’informant régulièrement des dispositions que nous prenions. Nous pouvons même nous vanter d’avoir parfois corrigé des appréciations contenues dans certains rapports – je pense notamment à un rapport de novembre 2013 relatif aux fouilles, encadrées par l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009.

Il est à noter que la création de cette autorité administrative indépendante s’est inscrite dans la continuité d’une dynamique engagée dans les années 1980, à l’initiative notamment du garde des sceaux et ministre de la justice Robert Badinter, à qui l’on doit, entre autres choses, la suppression des dispositifs de séparation dans les parloirs. Jusqu’en 1983, souvenons-nous, lorsque les familles rendaient visite aux personnes détenues, un dispositif de séparation leur interdisait tout contact. Or il est essentiel de maintenir les liens familiaux pour préparer la réinsertion, car si l’enfermement et l’incarcération sont synonymes de retrait de la société, ils doivent aussi, paradoxalement, préparer à la réinsertion, et donc à un retour dans la société. Toutes les dispositions doivent donc être prises, durant le temps de l’incarcération, pour maintenir une vie sociale à l’intérieur même de cet univers clos – même si cette vie sociale n’a rien de commun avec une vie sociale normale –, mais aussi pour entretenir des liens avec l’extérieur : les liens familiaux, ainsi que certains liens sociaux, assurés notamment par les visiteurs de prison, mais également par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, par les parlementaires qui peuvent se rendre dans les établissements pénitentiaires, ou par les associations qui interviennent dans divers domaines, comme la lecture par exemple. Il est nécessaire de créer une vie sociale à l’intérieur de l’univers clos de la prison, mais aussi d’entretenir des relations avec l’extérieur, de façon à ce que le retour dans la société se fasse avec le moins de heurts possible.

Cette dynamique s’est poursuivie par la suite, et à l’attention portée au maintien des liens familiaux s’est ajoutée l’entrée dans les établissements pénitentiaires de contrôleurs spécialement attachés à ces établissements, mais aussi de contrôleurs externes. Outre l’inspection des services pénitentiaires, l’autorité judiciaire peut également se rendre à tout moment dans les établissements pénitentiaires, tout comme le préfet, ou encore un représentant de la commission d’accès aux documents administratifs, de la CNIL ou de l’inspection du travail. Il est indispensable de rappeler que la prison est une institution républicaine : à ce titre, elle doit respecter des règles de droit, sous le contrôle de celles et ceux à qui la loi en donne mission.

Il importe à ce sujet de souligner le rôle du tribunal et du juge administratifs qui, depuis le milieu des années 1990, ont sensiblement réduit le champ de ce que l’on appelle le contrôle intérieur, c’est-à-dire la possibilité pour l’autorité pénitentiaire de décider de toute une série de dispositions à appliquer au sein de l’univers carcéral. Le juge administratif s’y immisce de plus en plus : il intervient par exemple dans des décisions de transfert et d’affectation, ou encore lorsqu’un détenu est placé sous une surveillance renforcée. En clair, nous sommes dans la droite ligne de la dynamique enclenchée dans les années 1980, et qui consiste à reconnaître que le détenu qui subit une privation de liberté à la suite d’une décision de justice ne doit pas être privé de ses autres droits, et notamment de ses droits civiques et sociaux. La loi de 1994, par exemple, qui lui a apporté une protection sociale, a ainsi consolidé ses droits sociaux.

La création du contrôleur général des lieux de privation de liberté va d’ailleurs au-delà des engagements qu’a pris la France lorsqu’elle a ratifié le protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants de 2006. La loi de 2007 va plus loin, puisqu’elle confie au contrôleur général non seulement la surveillance et le contrôle de ces éventuelles pratiques, mais également la vérification du respect des droits fondamentaux des détenus. Le contrôleur général des lieux de liberté a été conçu, au fil des années, sur la base d’une série de travaux de très grande qualité, qu’il s’agisse de textes d’origine parlementaire, émanant aussi bien du Sénat que de l’Assemblée – à l’Assemblée, ce fut le rapport de MM. Louis Mermaz et Jacques Floch, d’une proposition de loi, du rapport de Guy Canivet, ou encore de l’ouvrage du docteur Véronique Vasseur, qui a eu un grand retentissement. Tous ces travaux ont contribué à penser la nécessaire introduction d’un contrôle des lieux de privation de liberté.

Conformément aux dispositions prévues par la loi d’octobre 2007, M. Delarue a eu la possibilité d’émettre des recommandations, y compris des recommandations d’urgence dans les cas les plus graves, mais aussi des avis thématiques, ce qu’il a fait sur des sujets aussi divers que la situation des mineurs, le droit de communiquer par téléphone ou l’accès aux lieux de culte. Ces avis n’ont pas de caractère comminatoire, mais ils alimentent la réflexion du ministère de la justice et de l’administration pénitentiaire et nous permettent d’améliorer les choses. Le contrôleur général rédige également un rapport annuel, dans lequel il fait des préconisations, auxquelles nous accordons la plus grande attention.

