Intervention de Mohammad Javad Zarif

Réunion du 27 janvier 2016 à 18h15
Commission des affaires étrangères

Mohammad Javad Zarif, ministre des affaires étrangères de la République islamique d'Iran :

Ayant enseigné les droits de l'homme à l'Université à partir de 1988, je considère que le respect de ces droits est l'un des fondements de la puissance d'un État. Bien qu'ils soient mentionnés dans notre Constitution, les droits de l'homme doivent encore être améliorés en Iran, ainsi que dans tous les pays. Aussi le président Rohani s'est-il engagé au début de son mandat à ce qu'une charte des droits des citoyens soit établie et appliquée. Nous souhaitons qu'elle soit soumise au vote dans les prochains mois, adoptée et diffusée dans le pays. Mais, comme vous le savez, déclarer l'existence d'une charte est une chose, l'appliquer en est une autre. C'est pourquoi chaque gouvernement dans le monde doit agir pour renforcer les droits de l'homme.

Les pays occidentaux s'inquiètent des exécutions capitales en Iran, et de leur nombre. Mais vous n'ignorez pas qu'elles concernent, à 85 %, des trafiquants de stupéfiants. Nous nous interrogeons sur le point de savoir si c'est le bon moyen d'empêcher ce trafic ; honnêtement, nous ne le savons pas. Le problème est extrêmement délicat, car 80 % de la totalité de l'opium confisqué dans le monde l'est en Iran ; la proportion est astronomique. Soyons clairs : si cet opium n'est pas confisqué en Iran, il sera vendu dans les rues de Paris. Aujourd'hui, il l'est dans les rues de Téhéran et des autres villes d'Iran où, si élevées sont les « subventions » des trafiquants que la consommation d'opioïdes est devenue l'un des loisirs les moins chers qui soient. Il y a là un défi social majeur, auquel nous devons trouver une solution. Nous sommes prêts à un dialogue avec l'Union européenne à propos des droits de l'homme, notamment sur ce point spécifique, mais ce que nous faisons en Iran pour empêcher le transit des stupéfiants vers d'autres pays va dans le sens des intérêts européens. N'oubliez pas que 3 500 membres de nos forces de l'ordre ont été assassinés en luttant contre ces trafics. Il nous faut des technologies de pointe, tels des radars qui nous permettraient de détecter les déplacements dans les bandes frontalières. Nous avons aussi besoin d'échanges avec l'Union européenne sur les moyens opérationnels, qu'il s'agisse de prévenir les trafics de stupéfiants, de lutter contre les trafiquants ou de définir quelles punitions substituer à la peine capitale.

Nous sommes donc prêts à dialoguer, mais sachez que ce dialogue sera difficile, comme tout dialogue portant sur les droits de l'homme car si, sur ces questions, vous avez votre propre sensibilité, nous avons la nôtre, et nous faisons nos propres observations sur ce qui se passe en Europe en cette matière. L'Iran a le plus grand respect pour sa communauté juive qui, vous le savez, a un représentant au Majlis. Mais nous constatons malheureusement que si, en Europe, quelqu'un parlant en mal des Noirs est accusé de racisme et quelqu'un parlant en mal des juifs est taxé d'antisémitisme, quand on insulte les musulmans, il ne s'agit que de liberté d'expression. Ce n'est pas une invention de ma part : c'est aussi ce qu'a dit le Premier ministre finlandais l'an dernier à Davos. Et, croyez-moi, le monde musulman interprète ainsi ce qui se passe, et cela le préoccupe grandement. Nous avons donc beaucoup à nous dire en matière de droits de l'homme.

Nous considérons que l'Holocauste fut un crime qui ne devrait jamais, au grand jamais, se reproduire. Nous jugeons aussi que ce crime ne doit pas être instrumentalisé pour nier les droits des Palestiniens, qui n'y sont pour rien dans ce crime. J'ai été sincèrement désolé d'entendre M. Netanyahu dire que le grand mufti de Jérusalem aurait inspiré la politique de destruction des juifs d'Europe menée par Hitler. Cette déclaration mensongère était des plus dangereuses. Pourquoi le peuple palestinien, qui n'a joué aucun rôle dans l'Holocauste, devrait-il payer le prix de ce crime et voir ses maisons détruites chaque jour ? Telle est la question que nous avons toujours posée clairement. Le gouvernement iranien n'apporte aucun soutien à ce fameux concours, organisé par une ONG qui n'a pas pris la peine de nous consulter ; mais il faut répondre à la question que nous avons posée et dire pourquoi on instrumentalise depuis 70 ans un crime commis par d'autres pour faire perdurer un autre crime. Notre rôle d'êtres humains est de dire qu'il faut trouver la solution qui permettra de mettre un terme à ce déni de droits qui dure depuis 70 ans. La République islamique d'Iran est contre la philosophie sioniste qu'elle juge être une idéologie dangereuse pour la région. Cela ne signifie nullement que nous allons entreprendre la moindre action militaire contre quiconque. Puis-je rappeler qu'au cours des 250 dernières années, l'Iran n'a jamais lancé aucune opération militaire contre quiconque ?

