Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 30 avril 2014 à 11h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Je vous remercie, monsieur le président, de votre accueil et tiens à assurer la Commission de mon entière disponibilité pour participer à tous les débats pour lesquels elle jugera ma présence nécessaire. Il importe en effet que le Parlement puisse exercer pleinement ses prérogatives de contrôle en interrogeant les ministres sur les sujets qui relèvent de leur compétence.

Le plan que le Gouvernement a adopté la semaine dernière pour lutter contre les groupes djihadistes engagés sur le théâtre syrien est issu d'un travail interministériel approfondi conduit sous l'égide de mon prédécesseur, qui avait proposé un ensemble de mesures devant le Conseil de défense du 24 mars dernier. Pour vous donner la mesure du problème posé, je commencerai par vous donner quelques chiffres : ce sont 285 de nos ressortissants qui se trouvent ou se sont trouvés sur le théâtre des opérations syrien, et leur nombre a crû d'environ 75 % au cours des six derniers mois ; 120 autres seraient en transit vers les lieux du conflit, au moins 25 auraient trouvé la mort à l'occasion des combats et une centaine seraient revenus sur le territoire national. En outre, 116 femmes et une trentaine de mineurs ont accompagné ces Français engagés en Syrie. Mais le phénomène n'est pas cantonné à la France : la plupart des pays de l'Union européenne constatent qu'un nombre croissant de leurs ressortissants s'engagent en Syrie dans des groupes djihadistes après s'être imprégnés d'une pensée radicalisée sur l'Internet. Dans certains pays, comme la Belgique, on recense même plus de cas par rapport à la population totale qu'en France, mais dans tous, l'augmentation du nombre des départs au cours de la période récente est sensible, et comparable à celle que nous avons nous-mêmes enregistrée.

Il s'avère que ces personnes – en France comme dans les autres pays européens – ont peu fréquenté les lieux de culte et sont bien souvent ignorantes des préceptes et des valeurs de l'islam ; elles souffrent de fragilités psychologiques et ont connu des processus de relégation ou de marginalisation qui leur ont fait perdre tout repère. Elles ont rencontré la violence sur l'Internet – vecteur principal, pour ne pas dire exclusif, de la propagande –, puis ont basculé dans le djihad. Tous les pays de l'Union cherchent donc à maîtriser les informations véhiculées sur la Toile, de manière à éradiquer le phénomène.

Je rappelle que, d'autre part, nous avons mené une action humanitaire et diplomatique afin d'assurer le respect du droit international et des droits de l'homme, et pour garantir l'assistance aux populations victimes de violences en Syrie. Il importe de faire en sorte que cette action menée en lien avec la communauté internationale et avec l'Union, face aux atrocités du régime de Bachar el-Assad, soit bien comprise de tous.

Les familles confrontées au basculement dans le djihad de l'un de leurs membres vivent un drame. Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, et moi-même avons rencontré certaines d'entre elles la semaine dernière ; elles nous ont fait part de la difficulté à détecter ces ruptures, car la propagande sur l'Internet conseille aux jeunes de dissimuler les préparatifs de départ et, même si cela conduit les intéressés à se renfermer sur eux-mêmes, la nature du danger n'est pas toujours perceptible pour les proches. Cependant, certaines familles se sont posé des questions qui auraient pu justifier un accompagnement ou la sollicitation d'un interlocuteur.

Ensuite, les communications avec les jeunes partis en Syrie sont coupées, ce qui nourrit l'inquiétude des familles. Certains meurent – une famille a ainsi perdu ses deux enfants – mais, pour les autres, il y a tout à craindre des effets du traumatisme psychologique né du contact avec une violence souvent d'une barbarie inimaginable. Lors de leur retour, il faut donc des mesures allant de la neutralisation de ceux qui peuvent porter atteinte à notre sécurité – nous ferons preuve sur ce point d'une extrême fermeté – à l'endiguement, spécialement en milieu carcéral, de la pensée radicale et violente.

Pour faire face à ce phénomène, le Gouvernement a arrêté un plan en trois volets.

Tout d'abord, nous souhaitons prévenir les départs, qui peuvent conduire à des situations difficilement réparables, sinon irréversibles. Pour les empêcher, nous devons mobiliser, au sein de l'Union et dans notre pays, des moyens qui peuvent impliquer des évolutions réglementaires ou législatives. S'agissant des mineurs, rétablir l'autorisation de sortie du territoire n'aurait aucune efficacité. Pourtant, nous devons nous mettre en mesure de retenir ceux qui se préparent à partir ou dont le comportement nous a été signalé par leur famille ou par nos services. Nous pouvons pour cela les inscrire au fichier des personnes recherchées et les signaler au service d'information de l'espace Schengen, en sorte qu'ils soient arrêtés aux frontières de l'Union. Nous avons souhaité que cette disposition soit mise en oeuvre immédiatement après la présentation du plan en conseil des ministres, et une instruction a été signée à cet effet il y a quarante-huit heures. En ce qui concerne les majeurs, le même dispositif sera mis en place, mais cela nécessitera une mesure législative nous permettant d'aller, comme pour les mineurs, jusqu'au retrait du passeport – étant entendu que nous ne pouvons, en dehors d'une procédure de contrôle judiciaire, priver nos ressortissants de leur carte d'identité, qui suffit pour circuler au sein de l'espace Schengen.

