Intervention de Alain-Gérard Slama

Réunion du 22 mai 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Alain-Gérard Slama :

Comment ne pas être sensible aux arguments qui ont été avancés ? Comment ne pas mesurer la faible représentation des femmes, non seulement en politique, mais aussi dans les entreprises où elles se heurtent au fameux plafond de verre ? Car le problème est vaste : il touche aux mentalités et, au-delà de la responsabilité du législateur, engage celle des médias, de l'université et de toutes les associations et organisations qui composent notre société. Ainsi, on a observé de longue date que le retard de promotion des femmes dans la société française s'explique notamment, par comparaison avec la société américaine, par un excès d'individualisme : c'est en France que les femmes, en moyenne beaucoup plus diplômées que dans la plupart des autres pays, ont pour cette raison même le plus répugné à s'organiser pour se battre afin d'être mieux représentées.

Pour cette raison, j'ai été très attentif aux propos de Mme Duflot sur le binôme : au Parlement, il assurerait dans les faits l'égale présence des hommes et des femmes, mais les intérêts des femmes y seraient-ils mieux défendus pour autant ? Et les candidates dont il permettra la désignation se seront-elles battues pour être élues ? Dans cette affaire, c'est la responsabilité globale de la société qui est en jeu.

Ce qui m'amène à un point qui semble présupposé par tous, et que reflète également la note qui nous a été remise : la notion de représentativité. Il existe pourtant en France une fiction très belle, celle de la volonté générale : l'élu d'une circonscription ne représente pas uniquement les intérêts de ses mandants, mais s'efforce de se hisser au niveau de l'intérêt général – sans aller jusqu'à parler, comme les moralistes, du bien commun. Le problème, ce sont les effets pervers induits par la comptabilité des présents d'un sexe ou de l'autre. L'exigence est légitime, mais c'est à la suite d'une évolution des mentalités qu'elle devrait se concrétiser. Or un tel dispositif les modifie assez peu. Je ne veux pas dire par là que nous ne devrions pas le mettre en oeuvre, mais qu'il ne faut pas trop espérer de solutions de cette nature. Elles reposent en effet sur une conception assez étrangère à notre culture politique, qui distingue la représentation de la représentativité, entendue comme représentation d'un intérêt spécifique, d'une origine, d'une couleur de peau, etc.

On dit qu'il n'y a pas assez de Noirs élus. C'est vrai. Mais je ne crois pas que, s'il y en avait assez, cela changerait quelque chose à la signification de la représentation. Il faut remédier à ce manque, pour la société, pour rassurer les citoyens ; cela ne résoudra toutefois pas la difficulté, et cela risque même de produire des effets pervers. Je sais bien que ce genre d'arguments est plutôt utilisé à droite, comme une manière assez hypocrite de s'opposer à une politique, non sur le principe mais parce qu'elle serait contre-productive. Il n'en reste pas moins qu'à force d'insister sur les caractères spécifiques – quels qu'ils soient – des représentants, on en vient à légitimer les revendications d'appartenance. C'est l'un des problèmes auxquels se heurte notre société, de plus en plus éclatée entre de telles réclamations : tant de Blancs, tant de Noirs, tant de catholiques, etc. Pourquoi voulez-vous d'ailleurs qu'il n'y ait que deux sexes ? C'est bien limitatif et intolérant !

Une autre logique devrait être à l'oeuvre. Madame Duflot, je vois que vous voulez intervenir : je suis précisément en quête d'objections plus que je n'avance de certitudes. Mais cette évolution de notre société est vraiment problématique. À compter des premiers débats sur la parité, petit à petit, tout le monde s'est dit : « Pourquoi pas moi ? » C'est ainsi que le mouvement noir, par exemple, s'est développé. Cette tendance est détestable car elle rompt avec la logique selon laquelle le représentant représente d'abord l'intérêt général. Elle est de plus en plus dangereuse, dans une société où l'État est d'autant moins présent que se développent les revendications d'origine, de religion – car c'est aussi un enjeu du débat – et même de race – tant, bien souvent, c'est cette épouvantable notion que celle d'origine vient dissimuler.

Comment, dès lors, résoudre le problème ? Comment répondre à l'inquiétude ?

1 commentaire :

Le 08/03/2017 à 17:38, Laïc1 a dit :

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"C'est ainsi que le mouvement noir, par exemple, s'est développé. Cette tendance est détestable car elle rompt avec la logique selon laquelle le représentant représente d'abord l'intérêt général. Elle est de plus en plus dangereuse, dans une société où l'État est d'autant moins présent que se développent les revendications d'origine, de religion – car c'est aussi un enjeu du débat – et même de race – tant, bien souvent, c'est cette épouvantable notion que celle d'origine vient dissimuler."

Tout à fait, mais ce repliement identitaire vient du fait de l'absence de référendums, puisque les citoyens ne peuvent s'exprimer au nom de leur idée propre, mais au nom de celle de leur groupe communautaire pour faire pression.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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