Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 17 septembre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Article 9

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Laissez-moi poursuivre le raisonnement. Ce qui fait l’efficacité de la mesure ce sont des éléments techniques, entièrement indépendants et déconnectés de la nature du juge qui intervient.

Or si nous prenons cette décision, c’est pour prévenir. Je rappelle devant tous les parlementaires qu’en tant que ministre de l’intérieur, il est de ma responsabilité de répondre aux familles qui signalent tous les jours des jeunes ou moins jeunes qui basculent après s’être enfermés dans une relation exclusive de toute autre sur internet.

Que nous disent ceux que nous avons mobilisés sur ce sujet, par exemple au sein de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires dirigée par Serge Blisko, notamment Mme Donia Bouzar, qui fait un travail remarquable ? Que nous disent les familles que nous recevons ? Que nous dit par exemple Mme Myriam Rahim, restée seule avec sa petite fille de trois ans ? Qu’avant de partir, son mari s’est enfermé dans une relation exclusive de toute autre sur internet.

Toutes ces familles nous disent qu’elles voient leurs jeunes partir parce qu’avec la fréquentation de sites de propagande sur internet, ils basculent et s’autoradicalisent. Voilà, concrètement, le problème auquel je suis confronté.

Comment réagir efficacement à cela ? Aujourd’hui, je vois des sites qui expliquent comment cacher sa radicalisation à ses parents afin de pouvoir partir en Syrie sans qu’ils ne se rendent compte de rien. Je vois des sites qui glorifient le sham, le djihad en Syrie, l’engagement dans des groupes terroristes où l’on décapite, où l’on torture, où l’on assassine, où l’on exécute. Je vois des sites qui non seulement glorifient cela mais aussi expliquent les conditions dans lesquelles on peut s’engager et commettre des crimes. Je vois des parents qui me disent : « nos enfants fréquentent ces sites ; il faudrait arrêter cela parce que nous n’y arrivons pas et que nous avons peur qu’ils ne basculent. »

Que dois-je faire ? Attendre que le juge judiciaire déclenche l’action publique alors qu’il ne la déclenche jamais, ou très peu – nous vous donnerons les éléments statistiques à ce sujet ? Ou prendre une mesure administrative, destinée à me permettre d’engager une action de sensibilisation, dans le respect des libertés, puisque le juge administratif statuera en référé ? Vais-je prendre cette mesure tout en sachant que, comme l’a excellemment dit Marie-Françoise Bechtel, j’engage cette action de sensibilisation, alors que les hébergeurs ont refusé de retirer les éléments en cause ? Tel est le contexte auxquels nous sommes confrontés, et qui posent à tous les États une difficulté extrême.

On nous a demandé par ailleurs comment nous garantirons l’efficacité de ce blocage alors que les sites en France sont très peu nombreux. C’est là un argument juste. Cependant, tous les pays de l’Union européenne sont confrontés au même problème, et nous avons décidé d’agir ensemble et nous sommes engagés dans une action européenne très forte, qui nous conduit à travailler au sein de l’Union européenne avec les fournisseurs d’accès internet. La commissaire européenne et le coordinateur européen en charge de la lutte contre le terrorisme ont ainsi rencontré ces derniers pour leur expliquer ce que tous les pays de l’Union européenne s’apprêtent à faire, c’est-à-dire ce que nous proposons de faire.

Tous les ministres de l’intérieur et la commissaire européenne ont de plus décidé de rencontrer ensemble les fournisseurs d’accès internet, de sorte que ce que nous proposons de faire ici soit mis en place à l’échelle européenne.

Nous poursuivons également un travail avec les États-Unis qui, en dépit du premier amendement, commencent à évoluer sur ces sujets parce qu’ils voient bien le problème auquel ils sont confrontés.

Il existe donc bien un problème, qui résulte du fait que le sujet est international. C’est la raison pour laquelle nous essayons, sur le plan international, avec d’autres pays de l’Union européenne, de nous mobiliser pour faire en sorte que la responsabilité sur internet soit possible.

Enfin, je remercie tous les orateurs qui ont abordé la question des libertés, notamment ceux qui proposent des amendements de suppression de l’article 9. Ce sujet doit être traité en allant au fond des choses.

A partir du moment où le juge administratif intervient en référé, il se prononce en vertu de l’état de notre droit, très protecteur des libertés, sur la décision prise par l’administration. Nous sommes tout de même, reconnaissons-le, respectueux des principes fondamentaux du droit, quelle que soit notre sensibilité sur cette question. Or, sur ces sites de propagande, tous les jours, les libertés fondamentales sont remises en cause, attaquées, parce que ce que détestent le plus ces terroristes, ce sont les libertés auxquelles nous sommes viscéralement, fondamentalement attachés, en dépit des différences qui peuvent exister entre nous sur ce texte.

Ce que détestent le plus ces terroristes, c’est la démocratie dans ses principes. Ils savent que les libertés sont le principal obstacle à l’avènement de la terreur qu’ils veulent instaurer partout, en bafouant les libertés, en assassinant, en décapitant, en torturant, en s’en prenant au plus faible. Les libertés sont leurs ennemies. Les mesures que nous prenons sont là pour empêcher leurs discours liberticides, haineux, contraires à toutes les valeurs des droits de l’homme pour lesquelles nous nous sommes tous mobilisés, toujours, à travers l’Histoire, d’advenir.

Et il faudrait considérer que vouloir couper la possibilité d’accéder à ces discours est une forme de remise en cause des libertés fondamentales auxquelles nous tenons ! Au contraire, c’est l’un des moyens de les défendre toujours, longtemps, partout, pour faire en sorte que jamais nous ne soyons atteints dans nos valeurs.

Il ne s’agit pas de remettre en cause des libertés, en aucun cas.

1 commentaire :

Le 19/09/2014 à 12:28, laïc a dit :

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"Ce que détestent le plus ces terroristes, c’est la démocratie dans ses principes"

C'est quoi, pour M Cazeneuve, la démocratie dans ses principes ? Car quand on le voit refuser de toutes ses forces toute forme de référendum, ou même tergiverser sur la date des futures élections, on se pose des questions. Il doit confondre "démocratie" et "habitudes de vie".

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