Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 30 avril 2014 à 15h00
Modification de la loi no 2007-1545 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’une proposition de loi adoptée par le Sénat le 21 janvier 2014, qui modifie la loi du 30 octobre 2007 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté. Déposée par Mme Catherine Tasca sur le bureau du Sénat le 5 décembre 2013 et reprenant en partie des propositions formulées par le contrôleur général lui-même dans son rapport annuel pour 2012, cette proposition de loi a pour objet d’améliorer le fonctionnement du contrôle général, à la lumière de l’expérience acquise au cours des cinq premières années d’existence de l’institution.

Aux termes de l’article 1er de la loi du 30 octobre 2007, le contrôleur général est une autorité indépendante chargée de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux ». Au départ, vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, l’idée qui germe à la fin des années quatre-vingt-dix vise uniquement les établissements pénitentiaires. La loi de 2007 n’a heureusement pas limité le contrôle aux prisons, mais a donné compétence au contrôleur général sur tous les lieux de privation de liberté : établissements pénitentiaires, locaux de garde à vue ou de retenue douanière, dépôts des tribunaux, centres de rétention administrative, zones d’attente, centres éducatifs fermés et établissements de santé accueillant des patients hospitalisés sans consentement.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a vu avec le temps sa fonction et son utilité reconnues de façon incontestable ; sa légitimité n’est aujourd’hui nullement remise en cause. Les auditions conduites par Mme la rapporteure et le débat en commission en attestent : le travail accompli par le contrôleur est salué par l’ensemble des acteurs et par l’ensemble des familles politiques de cette assemblée. Et comme le note le rapport, « de l’avis unanime des personnes entendues par la rapporteure, le contrôle général des lieux de privation de liberté est une institution qui est parvenue, en très peu de temps, à occuper une place majeure dans l’amélioration des conditions de privation de liberté. Il joue pour les administrations en charge des lieux de privation de liberté un rôle d’aiguillon pour améliorer tant les structures que l’organisation et les pratiques professionnelles. »

Je voudrais donc m’associer aux remerciements et salutations formulés à l’adresse de M. Jean-Marie Delarue à cette tribune, saluer la personnalité, la compétence et l’éthique professionnelle de ce premier contrôleur général, nommé le 13 juin 2008 par décret du Président de la République. Ses qualités ont permis à cette institution de gagner la confiance et le respect des personnes privées de liberté ainsi que de l’ensemble des personnels travaillant dans les lieux faisant l’objet du contrôle.

Le travail du contrôleur est aujourd’hui unanimement reconnu, alors même qu’il a souvent bousculé les habitudes, les façons de penser et les pratiques professionnelles. Lors de son audition devant la commission des lois, le contrôleur a dressé lui-même un bilan de son action. Jean-Marie Delarue avait annoncé qu’il se fixait pour objectif de réaliser 150 visites de lieux de privation de liberté par an. Cet objectif a été totalement respecté puisque 151 lieux ont été visités en moyenne chaque année.

Permettez-moi d’égrener quelques chiffres, pour donner une idée de l’ampleur du travail accompli : en quatre ans et demi, entre juin 2008 et la fin de l’année 2012, ont été visités : 150 des 191 établissements pénitentiaires, 237 des 4 095 locaux de garde à vue, dix-huit des 236 locaux de rétention douanière, quarante-neuf des 182 dépôts de tribunaux, soixante-dix des 102 centres et lieux de rétention administrative ou zones d’attente, 106 des 369 établissements de soins psychiatriques sans consentement, enfin 34 des 44 centres éducatifs fermés. À la fin de l’année 2013, près de 800 lieux de privation de liberté avaient été visités par le contrôleur général. C’est donc un travail à la fois colossal et exemplaire, et ce malgré des moyens limités : le budget du contrôleur général pour 2014 est de 4,3 millions d’euros seulement, et son plafond d’autorisations d’emploi fixé à vingt-huit équivalents temps plein, répartis, outre le contrôleur général et le secrétaire général, entre dix-sept postes de contrôleurs, cinq postes de chargés d’enquête et quatre postes administratifs.

Concrètement, l’action du contrôleur a permis de faire progresser le fonctionnement des lieux de privation de liberté sur un certain nombre de points. Plusieurs de ces progrès sont de nature législative. En effet, après le premier rapport du contrôleur, la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue a prévu, à l’article 63-6 du code de procédure pénale, que la personne gardée à vue devait disposer, au cours de son audition, « des objets dont le port ou la détention sont nécessaires au respect de sa dignité » ; cela faisait suite, rappelez-vous, aux remarques concernant les soutiens-gorge et les lunettes, systématiquement enlevés aux personnes mises en examen ou placées en garde à vue. Son action a également permis une amélioration du fonctionnement concret des établissements.

