Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du 24 septembre 2014 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'intervention des forces armées en irak et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

L’État islamique en Irak et au Levant est en passe de devenir l’une des organisations les plus riches et les plus puissantes du terrorisme international. Il a pris Mossoul, la deuxième ville irakienne, a capté des armements lourds, s’est accaparé des puits de pétrole au nord de l’Irak et au nord-est de la Syrie, et prélève l’impôt dans les régions qu’il administre. Selon certaines sources, son trésor de guerre s’élève aujourd’hui à plus de 2 milliards de dollars.

L’État islamique en Irak et au Levant, l’EIIL, est d’abord et avant tout un danger pour les populations civiles d’Irak et de Syrie. À ce sujet, monsieur le Premier ministre, nous avons entendu vos propos sur les réfugiés et nous invitons les vingt-huit États de l’Union européenne à se coordonner pour accueillir encore davantage les réfugiés, qui en ont bien besoin.L’État islamique en Irak et au Levant constitue également une menace pour la paix et la sécurité au Moyen Orient et dans le monde entier. Au-delà de possibles attentats sur le sol français, la pratique d’enlèvements de ressortissants français s’est intensifiée, et cela bien avant cette intervention, et même bien avant l’intervention au Mali.

Enfin, cette intervention répond à la mise en cause des droits humains les plus élémentaires et à une urgence humanitaire.

L’intervention à laquelle participe la France est, de ce point de vue, totalement légitime. Elle a vocation à porter un coup d’arrêt à l’expansion territoriale des combattants de l’État islamique en Irak et au Levant, et à mettre fin aux crimes qu’ils commettent contre les minorités – au premier rang desquelles se trouvent les chrétiens d’Orient et les Yazidis. Depuis le mois de juin, les massacres ethnico-religieux perpétrés par l’État islamique ont fait près de huit mille morts et des centaines de milliers de réfugiés et de déplacés. De l’aveu du chef de la Mission d’assistance des Nations Unies dans ce pays, les actions commises par l’État islamique pourraient constituer « des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et même un crime de génocide ».

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, monsieur le Premier ministre, les députés écologistes soutiennent la décision du Président de la République d’intervenir militairement en Irak.

Pour autant, le débat que nous avons aujourd’hui doit nous permettre de répondre à plusieurs interrogations sur les contours de cette opération. Ces interrogations appellent des réponses, auxquelles les Français ont droit.

La première d’entre elles concerne les modalités de l’intervention militaire. Tout doit être fait, monsieur le Premier ministre, pour que la coalition internationale ne puisse jamais être perçue comme menant une croisade occidentale. C’est sans aucun doute la situation que voudraient engendrer ceux qui se revendiquent du djihad. C’est le souvenir aussi – disons-le – laissé par la guerre menée en Irak par les États-Unis en 2003. Il est donc très important d’avoir recherché à impliquer les pays arabes.

D’autre part, les buts stratégiques et les étapes successives de cette intervention méritent d’être précisés. Est-ce l’enchaînement de trois phases d’endiguement, puis de refoulement et enfin d’anéantissement ?

Les frappes aériennes seules ne permettent évidemment pas d’atteindre ces objectifs. Il faudra une intervention au sol. Et si nous soutenons le choix du Président de la République de ne pas mobiliser nos forces terrestres, compte tenu de nos engagements lourds au Mali et en République centrafricaine notamment, la question se pose de savoir si les autres États membre de la coalition sont prêts à le faire, et surtout quels relais, parmi les acteurs irakiens, vont hériter de cette lourde tâche.

Deuxième clarification attendue : quelles sont les finalités politiques de cette intervention ?

Les opérations conduites en Afghanistan en 2001, en Irak en 2003, ou plus récemment en Libye en 2011, ont montré leurs limites. Au Moyen-Orient, plus que nulle part ailleurs, ce qu’on a pu appeler le « kit interventionniste », s’il n’est pas suivi d’un projet politique inclusif et ambitieux, est inopérant à moyen et long terme.

Le retour de la stabilité et de la sécurité en Irak passe nécessairement par la reconstruction d’un État représentatif des diversités ethniques et confessionnelles qui composent la société irakienne, et par l’édification d’une armée à l’image de cette diversité, intégrant les milices sunnites opposées à l’État islamique en Irak et au Levant.

Enfin, troisième clarification souhaitée : quels débouchés politico-diplomatiques à cette intervention ?

La crise irakienne transcende les limites territoriales des États. Elle appelle des réponses globales, dans lesquelles l’Union européenne doit s’engager, faute de pouvoir, faute de vouloir le faire militairement. Aussi, du point de vue diplomatique, le groupe écologiste propose l’organisation d’une conférence internationale pour la paix et la sécurité au Moyen-Orient qui aurait pour objet prioritaire la question des minorités.

En 1991 d’ailleurs, la France avait obtenu la tenue d’une telle conférence lors de son engagement dans la coalition pour libérer le Koweit. Convoquée par l’ONU, les États-Unis, l’URSS mais aussi l’Union européenne, qui s’appelait à l’époque la Communauté économique européenne, elle avait à l’époque obtenu de nombreux résultats, on l’oublie trop souvent, notamment les accords d’Oslo entre Israël et la Palestine.

Une telle conférence aurait, entre autres, pour but de dépasser les problèmes hérités du découpage territorial issu des accords Sykes-Picot, après la Première guerre mondiale. Il est temps de garantir les droits et la sécurité des minorités, et de favoriser leur intégration dans les États par des statuts d’autonomie politique adaptés.

Le choix d’une intervention militaire ne constitue jamais une fin en soi et reconnaissons qu’à ce stade, on distingue mal la feuille de route pour ce qu’on pourrait appeler le « jour d’après ». En la matière, tous les espoirs sont permis, mais les inquiétudes sont aussi légitimes.

Les écologistes attendent donc des initiatives fortes de la France en la matière. Compte tenu de son refus – et c’était une bonne chose – de participer à l’intervention américaine en Irak en 2003 et de son implication récente dans d’autres régions du monde face au djihadisme, comme au Mali, la France est attendue et légitime sur ce terrain.

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