Intervention de Philippe Doucet

Réunion du 13 février 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Doucet :

Un point m'a particulièrement frappé lorsque nous avons auditionné les différentes associations d'élus dans le cadre de notre mission d'information. On sait qu'en Allemagne les élus sont quasiment assimilés à des fonctionnaires, alors qu'en France ils se mettent au service du bien public en exerçant leurs fonctions à titre gratuit – c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils perçoivent une indemnité et non un salaire. Eh bien, j'ai été étonné de constater combien cette logique héritée de la Révolution est prégnante dans notre pays. En effet, aucune association d'élus ne réclame un statut similaire à celui qui prévaut en Allemagne. On veut garder la beauté du geste amateur ! Ce principe a plusieurs conséquences.

Tout d'abord, il est difficile de parler d'argent. Arnaud Richard et Marie-George Buffet l'ont dit, nos concitoyens pensent que nous sommes bien rémunérés. Peut-être faudrait-il d'ailleurs, monsieur le président de l'Assemblée nationale, publier un tableau comparant les rémunérations respectives des cadres de la fonction publique, de ceux du secteur privé et des élus. Lorsque je me suis présenté aux élections législatives, j'étais cadre supérieur dans un grand groupe français de défense ; aucun de mes collègues n'a compris mon choix, notamment parce que mon salaire allait être divisé par deux. Aujourd'hui, mieux vaut être footballeur que député : on ne se fait pas cracher dessus, on est bien payé et on peut même, comme Franck Ribéry, avoir sa statue dans son village ! Quoi qu'il en soit, nous avons intérêt à privilégier la transparence. Même si l'on peut regretter cette suspicion généralisée, chacun doit savoir combien coûte un élu, quel prix il est prêt à payer pour la démocratie.

Cette question est du reste liée à celle du cumul des mandats. Celui-ci s'inscrit, certes, dans une logique institutionnelle – s'il veut financer sa voirie, le maire d'une petite commune doit être conseiller général –, mais il permet aussi à l'élu local qui n'est pas fonctionnaire de passer en quelque sorte d'un CDD à un CDI : s'il perd un mandat, il lui reste un autre. C'est pourquoi si l'on veut limiter le cumul, il faut également réfléchir à la fin du mandat.

Par ailleurs, la représentation des différentes classes sociales a beaucoup pâti de la perte d'influence du parti communiste, dont l'école des cadres formait les militants politiques de la classe ouvrière. Sous cet aspect, il n'a pas été remplacé, et c'est une immense erreur du parti socialiste d'avoir oublié les classes populaires et pensé que l'ENA était la seule école de formation de ses cadres dirigeants. On assiste, de ce fait, à une coupure entre les élites et les classes populaires, l'entre-soi de l'énarchie ayant remplacé la représentation politique la plus large. Quant au Front de gauche, j'observe que ses candidats aux élections cantonales sont tous issus de la fonction publique territoriale. Dès lors, comment peut-il représenter la classe ouvrière ? Un parti d'insiders ne peut pas représenter les outsiders. C'est donc aux forces politiques de se fixer des objectifs en termes de représentation des différentes classes sociales, y compris dans leurs rangs militants. Or, au parti socialiste, par exemple, la question ne se pose même pas.

En ce qui concerne l'allocation de fin de mandat, je crois qu'il faut assumer une telle mesure. C'est pourquoi nous l'avons inscrite dans la proposition de loi visant à faciliter l'exercice de leur mandat par les élus locaux.

S'agissant de la situation des élus issus du secteur privé, je constate qu'aujourd'hui, la compétitivité et l'exigence de cohérence interne sont telles que le système de production accepte de moins en moins l'existence de « moutons noirs ». Néanmoins, la solution pourrait consister à négocier des accords de démocratie politique sur le modèle des accords de démocratie sociale. De fait, la situation des élus dans l'entreprise est encore pire que celle des représentants syndicaux. Or, au bout du compte, non seulement la démocratie est perdante, mais les patrons le sont aussi. Par exemple, combien de chefs d'entreprise ou de cadres ce groupe de travail compte-t-il parmi ses membres ? Par ailleurs, notre classe politique est très peu internationalisée, elle est encore très franco-française. À l'heure de la mondialisation, c'est une erreur fondamentale.

Notre proposition de loi est modeste ; elle comporte des mesures concrètes. Si l'on veut résoudre le problème de la représentation, il faut conclure des accords de démocratie politique. Invitons le MEDEF à discuter d'un système de quotas, car c'est la seule solution possible. La défiance de la société vis-à-vis des élus est grande. Les médias et la justice jouent un rôle de plus en plus important, de sorte que les petits arrangements auxquels on avait recours auparavant ne sont plus possibles aujourd'hui. Il est donc temps d'agir pour sortir de cette situation par le haut !

1 commentaire :

Le 19/12/2016 à 09:05, Laïc1 a dit :

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"Aujourd'hui, mieux vaut être footballeur que député : on ne se fait pas cracher dessus, on est bien payé et on peut même, comme Franck Ribéry, avoir sa statue dans son village !"

Pourquoi, les députés se font cracher dessus ? Faites donc des référendums, et la frustration collective ne se transformera plus en haine, vous serez adulés, aimés, c'est quand mieux que d'être haïs, vous ne trouvez pas ? Maintenant, si vous persistez dans votre refus de la parole citoyenne, si vous pensez que le peuple n'est bon qu'à vous élire, avec toutes les marques de l'indifférence ensuite, si vous pensez qu'il vaut mieux être haï plutôt que de céder à la discipline du parti, alors il ne faut pas venir se plaindre des crachats.

Quant à la statue du footballeur, là encore elle est la marque du désespoir citoyen de ne pas être pris en compte : le foot ravive l'identité, cette identité (allez les bleus..., vive nous !) qui est l'ultime refuge du citoyen nié , et il est donc normal que la célébrité footballistique du village se retrouve avec sa statue, même si le footballeur en question a pu défrayer la chronique avec une histoire peu reluisante de prostituée : qu'importe, dans un monde sans morale, celui qui suscite le lien d'identification local sera encensé envers et contre tout, et même contre la morale républicaine, puisque de République il n'y a plus de toute façon, absorbée par les partis totalitaires et égoïstes, aux ordres des lobbies et des intérêts particuliers.

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