Intervention de Jean-Noël Jeanneney

Réunion du 17 avril 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Jean-Noël Jeanneney :

Ce tirage au sort concernerait des institutions d'autre nature que les institutions parlementaires. Michel Debré, alors ministre de la défense, devant l'agitation dans les armées au début des années 1970, avait imaginé des comités de soldats composés par tirage au sort, proposition qui avait bousculé l'esprit traditionnel de certains généraux.

L'élection au second degré me paraît aujourd'hui d'autant plus dépassée qu'elle a concouru à déformer la représentation sénatoriale. Un système d'élection directe à la proportionnelle par région me paraîtrait plus approprié, dès lors que, sans que la France devienne pour autant un État fédéral, les régions s'installent comme un élément fondamental de l'organisation politique et territoriale du pays. Le risque, évidemment, monsieur le président, est de donner une tout autre audience à une formation politique telle que le Front national : toutefois, les inconvénients seraient à mes yeux moindres que les avantages, dès lors que l'Assemblée nationale conserverait le dernier mot au terme des navettes. Ce point est à approfondir.

La question du fonctionnement de la seconde chambre se posera dès lors qu'on acceptera le principe d'une double irrigation de sa composition : d'une part l'élection à la proportionnelle d'élus des territoires, d'autre part, une représentation des forces vives du pays. Il conviendrait de creuser l'idée d'une distinction entre les domaines où tous les membres du Sénat s'exprimeraient à voix égale et ceux qui seraient soumis à la règle de la double majorité, où le vote des représentants organiques du pays ne serait que consultatif. Une telle organisation, dont il serait toujours possible de prévoir les modalités concrètes, aurait l'avantage de préserver la synthèse des sentiments, nécessairement différents, des élus directs et des représentants des forces vives, synthèse éclairante pour l'opinion publique : le Sénat, qui le mérite bien, recouvrerait alors toute sa légitimité aux yeux de celle-ci.

M. Thibault s'est demandé si les organisations syndicales trouveraient normal d'être représentées au Sénat : c'est poser toute la question des groupes de pression qui existeront toujours en démocratie. Leur donner directement la parole à une tribune, c'est-à-dire devant les citoyens, offre de plus grands avantages que de les laisser exercer leur pression de façon dissimulée. Il reviendrait aux organismes concernés de réfléchir à leur représentation. Je pense qu'il ne faudrait pas autoriser le cumul entre la direction de ces institutions et l'appartenance au Sénat.

Quant à la question du grand âge, je ne suis pas favorable à l'instauration d'un plafond – peut-être est-ce l'effet d'une certaine expérience. D'ailleurs, en cas d'élection directe, les citoyens ont le droit de voter pour qui ils veulent. Un grand nombre de parlementaires devenus chenus ont été délicatement posés sur le bord du fleuve, avec considération, respect et détermination, lorsqu'ils paraissaient trop vieux. Nous n'avons pas à nous interdire de confier des responsabilités à de vieux messieurs efficaces : l'histoire, en la matière, donne des exemples du pire comme du meilleur. L'ouverture aux différentes classes d'âge d'une assemblée telle que le Sénat est pertinente, qu'il s'agisse de son efficacité, de sa représentativité ou de l'image qu'elle offre au pays.

Je ne trancherai pas la question de l'avenir du CESE : cependant, si la composition du Sénat était modifiée dans le sens que nous avons évoqué, il serait alors logique de considérer qu'il jouerait désormais le rôle du CESE. Non que j'aie la moindre antipathie pour cette instance, d'autant que j'ai un très bon souvenir des deux fois où je m'y suis rendu en tant que secrétaire d'État : les membres du CESE, qui n'y étaient pas habitués, furent très heureux qu'un membre, même modeste, du Gouvernement, leur rende visite. La République dispose de nombreuses instances qui ont pour vocation la réflexion, la rencontre des forces sociales et l'élaboration de rapports et de propositions. Je suis frappé par le nombre important de doubles emplois. Sans réclamer une nouvelle « commission de la hache », laquelle, sous la IIIe République, visait à faire des économies par la suppression d'instances de consultation inutiles, je pense que, si le CESE est conservé, il convient de supprimer d'autres commissions ou rencontres multiples qui, même composées de bénévoles, coûtent de l'argent à la collectivité nationale.

1 commentaire :

Le 27/12/2016 à 10:41, Laïc1 a dit :

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"c'est poser toute la question des groupes de pression qui existeront toujours en démocratie. Leur donner directement la parole à une tribune, c'est-à-dire devant les citoyens, offre de plus grands avantages que de les laisser exercer leur pression de façon dissimulée."

Il serait assez cocasse d'entendre les lobbies s'exprimer à la tribune. Ce serait d'ailleurs diminuer grandement leur efficacité, car un groupe de pression qui parle devant tout le monde n'a plus le même potentiel d'action qu'en secret et avec toutes les pressions que l'on peut imaginer. Quelqu'un qui parle à la tribune est là pour proposer, il dit tacitement à la fin de son exposé (puisqu'il n'a pas de pouvoir de décision) : "voilà, vous en pensez quoi ?"

Franchement, est-ce dans la démarche psychologique d'un lobby de proposer quelque chose sans aucune certitude extra légale de voir son projet adopté ? Car un lobby se sait d'autant plus efficace qu'il agira en dehors de l'opinion publique. Il sait par avance que son combat va contre les intérêts publics (je parle des lobbbies à but lucratif), donc quel intérêt a-t-il de parler au grand public, puisque le grand public est justement la résistance qu'il faut vaincre ou éliminer ? Croit-on qu'un lobby va dire à la tribune : " je propose de développer l'exploitation du pétrole de schiste dans certaines communes, c'est très polluant, très cancérigène, les populations aux alentours paieront le prix fort, mais les retombées financières pour notre groupe et pour l'industrie de l'automobile seront telles que je pense que l'on peut sacrifier la santé publique de quelques uns au nom de nos intérêts économiques." Croit-on que le grand public sera content d'entendre cela ? Ainsi, la pratique du secret est la condition sine qua non de l'efficacité du lobbying, et obliger le lobby à parler à la tribune, si la séance est retransmise à la télé, ne pourra qu'atténuer sa démarche. En plus de cela, le public verra bien si les députés ont adopté la proposition du lobby, le public pourra dire : " le lobby a demandé cela, les députés ont obtempéré, ils n'ont vraiment pas de marge de décision par eux-mêmes" , alors qu'en secret, les députés aux ordres des lobbies pourront sauver les apparences, ils pourront faire croire qu'ils ont décidé au nom de l'intérêt général, alors qu'en fait c'était au nom de l'intérêt des lobbies, mais comme l'opinion n'aura pas eu connaissance de l'intérêt des lobbies, elle ne pourra pas être au courant de la supercherie.

C'est un fait que si les députés ne renoncent pas à la pratique des lobbies, il deviendra au jour nécessaire et obligatoire qu'ils révèlent toutes les pressions dont ils ont fait l'objet, quels lobbies les a sollicités, en quels termes et pour quelles demandes, et quel amendement ou loi ont été rédigés sous leur inspiration et pression. C'est le minimum démocratique que les citoyens sont en droit d'attendre de leur "représentants".

Dans le cas contraire, si les députés et ministres (et pourquoi pas le Président la République aussi : est-il imperméable également aux pressions des lobbies ? Rien n'est moins sûr...) persistent à montrer la plus grande opacité sur leurs relations avec les lobbies, les citoyens déduiront de leur attitude l'illégalité du procédé, et on ne pourra que légitimer leur refus et rejet de la classe politique prise en flagrant délit de corruption intentionnellement dissimulée.

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