Je ne passerai pas en revue l’ensemble de ces recommandations, même si certaines d’entre elles sont extrêmement importantes et ont donné lieu à des actions d’envergure de la part du ministère de la justice. Ce que je veux dire en tout cas, c’est qu’à chaque fois que nous sommes interpellés par le contrôleur général, nous prenons très au sérieux ses observations, au point de lui faire des réponses extrêmement circonstanciées et précises – parfois même trop longues… Par ailleurs, nous mobilisons très volontiers l’inspection des services judiciaires et surtout, nous assurons un suivi, tant des recommandations que de la mise en oeuvre des dispositions que nous prenons pour corriger les dysfonctionnements signalés. Il est même arrivé que je saisisse le parquet, lorsque les observations du contrôleur général laissaient supposer que certaines actions pouvaient relever d’une incrimination.

Cela étant, quand bien même nous assurons ce suivi de façon continue, il est évident que le fonctionnement du dispositif, tel qu’il avait été prévu, mérite d’être amélioré. C’est d’ailleurs sur la base des suggestions du contrôleur général – qui constituent un matériau de grande qualité, je l’ai dit – que la proposition de loi du Sénat a introduit un certain nombre de dispositions nouvelles que Mme la rapporteure a encore améliorées. Ainsi, le texte permettra aux députés européens de saisir le contrôleur général, comme peuvent déjà le faire les parlementaires nationaux. Vous avez par ailleurs, madame la rapporteure, attribué des prérogatives supplémentaires au contrôleur général : en plus des procès-verbaux de garde à vue, auxquels il avait déjà accès, vous lui permettez d’avoir communication des procès-verbaux d’autres lieux de privation de liberté, à la suite de décisions de police, de gendarmerie ou de douane.

Si l’on ajoute à cela d’autres dispositions importantes que vous avez introduites, on peut être certain que, quelle que soit la personne qui sera nommée contrôleur général des lieux de privation de liberté, son mandat sera l’occasion d’approfondir et de consolider ce qui a été entrepris sous la vigilance de M. Delarue, mais aussi de faire en sorte que nos établissements pénitentiaires se rapprochent de plus en plus des normes européennes, qui ont très fortement inspiré la loi pénitentiaire de 2009. Celle-ci a affirmé un certain nombre de principes, notamment la préservation des droits fondamentaux, mais aussi des interdits, comme les fouilles systématiques – j’ai déjà fait référence à l’article 57, qui pose des problèmes importants et constitue un sujet de tension dans nos établissements pénitentiaires.

En effet, pendant de nombreuses années après l’adoption de la loi pénitentiaire, les personnels ont eu besoin de continuer à pratiquer les fouilles, car les moyens techniques qui étaient nécessaires à l’application de l’article 57 n’avaient pas été mis en oeuvre. Du coup, les personnels ont souvent été contraints, pour assurer la sécurité dans les établissements, de procéder à des fouilles. Or la loi est faite pour être respectée : une fois adoptée par le Parlement, elle s’impose à tous les usagers et à l’ensemble de la société. Or, je le répète, il est souvent arrivé que les personnels soient obligés de s’affranchir de ces obligations légales, ce qui a abouti à des condamnations de l’État et précisément du ministère de la justice pour non-respect de la loi pénitentiaire.

Nous avons donc, dès l’année dernière, pris des dispositions pour rendre possible le respect de l’article 57. J’ai ainsi adopté un plan de sécurisation des établissements pénitentiaires de 33 millions d’euros afin de renforcer les dispositifs de lutte contre les projections, d’équiper vingt maisons centrales et maisons d’arrêt qui accueillent les détenus au profil sensible de portiques à ondes millimétriques, encore appelés scanners corporels, et d’installer des portiques à masse métallique dans les zones sensibles de tous les établissements. Tous ces dispositifs de sécurité passive permettront aux personnels de nos établissements pénitentiaires, qui travaillent souvent dans des conditions extrêmement difficiles, d’assurer le travail de sécurité active, c’est-à-dire de maîtriser tous ces équipements physiques et technologiques et d’assurer la sécurité à l’intérieur de nos établissements.

Reste que la sécurité n’est pas une fin en soi et que l’organisation de la journée des personnes détenues à l’intérieur de nos établissements est un sujet extrêmement important. La possibilité d’assurer des activités, de la formation professionnelle, le fait de permettre aux détenus de préparer des projets pour la sortie et de les accompagner lors de cette sortie, autant de questions qui concernent très directement la réinsertion et la prévention de la récidive ; nous aurons l’opportunité d’y revenir dans quelque temps.

Le travail du contrôleur général des lieux de privation de liberté doit être salué. M. Delarue, a toutes les raisons d’être extrêmement fier de la tâche qu’il a accomplie.

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