La question, peut-être de toutes la plus importante, a porté sur l'avenir de l'Iran ; M. Henry Kissinger lui-même me l'avait posée… L'Iran a besoin de la stabilité régionale. Pour comprendre ce qui nous anime, vous devez vous défaire de certaines idées préconçues à notre égard. Je viens d'entendre dire : « L'Iran avait un programme nucléaire militaire ». Or, le rapport de l'AIEA prouve que ce n'est pas le cas, que pas un gramme de combustible nucléaire n'a été diverti à des fins militaires. Au terme de douze années de recherches, l'Agence note que l'Iran a peut-être fait quelques études qui pouvaient aller en ce sens. À supposer même que ces études aient eu lieu – et nous pensons que ce n'est pas le cas –, cela n'est en aucune manière incompatible avec le traité de non-prolifération. Autant dire que l'hypothèse selon laquelle l'Iran aurait eu un programme nucléaire militaire et l'aurait mis de côté sous la pression des sanctions est complétement erronée.

Elle est fausse, aussi, sur le plan stratégique. En effet, disposer de l'arme nucléaire représente un danger pour l'Iran, en ce que cela fait du pays une cible légitime pour Israël et les États-Unis sans qu'il puisse se défendre. En matière nucléaire, soit l'on est capable d'une première frappe destinée à annihiler les capacités de représailles de l'autre partie, soit l'on est capable de supporter l'effet de la première frappe et de lancer une frappe de riposte. Or l'Iran n'a ni l'une, ni l'autre de ces capacités. Il est donc absurde, théoriquement et idéologiquement, d'imaginer que le pays ait l'arme nucléaire, et l'AIEA l'a prouvé.

Permettez-moi une incise en forme de rappel. Pendant les huit années de guerre qui nous ont été imposées par Saddam Hussein, j'étais l'un des représentants de l'Iran à l'Organisation des Nations Unies. À l'époque, alors même que nous étions attaqués, aucun pays ne nous a soutenu, aucun pays ne nous a donné des armes, aucun pays n'a même accepté de réduire le niveau de ses relations avec l'Irak. Je me souviens m'être rendu au Conseil de sécurité au cours d'une session présidée par l'ambassadeur de France, auquel j'ai dit que l'Irak nous attaquait avec des armes chimiques. Sa réponse a été : « Je ne suis pas autorisé à évoquer ce sujet avec vous ». Jamais, pendant la durée de cette guerre, le Conseil de sécurité n'a adopté une résolution condamnant l'utilisation d'armes chimiques par l'Irak, et aucun de ses membres n'a accepté ne serait-ce que de diminuer ses livraisons d'armes à Saddam Hussein, alors qu'il avait utilisé des armes chimiques contre nous.

Maintenant, l'Arabie saoudite dépense chaque année 80 milliards de dollars en achats d'armes – ces chiffres sont ceux qu'a donnés M. Kerry il y a 48 heures. Quant aux États du Golfe persique, ils dépensent, ensemble, 130 milliards de dollars chaque année à cette fin. Dans le même temps, le budget militaire annuel de l'Iran, dont la population et la superficie sont équivalentes à celles de l'ensemble de ces pays, est de 15 milliards de dollars. Aucun pays ne nous vend d'armes – et l'on vient nous demander pourquoi nous produisions des missiles ! Mais comment voulez-vous que nous nous défendions, et avec quels moyens, face à une dépense militaire annuelle de 130 milliards de dollars ?

Il a été dit que les Émirats et l'Arabie saoudite auraient peur de nous. Mais qu'avons-nous fait à leur encontre ? Ils s'effrayeraient de ce que l'accord sur le programme nucléaire ayant été signé, expliquant que l'Iran va avoir de l'argent frais qu'il distribuera larga manu dans la région. Mais, aujourd'hui, quels sont les pays qui donnent à Daech et au Front al-Nosra davantage que la totalité de notre budget national et que le produit de nos ventes de pétrole ? Voyez ce que sont les chiffres, et vous constaterez que certaines personnes ont pris l'habitude de résoudre leurs problèmes par l'iranophobie. Sont-ce des soldats iraniens qui massacrent les Yéménites, ou bien des troupes des pays précités ?

