Intervention de Frédéric Cuvillier

Réunion du 11 décembre 2013 à 17h15
Commission des affaires européennes

Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche :

La France, premier littoral européen, ne bénéficiait que de 5 % de l'enveloppe du FEP, le fonds européen pour la pêche, soit 216 millions d'euros, contre 1 milliard pour l'Espagne. C'était un très mauvais résultat. Aujourd'hui, le contexte est plus difficile encore, puisqu'en effet des moyens équivalents, voire légèrement inférieurs, devront être partagés entre un peu plus de bénéficiaires. J'en ai d'emblée discuté avec Maria Damanaki, avec qui j'ai la chance de parler, ce qui n'était pas le cas de tous mes prédécesseurs : j'ai toujours répondu à ses invitations, même pour défendre des positions éloignées des siennes, car le dialogue – un dialogue exigeant – avec la Commission est indispensable pour progresser. Je ne me contenterai pas d'espérer plus de 216 millions d'euros, monsieur Quentin : je m'efforcerai d'être plus ambitieux.

Le droit social fait partie de nos revendications. Je suis l'un des ministres qui participe au plus grand nombre de Conseils des ministres européens – et ce ne sont pas les plus simples, en particulier s'agissant de la pêche. Dans ces discussions, quand on parle social, on pose le stylo ! Mais la France persiste, contrairement à d'autres, à défendre l'exigence d'harmonisation. Je viens ainsi de prendre plusieurs initiatives pour lutter contre le dumping et la concurrence déloyale. Notre démarche est la même s'agissant de la législation sociale européenne. La France s'est engagée dans le processus de ratification de plusieurs conventions internationales, dont la convention STCW Fish, qui rehausse le niveau de protection. En matière de transport maritime, les règles relatives au pavillon d'accueil définissent de même des garanties sociales applicables au personnel embarqué. Nous sommes également en pointe s'agissant de la formation des marins et de l'application de la convention de l'Organisation internationale du travail.

En matière d'aquaculture et de conchyliculture, la PCP déterminera des modalités de financement. La généralisation de la mortalité des huîtres est en effet problématique. L'État a mobilisé au total quelque 130 millions d'euros d'aides, recourant à des allègements de cotisations sociales et à des exonérations de redevances. Mais les dispositions de long terme que nous instaurons pourraient être requalifiées par l'Europe. Nous souhaitons mettre l'accent sur l'innovation et la recherche ; pour l'instant, celle-ci ne trouve pas, ce qui nourrit légitimement les inquiétudes des professionnels. Je les ai rencontrés et je les rencontrerai de nouveau, avec le président Gérald Viaud, en janvier.

Nous devons aussi faire aboutir le plan stratégique national de développement de l'aquaculture, qui n'est pas une grande réussite. Nous avons consulté toutes les façades à ce sujet ; leurs réponses ont été tardives, poussives : les territoires ne semblent pas adhérer au projet, ce qui s'explique par la stigmatisation dont l'aquaculture fait l'objet alors qu'elle ne dégrade pas systématiquement l'environnement – tout dépend de la densité et des process utilisés. Il existe aussi des démarches exemplaires ; les études le prouvent. Je me réjouis que notre première entreprise d'aquaculture, qui était depuis des années sous perfusion et mise en cause, ait été sauvée. Ce qui est en jeu, ce sont toutes les expérimentations menées sur les façades maritimes afin de développer l'aquaculture. Nous tous qui sommes « maritimisés » devons-nous employer à convaincre les autres élus, les décideurs et la population de l'importance de l'aquaculture pour l'emploi sur le littoral, à titre soit de complément de ressources, soit d'activité structurante.

Monsieur Roumegas, les parlementaires français étaient partagés lors du vote au Parlement européen – 35 pour, 29 contre –, mais il ne s'agit pas d'une spécificité française puisque le vote final s'est joué à moins de 20 voix près. Ce sont plusieurs députés de nombreux pays, dont la France, mais aussi le Portugal et le Royaume-Uni, qui ont repoussé l'amendement tendant à interdire le chalutage en eaux profondes.

L'avantage de la communication rapide par tweets est de mettre les arrière-pensées en évidence. Si j'ai été attaqué, ce n'est pas par des groupes politiques, mais par des acteurs qui s'attribuent le privilège, voire le monopole, de l'avis scientifique et de la vérité, et qui s'autorisent pour cette raison à stigmatiser l'action des autres. Je suis favorable au débat, à condition qu'il soit respectueux. Ici, ce n'est pas le chalutage profond qui risque d'être mis en cause, mais le chalutage. Or comme le disent les professionnels eux-mêmes, il n'y a pas de mauvais métiers, seulement de mauvaises pratiques. C'est par des démarches raisonnables favorisant la connaissance mutuelle, sur le modèle de la réunion avec des ONG organisée par le Comité national des pêches, que nous parviendrons à progresser sur ces sujets. Je suis celui qui a défendu les pêcheurs d'anguille, qui a soulevé le problème du gangui ; je suis le premier ministre à avoir reçu les petits métiers méditerranéens, et le premier depuis longtemps à leur avoir procuré des quotas de thon rouge après l'autorisation de pêche délivrée par l'ICCAT.