En deuxième lieu, nous voulons lutter contre les filières djihadistes par une combinaison de mesures diverses mais qui, prises ensemble, devraient se révéler efficaces. Dans le respect du droit en vigueur mais en faisant preuve d'une grande détermination, nous expulserons les étrangers présents sur notre territoire qui seraient convaincus de participation à des activités de type terroriste, de propagande ou de recrutement de certains de nos compatriotes pour les envoyer sur le champ de bataille syrien. Pour ce faire, nous exploiterons les qualifications pénales existantes. Nous procéderons également au gel systématique des avoirs mal acquis ou appartenant à des groupes qui financent ces filières.

Comme l'enrôlement s'effectue grâce à l'Internet, une bonne connaissance de ce qui se déroule sur la Toile permettra d'identifier l'ensemble des acteurs impliqués dans ces opérations funestes pour les mettre hors d'état de nuire. Nous comptons sur la coopération étroite des services de nos partenaires européens, car le recoupement de nos informations avec celles dont ils disposent permettra de mieux confondre les auteurs, les recruteurs et les pourvoyeurs de haine sur l'Internet ; nous agirons ensuite auprès des opérateurs pour qu'ils « coupent » les discours, les vidéos et les images servant à l'endoctrinement. Le problème débordant le cadre européen, j'ai rencontré hier Mme Lisa Monaco, conseillère du président Obama sur ces sujets, afin que nous sollicitions ensemble les opérateurs.

Il est également crucial, pour pouvoir lancer des poursuites judiciaires, que nous pénétrions ces réseaux qui recrutent grâce aux forums, aux réseaux sociaux et autres multiples moyens de communication disponibles sur l'Internet. Cette partie du dispositif exigera l'adoption de mesures législatives pour permettre l'intervention de nos enquêteurs sous pseudonyme. De surcroît, afin de disposer du temps nécessaire pour conduire les enquêtes jusqu'à leur terme, nous proposerons au Parlement que les données recueillies par ce moyen ou grâce aux interceptions de sécurité puissent être conservées au-delà de dix jours et jusqu'à un mois, de manière à ce qu'elles puissent être exploitées de manière exhaustive, dans le respect rigoureux des libertés publiques et des textes en vigueur. Compte tenu de l'importance de ce travail en commun de nos services pour démanteler les filières intervenant sur l'Internet, je m'en entretiendrai dès cet après-midi, à Londres, avec mes homologues britannique, allemand et belge et, le 8 mai prochain, c'est l'ensemble des ministres de l'Intérieur des pays occidentaux qui se retrouveront pour élaborer un plan d'action global en la matière.

Troisième volet : nous souhaitons que les services de l'État accompagnent les proches plongés dans le désarroi qui solliciteraient une aide de la puissance publique. Pour ce faire, nous avons installé une plateforme Internet – hébergée par le site du ministère de l'Intérieur – et un numéro vert ; celui-ci a été mis en place ce matin et permet aux familles de contacter un fonctionnaire. J'ai également pris une instruction à destination des préfets pour organiser un accompagnement aussi proche que possible de ces familles, grâce à la mobilisation d'une diversité d'acteurs – relevant de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), de l'Éducation nationale ou du secteur social – aptes à prendre en charge de manière spécifique les difficultés auxquelles elles sont confrontées.

Empêcher les départs, démanteler les filières et agir de manière préventive : ces trois volets regroupent au total 23 mesures précises, mais susceptibles d'évoluer si nécessaire. Nous devons en effet, en lien avec nos partenaires européens, déployer de grandes capacités d'adaptation et de réaction afin de faire face à des situations ou à des comportements mouvants ou inédits et pouvant mobiliser des moyens sophistiqués, et il nous faut donc être prêts à engager à tout moment de nouvelles initiatives ou de nouvelles coopérations.

1 commentaire :

Le 04/05/2014 à 19:51, chb17 a dit :

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Il faudrait donc (enfin) empêcher les français de partir au « jihad » en Syrie contre les alaouites, contre les chrétiens, contre le régime « illégitime » selon L Fabius.

Pendant trois ans, notre diplomatie a clamé que Bachar al Assad est un assassin et doit être renversé. Les combattants volontaires, venant entre autres de l'U.E., n'ont fait que répondre à cet appel : les jeter en prison risque de mettre en évidence la responsabilité première de notre gouvernement, qui a violé les règles internationales en vigueur.

Au fait, les tunisiens et saoudiens et tchétchènes sont-ils assez nombreux pour faire le sale boulot que le Quai d'Orsay attend d'eux ? Les « Amis de la Syrie » et l'« Armée Syrienne Libre » étant disqualifiés, même un nouveau coup monté aux gaz chimiques n'empêchera plus les élections du mois prochain : c'est sans doute pourquoi le ministre-démocratiseur L. Fabius y voit une mascarade. Mais sont-ce plus une mascarade que l'envolée de campagne « Mon ennemi c'est la finance » ?

En ce qui concerne la surveillance accrue d'Internet, on devrait s'arranger avec les services alliés, genre NSA : économisons, que diable !

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