Intervention de Jean-Emmanuel Ray

Réunion du 27 mars 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Jean-Emmanuel Ray :

On ne peut pas placer au même niveau la démocratie politique et la démocratie sociale : la première constitue le fondement de la démocratie elle-même, alors que la seconde représente un moyen, une aide, et la Constitution française consacre cette différence.

Pour que les partenaires sociaux édictent des normes, ils doivent être légitimes, et la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale est venue compléter les lacunes de la représentation patronale. Si on avait fondé cette dernière sur les mêmes bases que celles des syndicats, on aurait donné une voix à chaque entreprise, ce qui n'est pas possible. Il fallait donc trouver un système efficace, et la loi prévoit que des commissaires aux comptes vérifient le nombre d'adhérents cotisant dans chaque organisation d'employeurs. On ne constatera les pleins effets de cette loi qu'en 2017, et il faut attendre de connaître l'identité des syndicats patronaux représentatifs avant de trancher la question de la constitutionnalisation du dialogue social. La direction générale du travail (DGT) a organisé un vote dans les très petites entreprises (TPE), pour lequel le taux de participation n'a pas dépassé 11 % !

La décentralisation présente des avantages et des inconvénients. Il me semble que le droit du travail ne peut pas se contenter de proclamer de grands principes, car les problèmes pratiques se posent sur le terrain. Dans toute l'Europe, la négociation se décentralise, notamment dans l'entreprise : pour licencier 500 personnes et baisser les salaires, il faut pouvoir agir dans l'entreprise voire dans l'établissement, et non au niveau interprofessionnel ou de branche. Cela ne signifie pas que l'on abandonne la hiérarchie des normes.

Beaucoup d'étrangers, notamment à Bruxelles, affirment que la France n'évolue pas. Or, en 1982, on a autorisé les conventions collectives à déroger à la loi de la République : ce tsunami, nécessaire, a bouleversé le droit du travail français. C'est à partir de ce moment-là que la question de la légitimité s'est posée. La réplique de ce tremblement de terre intervint en 2008 lorsque l'on a sélectionné les acteurs pouvant négocier. La loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, dite loi Fillon, disposait qu'un accord d'entreprise pouvait déroger à un accord de branche et que ce dernier pouvait déroger à un accord professionnel, c'est-à-dire qu'un accord inférieur pouvait déroger à un accord supérieur. Cela n'implique pas la liberté pour chaque entreprise de faire ce qu'elle veut, car le droit du travail est intégré, de fait, au droit de la concurrence. La loi Fillon ne fonctionne pas parce qu'elle interdit de déroger à la base des conventions de branche, à savoir les minima salariaux. En effet, l'intérêt collectif d'une branche est de ne pas abaisser le plus possible les salaires et de ne pas détériorer les conditions de travail.

Aucun autre pays au monde ne compte 700 branches ; depuis 2008, 200 ont été supprimées car elles n'avaient plus d'existence réelle, et l'on s'est fixé comme objectif de n'en avoir plus que 100 dans dix ans. Si l'on souhaite que les branches jouent un rôle, par exemple dans la négociation de l'application du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), il faut qu'elles en aient les moyens, notamment humains. Or certaines branches n'ont aucune capacité d'expertise, et il serait contre-productif, voire anti-démocratique, de leur conférer un pouvoir de réglementation. Dans cette optique, les lois du 20 août 2008 et du 5 mars 2014 sont positives, mais, comme vous le savez, monsieur Thibault, tout ne se fait pas en un jour.

1 commentaire :

Le 28/12/2016 à 11:14, Laïc1 a dit :

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"La loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, dite loi Fillon, disposait qu'un accord d'entreprise pouvait déroger à un accord de branche et que ce dernier pouvait déroger à un accord professionnel, c'est-à-dire qu'un accord inférieur pouvait déroger à un accord supérieur."

La loi El Khomry n'a rien inventé finalement, elle a suivi la voie du mentor bien connu de la gauche, à savoir François Fillon, le futur remplaçant de Hollande, finalement ce sera la même politique au pouvoir.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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