Cette dernière prouve qu'une bonne gestion de la pêcherie permet de reconstituer les stocks, au point que certains parlent désormais de surabondance. Le dialogue entre les professionnels – entre senneurs et petits métiers, mais aussi au sein de ces derniers – est essentiel même s'il n'est pas simple. J'en suis témoin : la présence ministérielle ne diminue en rien la fougue des parties prenantes, qui a le mérite de montrer la confrontation telle qu'elle est.

Bref, m'accuser d'être le promoteur de la pêche profonde, c'est ne voir qu'une partie de mon travail. Je souhaite que la pêche en eaux profondes fasse l'objet d'une analyse raisonnable. Je veux aussi défendre les petits métiers et je le prouve par des actes. Je suis favorable à leur évolution, conscient des problèmes que pose le règlement Méditerranée, dont la négociation, en 2006, n'a pas suffisamment tenu compte de la réalité.

Nous devons dire la vérité. Les aides peuvent être mal attribuées, c'est vrai ; elles peuvent aussi être sciemment attribuées en toute illégalité, ce qui n'est pas une solution puisque les professionnels sont ensuite tenus de les rembourser. C'est ce qui se passe actuellement dans votre région, monsieur Roumegas : le pansement a apaisé un temps la douleur, mais le traitement n'était pas suivi, de sorte que la douleur renaît de plus belle. Nous voulons nous attaquer à ces problèmes, faire maintenant ce qui a été négligé. La sortie des contrats bleus relève de la même démarche.

Quant aux scientifiques, ils doivent être institutionnels, reconnus, et non partisans. La Commission a ainsi financé le projet scientifique Deepfishman, impliquant 12 pays au côté de la France. S'agissant de la pêche profonde, l'Assemblée générale des Nations unies s'est prononcée et la France ne demande rien d'autre que l'application des conventions internationales. On peut considérer que nous n'allons pas assez loin, mais on ne saurait nous reprocher d'être indifférents à ces enjeux ni d'être en retrait par rapport aux demandes exprimées au niveau international.

De même, pour le maquereau, alors que nous n'avons pas conclu d'accord avec les pays tiers, nous attendrions de nos propres pêcheurs des efforts compensant la surexploitation des stocks par les îles Féroé ou l'Islande ! J'ai demandé à l'Union européenne de se montrer très ferme, quitte à sanctionner les pays qui ne respectent pas leurs engagements et s'attribuent unilatéralement des quotas.

À propos de quotas, l'effet d'accordéon évoqué par Daniel Fasquelle est bien réel : après trois années d'augmentation continue des quotas de sole en Manche comme et en mer du Nord, on parle de réduire le premier de 45 %. Tout l'enjeu de la négociation consistera à faire valoir que cette évolution n'a pas de sens. S'agissant de la baisse de 15 % en mer du Nord, des compensations et des échanges de quotas sont possibles, en dehors des discussions. En ce qui concerne la raie, il sera très difficile de revenir sur l'interdiction ; on est tenté de parler de dogmatisme. Quant au cabillaud, je m'efforcerai d'obtenir comme l'année dernière la stabilisation de l'effort de pêche, d'autant que les résultats sont satisfaisants.

Il sera également difficile de revenir sur la réglementation concernant la puissance et la jauge des navires, mais cet aspect devrait être pris en considération dans les discussions en vue du montage des navires du futur.

Mme Le Loch, nous travaillons à résoudre le problème de la captation des quotas par rachat des bateaux, à propos duquel je vous remercie de nous avoir alertés. Nous souhaitons notamment appliquer la notion de développement économique réel et durable, afin d'éviter que des navires sur lesquels il n'y a pas de marins français bénéficient des quotas français sans débarquer en France. Nous avons également ouvert le chantier de l'adaptation de la réglementation sur les quotas : nous avons dit non aux quotas individuels transférables mais, sur ce point, les pratiques s'éloignent d'une revendication pourtant scandée par les professionnels eux-mêmes. Nous nous engageons contre la libéralisation et la marchandisation des mers, contre la privatisation des quotas, avec le soutien des professionnels, mais nous constatons dans les faits une forme d'appropriation des quotas par bateau. Cette question ne doit pas être éludée, mais étudiée avec le Conseil national de la mer.

Par ailleurs, des discussions vont avoir lieu dans le cadre du volet pêche du Pacte d'avenir pour la Bretagne, qui représente la déclinaison régionale d'un « plan pêche » national, ce qui renforce les deux niveaux. Je suis donc favorable à la régionalisation de la démarche, sachant que ce qui est bon pour la Bretagne peut, éventuellement adapté, intéresser d'autres façades maritimes.

S'agissant du maquereau, nous avons livré un véritable combat, n'hésitant pas à aller à la manoeuvre à chaque Conseil pour exiger de l'Union qu'elle fasse preuve de fermeté. La Commission, sur laquelle les États sont de plus en plus nombreux à faire pression, ne livre guère d'offensive, ce que je ne m'explique pas. Mais nous obtenons des résultats et la situation évolue favorablement.

Sur la civelle, la fixation des quotas a fait l'objet d'épineux débats l'année dernière. Cette année, les choses étaient nettement plus simples et nous sommes parvenus à un bon équilibre ; le quota n'a pas été connu à la dernière minute. Mais il faut veiller à ce que les professionnels respectent leurs quotas et échelonnent leurs jours de pêche. Certains dénonçaient l'absence de quotas, mais le problème était surtout que les quotas étaient mal utilisés. Des accords entre organisations professionnelles peuvent permettre de remédier à cette situation, mais cela suppose de faire preuve de souplesse.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion