Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 22 octobre 2013 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Je me rends aux invitations de votre commission, monsieur Meunier. En l'occurrence, c'est parce que je n'avais pu répondre à toutes les questions la dernière fois que je reviens aujourd'hui.

S'agissant de votre observation sur la réponse que j'ai apportée à M. Fromion, je considère que les débats sur la défense doivent sortir de la polémique outrancière. Je n'ai donc jamais critiqué mes prédécesseurs, et je n'entends pas déroger à cette ligne. Ils ont fait leurs choix et traversé des difficultés – car être ministre de la Défense est une responsabilité complexe. Je respecte ces choix. J'aurais des choses à dire, mais je ne veux pas que les questions difficiles auxquels je suis confronté fassent l'objet de polémiques. C'est tout ce que j'ai voulu dire à M. Fromion. Il peut bien sûr y avoir des divergences d'appréciation, et heureusement – mais je ne suis pas certain qu'il soit nécessaire de polémiquer sur les enjeux de défense.

Il n'est pas question de remettre en cause le concept de la BFA, monsieur Hillmeyer. Nous nous interrogeons néanmoins, avec mon homologue allemand, sur son caractère opérationnel. Depuis qu'elle a été constituée, elle est intervenue – uniquement au niveau des états-majors – une fois dans les Balkans et une fois en Afghanistan, mais dans l'ensemble de manière très modeste par rapport aux espoirs qui avaient été mis dans sa création. La question se pose de l'intégrer dans un battle group européen pour donner davantage de sens au concept. Nous n'excluons pas des réorganisations internes, y compris en ce qui concerne le 110e RI, mais aucune décision n'a encore été prise formellement. Ces réorganisations devront être discutées dans le cadre d'une réflexion sur la vocation qu'il convient de donner à la BFA pour aller au-delà du simple concept. Les complications observées tiennent notamment au fait que la décision d'engagement ne répond pas à la même procédure en France et en Allemagne. Il faut donc remettre l'ouvrage sur le métier, même si cela nécessitera peut-être des réorganisations périmétriques.

Les forces prépositionnées font actuellement l'objet d'une réflexion approfondie qui conduira à des décisions du chef de l'État, monsieur Meslot. Il y a aujourd'hui deux zones majeures pour notre sécurité : la zone du Golfe et la zone sahélienne. Des forces françaises sont stationnées sur l'ensemble de cet espace ou à proximité, soit sous la forme d'opérations extérieures (OPEX), qui sont parfois maintenues contrairement à leur vocation d'origine, soit sous celle de forces prépositionnées. Ces positions se sont juxtaposées au fil des événements, si bien que nous avons aujourd'hui des forces prépositionnées qui tiennent davantage de l'OPEX, et inversement. Une réorganisation est donc nécessaire, en particulier pour favoriser une plus grande réactivité. Vous évoquez justement l'expérience du Mali : c'est parce que nous avions des forces à Ouagadougou et à Abidjan que nous avons pu faire preuve de cette réactivité et procéder à une meilleure répartition des forces déployées pour assurer nos missions de sécurité.

Cette réflexion se traduira par des mouvements et par une diminution du total des effectifs prépositionnés hors de France, qui devrait cependant rester marginale par rapport au repositionnement des forces. Mais la base d'Abu Dhabi sera maintenue en l'état – je m'y suis moi-même rendu deux fois. Pour le reste, nous allons réorganiser le dispositif pour lui donner plus d'efficacité, de force et de complémentarité. L'actualité nous montre que notre présence reste nécessaire.

J'en viens au Mali. Globalement, l'action des forces françaises ne s'inscrit plus dans le registre de la guerre, mais dans celui des opérations de contre-terrorisme. Nous maintenons néanmoins un effectif significatif sur place – près de 3 000 hommes – en raison des élections législatives qui doivent se tenir fin novembre et début décembre. Cet effectif devrait ensuite progressivement redescendre à 1 000 hommes sur le territoire malien à partir du début de l'année prochaine. Ces forces restent localisées en priorité à Gao, ce qui ne nous empêche pas de continuer nos actions de formation à Koulikoro, dans le cadre de la Mission européenne d'entraînement au Mali (EUTM Mali) : nous en sommes maintenant à la formation du troisième bataillon. Je m'y suis rendu il y a peu : cela se passe très bien ; l'ensemble des acteurs européens – dirigés par un général français – font un très bon travail.

Sur le terrain plusieurs évènements se sont produits : nous avons mené des opérations au nord de Tombouctou il y a une dizaine de jours, qui ont permis de neutraliser une dizaine de djihadistes, et d'autres opérations ponctuelles qui relèvent du contre-terrorisme.

