Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du 18 novembre 2015 à 16h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Le groupe Union des démocrates et indépendants votera la prorogation de l'état d'urgence, sans se formaliser des courts délais qui nous sont imposés, compte tenu des circonstances qui commandent d'agir vite.

Cela dit, lorsqu'on légifère dans ces conditions, on doit le faire pour répondre à une situation de fait, et je ne suis pas sûr que, sur le long terme, nous répondions à une nécessité en droit. Si nous avons besoin de donner rapidement au pouvoir exécutif les moyens d'anticiper des menaces pesant sur notre pays et nos concitoyens, les moyens exceptionnels conférés par l'état d'urgence – qui est certes un état de droit – sont faits pour répondre à une situation exceptionnelle, évaluée ici à trois mois, mais dont nous savons tous qu'elle durera bien plus longtemps, car la guerre qui nous est déclarée par des groupes barbares – Al-Qaïda en janvier, Daesh aujourd'hui – va durer des années.

La lutte contre le terrorisme, si elle peut nécessiter, pour pallier le fait que nous n'avions pas anticipé la situation à laquelle nous devons faire face, des moyens juridiques exceptionnels, des moyens de droit transférés au pouvoir exécutif, doit aussi nous conduire à réfléchir à l'avenir – je souhaite que la commission des Lois puisse le faire – au fait que, si des sujets sont à régler dans le cadre de l'état d'urgence et de la loi de 1955, il est incohérent de prévoir de donner des moyens exceptionnels à l'État dans un délai limité, alors même que ce caractère limité ne s'applique pas au délai, mais à la nature du délit – en l'occurrence le terrorisme et la lutte contre le terrorisme.

C'est pourquoi j'estime que nous devrions réfléchir à une législation antiterroriste favorisant l'activité de nos services et permettant un meilleur contrôle, notamment par le Parlement. Dans de nombreux pays, une délégation de parlementaires peut exercer des contrôles approfondis sur l'activité des services de police et même des services de renseignement, ce qui ne nous est permis que de façon très marginale. Une telle prérogative constituerait à mes yeux une contrepartie nécessaire à la loi que nous nous apprêtons à voter, et nous permettrait une adaptation plus facile à la nouvelle menace. Après tout, il existe déjà dans notre droit des gardes à vue plus longues en matière de terrorisme ; de même, dans la loi sur le renseignement que nous avons adoptée récemment, il existe des dispositions permettant une intrusion plus grande dans la vie privée, en fonction de la nature du délit.

À mon sens, la lutte contre le terrorisme justifie tout autant de telles mesures. Ainsi, même hors période de crise, avant que des actes ne soient commis, la possibilité de recourir à l'assignation à résidence peut être utile aux services de l'État. Même si je comprends bien qu'il n'est sans doute pas possible de le faire dans ce texte en raison des difficultés juridiques que cela pose, je regrette que l'on ne puisse se doter d'une assignation à résidence plus effective et plus contrôlée, grâce à la surveillance électronique des personnes concernées. Dans la mesure où cela ne se fait pas pour les personnes mises en examen, je me doute bien qu'on ne le fera pas non plus dans le cadre de l'état d'urgence, mais je persiste cependant à y voir une nécessité. De même, il pourrait être envisagé de limiter l'accès des personnes visées aux moyens de télécommunication : il serait absurde d'assigner une personne à résidence tout en la laissant continuer à organiser à distance des activités nuisibles à la sécurité des Français et aux intérêts de l'État.

Je m'interroge fortement sur le fait que l'on renonce à interdire la diffusion de certains documents ou certaines informations, notamment sur Internet. Nombre d'entre nous ont été choqués par la façon dont la presse à spectacle a réalisé et diffusé des reportages invraisemblables, mettant en danger la sécurité des personnes, des biens et des équipes d'intervention. Au contraire, la presse traditionnelle me paraît avoir fait preuve, au cours de la crise que nous traversons, d'une grande maturité et d'une grande responsabilité, et les risques de dérives de sa part sont très limités. Mais si des vidéos de ce qui s'est passé au Bataclan commençaient à être diffusées, ne devrions-nous pas nous donner les moyens avec ce texte de les saisir afin d'en empêcher la diffusion ? Si demain, le cerveau des attentats de vendredi dernier apparaissait sur les réseaux pour se vanter des crimes qu'il a commis, n'aurions-nous pas le droit d'essayer de mettre fin à sa propagande ? Même dans l'urgence, nous devons réfléchir un instant à cette question.

Enfin, je voudrais appeler votre attention sur la capacité à renouveler l'état d'urgence. Si je pense qu'en cette période de crise, nous devrons extraire un certain nombre de dispositifs pour les inscrire dans notre droit avec un contrôle renforcé, il n'en est pas moins évident que les trois mois prévus ne seront pas suffisants pour venir à bout de Daesh et de la menace à laquelle nous sommes actuellement confrontés. Nous devons donc amender le texte pour qu'il soit possible de renouveler l'état d'urgence sans passer par la case ridicule de l'extinction de la première période d'état d'urgence, la publication d'un nouveau décret pour douze jours et une nouvelle autorisation de renouvellement demandée au Parlement.

En cette période difficile, l'UDI est prête à soutenir un certain nombre d'initiatives, et souhaite que l'esprit d'unité nationale dont tout le monde parle, et que tout le monde souhaiterait partager, soit aussi le résultat d'une construction commune, où les propositions des uns et des autres sont entendues et permettent de construire le front commun que nous avons le devoir de proposer aux Français contre le terrorisme qui nous menace.

1 commentaire :

Le 19/11/2015 à 21:23, chb17 a dit :

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La "situation nous recommande d'agir vite" en prolongeant l'état d'urgence ?

1 - c'est déjà trop tard pour les 130 assassinés, les blessés et leurs proches

2 - c'est trop précipité, car cette mesure bien peu utile en terme de sécurité (qui croit que les terroristes seront impressionnés, voire soudain désarmés par l'état d'urgence?) est imposée dans un état de sidération peu propice à l'intelligence, à la sagesse

3 - c'est excessivement étendu, car l'expression démocratique aussi est rognée par l'état d'urgence à un moment où la crise fait déjà bouillir bien des esprits. Le contrôle et la répression accrus ne manqueront pas d'exacerber les rancoeurs sur notre territoire

4 - c'est peu pertinent quand il apparaît que ce sont nos actions diplomatiques militaires (brouillonnes) qui ont amené ici le terrorisme de vengeance. Il y aurait lieu, en urgence, de surveiller plutôt le Quai d'Orsay, et ses relations illogiques avec al Nosra et autres apôtres, financeurs, soutiens et acteurs du terrorisme.

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