Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 13 janvier 2016 à 15h00
Questions sur l'état d'urgence et la politique pénale

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je vais, cette fois encore, tenter de faire de mon mieux et d’appuyer sur l’accélérateur, tout en essayant, par respect pour vous, d’être compréhensible.

J’apprécie que vous n’ayez pas repris la formule de M. le député Georges Fenech, qui a parlé d’État policier, par opposition à l’État de justice : nous n’en sommes pas là. Respectons notre démocratie et reconnaissons que, s’il nous a été nécessaire, pour faire face au défi du terrorisme, de donner aux enquêteurs et aux magistrats les moyens d’investigation dont ils ont besoin, nous avons aussi pris toutes les précautions nécessaires pour rester dans l’État de droit. Le Président de la République a toujours dit très clairement que toutes les avancées que nous ferions, aussi bien en matière d’encadrement des activités des services administratifs de renseignement, que dans l’octroi de nouvelles mesures d’investigation, devraient se faire dans la logique de l’État de droit.

L’État de droit, c’est tout simplement le contrôle : cela signifie que, lorsque de nouvelles mesures d’investigation sont octroyées, le juge des libertés et de la détention est là pour autoriser et contrôler. Je vous informe par ailleurs – mais vous le savez sans doute, pour travailler sur ces sujets depuis longtemps – que dans notre réforme J21, il est prévu un statut spécialisé du juge des libertés et de la détention. Le contenu de la loi de procédure pénale vous sera bientôt présenté.

S’agissant des terroristes détenus dans des établissements pénitentiaires, ceux qui se rendent coupables de prosélytisme et qui sont très radicalisés font l’objet d’un isolement et d’un contrôle régulier. Des dispositifs de fouilles ont été mis en place. Je rappelle que la loi pénitentiaire de 2009 a prévu la réglementation des fouilles selon les règles pénitentiaires européennes, mais n’a pas mis en place de moyens de substitution. Depuis que nous sommes là, nous avons installé des portiques de détection à ondes millimétriques et à masse métallique, et des contrôles sont faits régulièrement.

Vous avez raison : les moyens technologiques et, en l’occurrence, les brouilleurs, ne suffisent pas. C’est pour cette raison que nous avons développé le renseignement pénitentiaire. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, le renseignement pénitentiaire était composé de 72 agents. Aujourd’hui, il en compte 159, et ils seront 185 l’année prochaine. Nous avons redéployé le renseignement pénitentiaire et placé 144 officiers pénitentiaires dans nos établissements. Nous avons par ailleurs développé nos relations avec l’unité de lutte contre le terrorisme et nous avons actuellement un directeur pénitentiaire qui siège au sein de l’unité de coordination de lutte antiterroriste – UCLAT.

5 commentaires :

Le 15/01/2016 à 10:24, laïc a dit :

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"S’agissant des terroristes détenus dans des établissements pénitentiaires, ceux qui se rendent coupables de prosélytisme et qui sont très radicalisés font l’objet d’un isolement et d’un contrôle régulier. "

Il faut quand même préciser ici que le prosélytisme religieux n'est pas interdit par la loi française, uniquement le prosélytisme violent et assorti de menace, tel que cet interdit est exprimé par l'article 31 de la loi de 1905.

Donc, si la ministre de la justice s'en prend au prosélytisme, alors qu'il n'est assorti ni de violence ni de menace, elle va au-delà de la loi.

Ainsi, si elle trouve que le prosélytisme est condamnable alors qu'il n'est assorti ni de violence ni de menace, c'est qu'elle trouve en définitive que la religion à laquelle le prosélytisme amène est condamnable par elle-même, c'est-à-dire qu'elle trouve que convertir quelqu'un à l'islam, (radical ou pas, peu importe, puisque l'Etat laïc n'a pas à juger le contenu d'une religion, sauf si ce contenu est manifestement contraire aux lois et valeurs de la République), qu'elle trouve donc que convertir quelqu'un à cette religion n'est pas acceptable, car l'islam est dans son esprit une religion qui appelle les convertis à sortir de la légalité.

Mais cette approche tacite de la religion musulmane n'a pas été officiellement développée. Pour plus de clarté, il faudrait censurer officiellement les passages du coran qui appellent à la haine ou à la discrimination, afin que l'on ne suspecte plus les gens qui veulent convertir les autres à l'islam de les convertir également à la haine de l'autre et à la discrimination, ce qui est moralement condamnable et influe le discours de la ministre, sans que la raison réelle de l'influence et de la condamnation soit explicitée.