Des progrès restent à accomplir ; c’est le sens de la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui. Il faut raccourcir les délais de présentation par le contrôleur général des observations faisant suite à ses visites. La durée entre la visite et le rapport final peut être source de difficultés pratiques pour les ministres concernés auxquels le contrôleur demande de lui adresser leurs observations. La réduction de ces délais apparaît donc comme une nécessité.

Rendre plus visibles les suites données aux observations du contrôleur général des lieux de privation de liberté est également nécessaire. Au-delà de la constatation des dysfonctionnements pouvant exister dans les lieux de privation de liberté, l’objectif du contrôleur général est de permettre l’évolution de ces lieux dans un sens plus respectueux des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Or, pour l’heure, les évolutions mises en oeuvre par l’administration à la suite d’observations du contrôleur général, mais aussi, le cas échéant, l’absence d’évolutions, demeurent insuffisamment connues. Afin que la portée du contrôle sur le fonctionnement des lieux privatifs de liberté puisse être mesurée, il serait donc nécessaire que les suites données aux observations du contrôleur général reçoivent davantage de publicité.

Cette proposition de loi permettra de renforcer l’efficacité du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Elle protégera également mieux les interlocuteurs du contrôleur. Elle mettra en conformité notre législation avec le droit européen, s’agissant notamment du contrôle de l’exécution des mesures d’éloignement forcé.

Je sais que, sur ce dernier point, il existe des réserves fortes, pour ne pas dire un refus, de la part de l’opposition. La proposition de loi a été complétée, lors de son examen par la commission des lois du Sénat, par un article 1er A qui étend la compétence du contrôleur général au contrôle de l’exécution des mesures d’éloignement des étrangers, afin de mettre notre droit en conformité avec la directive dite « retour », qui fait obligation aux États membres de prévoir un système efficace de contrôle du retour forcé.

Compétent pour contrôler les centres de rétention administrative et les zones d’attente, le contrôleur général pourra désormais contrôler l’exécution des mesures d’éloignement forcé d’étrangers « jusqu’à leur remise aux autorités de l’État de destination ». C’est une avancée, et ce d’autant plus que le Sénat a prévu que le contrôle qu’exercera le contrôleur général sera applicable à toute mesure d’éloignement d’étrangers, y compris s’ils sont citoyens de l’Union européenne, alors même que la directive « retour » ne concerne que les pays tiers à l’Union.

Le désaccord de l’opposition ne semble pas porter sur l’élargissement des compétences, mais sur le principe même des contrôles des opérations d’éloignement forcé. La mise en oeuvre concrète, par le contrôleur général, de cette nouvelle compétence suppose, et cela a été souligné dans nos débats comme dans le rapport, la définition de modalités pratiques d’information entre le ministère de l’intérieur et le contrôleur, afin que celui-ci soit informé suffisamment à l’avance de l’organisation des retours d’étrangers, tout en garantissant le caractère inopiné du contrôle.

Nous nous félicitons de ces avancées, et notamment de l’adoption en commission – vous l’avez dit, madame la rapporteure – de notre amendement étendant aux députés européens élus en France la possibilité de saisir le contrôleur général. Aujourd’hui, l’article 6 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Premier ministre, aux membres du Gouvernement, aux membres du Parlement et au défenseur des droits de le saisir : c’est donc une avancée de le permettre aussi à nos collègues du Parlement européen. Nous nous félicitons également que la commission des lois ait amoindri la volonté punitive du Sénat, qui avait décidé de faire appliquer pour le délit d’entrave une peine tout à fait disproportionnée.

Nous voudrions toutefois aller un peu plus loin, afin d’avancer en reprenant des recommandations émises par le contrôleur lui-même. Nous souhaiterions en effet que tout détenu qui le demande – directement ou par le biais de son conseil – ait le droit de faire visionner les enregistrements de vidéosurveillance des circonstances pour lesquelles il comparaît devant la commission de discipline. Nous présenterons sur ce sujet un amendement, déjà présenté en commission, dans le texte qui viendra lundi sur l’information dans les procédures pénales. De même, nous pensons qu’il est nécessaire que la protection judiciaire de la jeunesse édicte des normes imposables à tous les centres éducatifs fermés en matière de discipline. Enfin, nous estimons que les associations agréées pour le soutien des étrangers retenus doivent avoir libre accès à la zone d’hébergement de ces étrangers, à l’exclusion du service de nuit.

Pour conclure, je voudrais féliciter Mme la rapporteure pour le travail accompli et l’ouverture dont elle a fait preuve dans le débat en commission, ainsi que l’ensemble de mes collègues pour la qualité de nos débats. Le groupe écologiste soutient évidemment avec force ce texte d’origine parlementaire.

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