Dans le même temps, le président Ibrahim Boubacar Keïta prend ses responsabilités. Il a eu le courage de gérer le camp de Kati, où se trouvait notamment le capitaine Sanogo – dont la carrière a connu une accélération fulgurante, puisqu'il a été promu général de corps d'armée. Le camp de Kati n'est plus aujourd'hui un problème : il n'y a plus de velléités d'autonomie militaire à l'égard des forces armées maliennes, comme cela était le cas à une époque.

Un débat doit par ailleurs s'ouvrir sur la question du Nord dans le cadre des Assises nationales du Nord et des Assises nationales de la décentralisation. Mais la situation politique ne sera stabilisée que lorsque les élections législatives auront eu lieu. On note encore quelques difficultés autour de Kidal. Même si le poids démographique de cette région doit être relativisé par rapport à l'ensemble du Mali, elle constitue depuis longtemps un abcès de fixation. Des sensibilités différentes s'expriment au sein du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), du Haut conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA) et du Mouvement arabe de l'Azawad (MAA), et les relations aux fondamentaux tribaux sont variables. Le dialogue avance doucement, mais il progresse. Souhaitons qu'il s'approfondisse après les élections législatives. L'un des enjeux sera de faire en sorte que les peuples du nord – pas seulement les Touaregs, mais aussi les Arabes du nord et les Peuls – se présentent aux élections législatives et soient reconnus et respectés. Le président Ibrahim Boubacar Keïta est conscient de l'importance de cet enjeu ; j'espère qu'il parviendra à y répondre.

J'ajoute que la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) est en train de s'étoffer. Mais elle reste à notre avis insuffisamment armée. J'ai rencontré sur place le représentant de M. Ban Ki-moon : il est déterminé à faire en sorte que les États qui ont annoncé des contributions tiennent leurs engagements ; mais pour l'instant, les choses n'ont pas suffisamment avancé.

Je porte par ailleurs un regard positif sur la manière dont l'armée malienne est en train de se reconstituer, et sur la stature politique qu'a su acquérir le président Ibrahim Boubacar Keïta devant l'opinion. C'est pour lui le moment d'agir.

Je n'ai pas à prendre position devant votre commission sur les 150 000 emplois d'avenir, monsieur Lamblin. Permettez-moi néanmoins de rappeler – car on ne le dit pas assez – que la Défense va recruter 17 000 jeunes en 2014, et que ces 17 000 jeunes – qui sont souvent issus de milieux défavorisés – seront formés et instruits. J'ai assisté avec Mme la présidente à la rentrée de l'École des mousses de Brest, qui permet à des adolescents ayant parfois connu des difficultés de retrouver, grâce à la formation militaire, une dynamique et une confiance en eux. Je tiens à ce que l'on continue à recruter au même niveau sur toute la durée de la loi de programmation, afin que le rôle de la Défense en matière de formation et d'éducation soit reconnu.

Il n'y aura pas de deuxième série d'annonces de fermetures ou de déplacements pour 2014 après le mois de mars, monsieur Guilloteau. S'agissant du dispositif de déflation, ma méthode est simple. Je regarde chaque année personnellement les propositions qui sont faites, en gardant à l'esprit plusieurs principes : éviter au maximum de toucher aux unités opérationnelles, qui ne doivent pas représenter plus du tiers des suppressions d'effectifs ; éviter le plus possible les dissolutions ; tenir compte de l'aménagement du territoire et de la cohérence des forces dans leur ensemble. J'examine ces propositions indépendamment des échéances électorales ; elles méritent d'être regardées de très près. Les annonces que j'ai faites dernièrement étaient d'ailleurs très différentes de ce qui m'avait été proposé en juin. Pour prendre un exemple dont nous avons beaucoup parlé, nous ne fermerons pas la base aérienne de Luxeuil : nous supprimons seulement un escadron de défense sol-air. Je pourrais multiplier les exemples à l'envi. Je rends ces arbitrages en m'efforçant d'être le plus objectif possible et d'alléger l'appareil administratif pour y mettre davantage de cohérence et éviter les doublons – ce qui suppose une analyse fonctionnelle de l'ensemble des chaînes d'action et de commandement sur le territoire, dans chacune des armées et à l'état-major des armées.

En ce qui concerne les cessions immobilières, nous avons inscrit 200 millions d'euros pour 2014. Je n'ai pas de raison de penser que cette prévision de recettes ne se réalisera pas. Les emprises les plus importantes sont situées à Paris. Le détail est disponible sur le site internet des Domaines.

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