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Le 16/01/2016 à 17:32, chb17 a dit :

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Expurger les textes « sacrés » ? Beau principe, Laïc. J'y souscris, pour le Coran, et pour la Bible et la Torah aussi. Haine et discrimination émaillent ces vieilleries plus que de raison. Reste à trouver des autorités représentatives des cultes qui accepteraient de retravailler les dits textes en fonction des principes républicains hexagonaux, et les feraient accepter à leurs ouailles. Qui s'y colle ?

Et puis il faudrait aussi que les médias laïques, et les responsables politiques, deviennent 100% intègres et incorruptibles et tolérants : le rêve. Je note que l'évolution de la société est un peu trop brusque pour certains quant à la sexualité, à l'altérité... Dans un monde en crise de surcroît, où chacun est tenté par le repli sur soi et sur des valeurs en capilotade.

Bonne année ! Et à Mme Taubira aussi, qui fait le grand écart en restant dans ce gouvernement.

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Le 16/01/2016 à 22:47, laïc a dit :

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@chb17 :

Pourquoi voulez-vous que ce soit les autorités représentatives des cultes qui fassent ce travail républicain ? On se doute bien qu'ils ne le feront jamais. C'est à l'Etat d'assumer ses responsabilités, et de censurer ce qui doit l'être. Les citoyens français veulent être protégés de toute imprécation qui les prend comme cible plus ou moins directement, ils savent que l'intégrisme vient directement de ces versets d'un autre âge, que certains fidèles prennent à la lettre, et ils veulent donc que l'Etat interdise ce qui doit l'être. Tout appel à la haine ou à la discrimination relève du pénal, que les textes religieux qui tombent sous le coup de ces lois ne soient pas exemptés de leur sévérité.

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Le 17/01/2016 à 09:34, chb17 a dit :

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Laïc, l'Etat est-il en mesure de modifier un texte sacré, voire trois ? Y serait-il légitime, sauf à restaurer la religion officielle ?

Ou, plus directement, peut-il imposer (dans une région "aux racines judéo-chrétiennes") l'interdiction et la fin de toute religion basée sur des textes où la sensibilité actuelle voit des appels à la discrimination ?

Cela signifierait à tout le moins une remise en cause fondamentale de la laïcité de 1905, et probablement un redémarrage en trombe des guerres de religion dans notre doux pays. Alors que les conflits à coloration sectaire et communautariste ensanglantent le monde, et par ricochet notre territoire, c'est fichtrement épineux.

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Le 17/01/2016 à 10:50, laïc a dit :

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Le texte n'est sacré que pour la religion, l'Etat, lui, de par la laïcité, ne doit pas savoir que c'est un texte religieux. Il analyse le texte comme n'importe quel texte, la référence à un hypothétique Dieu ne l'intéresse pas, puisque nous sommes en République laïque, et donc l'appel à la haine et à la discrimination sera censuré comme s'il venait de n'importe quel particulier.

Pourquoi un appel à la haine et à la discrimination venant de l'extrême droite serait-il censuré, et non pas un appel venant du coran ? C'est contraire au principe d'égalité venant de notre constitution.

On peut tenir le raisonnement inverse du vôtre, et dire : si l'Etat ne censure pas les versets dangereux du coran, c'est justement parce qu'il prend en compte cette religion, il en fait un calcul politique anti-laïque, il refuse de voir l'aspect extra-religieux illégal, et de ce fait il exempte cette religion de toute censure dès qu'il s'agit d'un texte écrit.

La loi du 29 juillet 1881 réprime notamment (entre autres) :

##CHAPITRE IV : DES CRIMES ET DELITS COMMIS PAR LA VOIE DE LA PRESSE OU PAR TOUT AUTRE MOYEN DE PUBLICATION

Seront punis de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet, à commettre l'une des infractions suivantes :

1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;

2° Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal.

Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l'un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal, seront punis des mêmes peines.

Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi.

Seront punis des peines prévues par l'alinéa 1er ceux qui, par les mêmes moyens, auront provoqué directement aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l'apologie.

Tous cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics seront punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 5° classe.

- Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement.

- Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal."

*********************

Ainsi, cet article de loi indique clairement que personne ne peut ni imprimer ni exposer ni mettre en vente des écrits appelant à la haine, à la violence et à la discrimination. Par ailleurs, il ne dit pas que les textes religieux sont exemptés de l'application de cette loi.

Or, pourtant, le coran continue d'être imprimé, exposé et mis en vente librement, sans qu'aucune action pénale ne soit entreprise contre lui.

On relève donc un manquement évident dans l'application de cette loi, manquement auquel il incombe aux autorités compétentes de l'Etat de remédier, pour le bien de notre démocratie et de notre République.

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