Si nous n'étions pas là, vous seriez aujourd'hui obligés de lutter contre Daech régnant en maître à Damas et à Bagdad – autrement dit, vous devriez combattre non plus un groupe terroriste mais deux gouvernements terroristes. Bizarrement, les amis des pays occidentaux dans notre région sont ceux qui aident le plus Daech. Qui lui achète son pétrole ? Où est-il vendu ? Par quels circuits bancaires les recettes du pétrole reviennent-elles vers Daech en Syrie ? Pendant quelques années, nous avons subi un embargo pétrolier ; si nous voulions vendre ne serait-ce qu'un baril supplémentaire, il nous fallait passer par mille canaux différents. Par quel miracle ces organisations terroristes parviennent-elles à vendre des milliers de barils de pétrole chaque jour et à acheter avec l'argent ainsi récolté des armes qu'elles utilisent pour massacrer les peuples syrien et irakien ? Telles sont les questions que nous nous posons.

Vous l'aurez compris, notre avenir passe par la stabilité régionale, la coopération, le dialogue avec l'ensemble des pays voisins et les pays occidentaux. Avec ces derniers, nous devons intensifier les échanges politiques, économiques et culturels. Nous y avons toujours été prêts, et nous sommes disposés à organiser des échanges d'oeuvres artistiques. Mais n'oubliez pas qu'aux États-Unis, des tribunaux ont prononcé la confiscation immédiate des oeuvres que nous avions exportées… Sachez aussi que des tribunaux américains ont condamné l'Iran à payer des amendes de plusieurs milliards de dollars aux victimes des attentats du 11 septembre 2001, alors même que quinze des dix-neuf terroristes incriminés étaient saoudiens, et les quatre autres émiratis et égyptiens ; ce serait risible si ce n'était tragique. Ne pensez donc pas que certaines mésaventures frappent seulement BNP-Paribas… Tout cela doit changer.

Vous m'avez aussi interrogé sur l'évolution future des relations entre l'Iran et la France. Nous leur voyons un avenir brillant, car deux pays indépendants ont des possibilités inédites de coopération. Notre coopération passée a été excellente ; le peuple iranien n'a pas gardé un mauvais souvenir de la France, et il aime le berceau des droits de l'homme et de la liberté. Nous espérons que cette visite du président Rohani permette de dessiner le cadre de relations futures radieuses, dans l'intérêt de nos deux peuples. Nous estimons que la France doit continuer de jouer un rôle dans l'évolution de la situation au Moyen Orient, et nous sommes prêts à coopérer avec vous pour aboutir à la paix en Syrie, dans le cadre décrit. Il doit être mis fin, le plus vite possible, aux effusions de sang, de manière qu'un gouvernement d'union nationale soit formé et que les Syriens lancent un programme de réformes de grande ampleur. Nous devons les y aider, mais c'est à eux qu'il revient de les déterminer.

Enfin, nous refusons toute politique antikurde, et nous l'avons indiqué de la manière la plus claire à nos voisins. Un dialogue doit s'instaurer avec les Kurdes, qui sont partie intégrante de la région, sans idées séparatistes qui seraient catastrophiques. Les Kurdes estiment que l'Iran est, de tous les pays de la région, celui qui est le plus proche d'eux. De fait, nous avons d'excellentes relations avec les Kurdes d'Iran, comme avec ceux qui sont établis dans d'autres États. Nous ne soutenons ni le terrorisme, ni les politiques antikurdes, ni les thèses sécessionnistes.

1 commentaire :

Le 14/01/2017 à 19:41, Laïc1 a dit :

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"L'Iran a le plus grand respect pour sa communauté juive qui, vous le savez, a un représentant au Majlis. Mais nous constatons malheureusement que si, en Europe, quelqu'un parlant en mal des Noirs est accusé de racisme et quelqu'un parlant en mal des juifs est taxé d'antisémitisme, quand on insulte les musulmans, il ne s'agit que de liberté d'expression."

Pas du tout, les insultes sont réprimées, quel que soit le groupe insulté. Je crois que M. confond l'insulte et la critique, ce qui est toujours dangereux lors d'une expression démocratique. L'insulte est fondée sur l'agression délibérée et diffamatoire, tandis que la critique est posée, argumentée et vérifiable scientifiquement. Maintenant, a-t-on le droit de critiquer l'islam en France ? A-ton le droit d'argumenter rationnellement des reproches à l'islam ? La France est le pays des droits de l'homme, donc de la liberté d'expression, tant que cette expression n'est pas diffamatoire et insultante, et donc on ne peut pas empêcher quiconque de critiquer l'islam s'il pense que cette religion va à un moment donné contre les droits fondamentaux de la personne humaine.

Et personnellement, je pense qu'obliger les femmes à porter un voile lorsqu'elles sortent dans la rue est une attente au droit fondamental de la personne humaine à disposer d'elle-même. M. pourra penser le contraire, mais il faudra alors qu'il argumente sa réponse, sinon on pourra le suspecter d'idéologie, ou de fanatisme religieux, ce qui est toujours fortement critiquable, surtout au pays de Voltaire.

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