Intervention de Paul Giacobbi

Séance en hémicycle du 26 avril 2016 à 15h00
Débat sur le programme de stabilité 2016-2019

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Giacobbi :

…bien après pourtant que le professeur Minsky eut fait la démonstration qu’elle constituait une chaîne de Ponzi de dimension planétaire qui ne pouvait conduire qu’à la catastrophe. Cette démonstration est incluse dans un livre de 1986 qui annonçait la crise à venir et qui s’intitulait Stabilizing an unstable economy.

Aujourd’hui, si l’on en croit des auteurs vivants et de référence, je pense par exemple à Andrew Smithers, la surévaluation des marchés financiers – qui s’exprime par le coefficient q de Tobin, c’est-à-dire, pour faire simple, par un rapport entre la capitalisation boursière constatée et la valeur de remplacement du capital correspondant – est au moins de l’ordre de 50 % pour les valeurs non financières et de 79 % pour l’ensemble des valeurs cotées aux États-Unis – chiffres de mars 2016.

Ce qui se passe sur les marchés des obligations à risque est bien mal décrit par la statistique, et pour cause, mais est tout aussi, voire plus préoccupant. L’excès de liquidité conduit les agents économiques à prendre des risques inconsidérés. La croissance de ce marché, appelé en anglais high yield bond market quand on est poli et junk bond market – marché des obligations pourries – quand on est réaliste, représente un triplement en volume sur les dix dernières années. Là aussi, il s’agit d’une bombe à retardement.

Certes, la spéculation a abandonné le pétrole, lui permettant de revenir à des prix, non pas anormalement bas, mais un peu plus proche des réalités de l’offre et de la demande. Cependant, la baisse du pétrole elle-même crée un trouble immense dans l’économie planétaire. Il y a quelques jours, j’ai dû relire trois fois un titre de première page du Financial Times, qui précisait que le royaume saoudien comptait emprunter 10 milliards de dollars sur les marchés !

Selon une estimation large mais sans doute réaliste, la crise de 2007 a détruit environ 15 000 milliards de dollars. Depuis 2007, les banques centrales ont contribué à créer, par vagues successives de ce que l’on a appelé le quantitative easing, une masse de liquidité probablement équivalente. Ce volume, qui représente seulement l’excès pathologique de liquidité de la planète financière, correspond à peu près à l’équivalent du PIB des États-Unis et se déplace à la nanoseconde, au gré, non pas des humeurs des opérateurs de marché, mais des algorithmes de nos ordinateurs financiers, c’est-à-dire des robots qui décident, infiniment plus vite qu’aucun être humain ne saurait le faire, les variations de la valeur sur les marchés.

C’est dans ce contexte que le programme de stabilité prévoit sur trois ans des évolutions à la décimale près. Si la démarche est courageuse, convenez que la base est toute de même contestable !

S’agissant des fondamentaux de l’économie réelle, le raisonnement me fait penser au mot de Sacha Guitry qui, sur son lit de mort, entendant ses médecins vanter son pouls régulier, sa tension normale et sa température stable, leur répondit : « En somme, messieurs, je meurs guéri ! »

Prenons le cas de l’acier, marché imprévisible s’il en est puisque M. Mittal lui-même affirme qu’il est impossible d’en prévoir les évolutions au-delà de six mois. Aujourd’hui, ce marché est clairement déprimé. Compte tenu du caractère indispensable de l’acier dans bien des secteurs industriels, de l’automobile au bâtiment, de la machine-outil au ferroviaire, en passant par les transports en commun, cette dépression est très significative d’une dépression globale de l’ensemble de l’industrie mondiale.

Je connais l’explication que l’on nous sert sur le sujet : il ne s’agirait que de la conséquence de la concurrence de l’acier chinois. Certes, après la folie des hauts-fourneaux dans les campagnes sous Mao, la Chine a relancé une véritable activité sidérurgique, mais cela ne suffit pas à expliquer le problème. Aujourd’hui, en Grande-Bretagne, une entreprise que je connais un peu, Tata, plus précisément sa branche sidérurgique Tata Steel, qui doit être le cinquième producteur mondial d’acier, a décidé de fermer ses activités après des pertes massives dans ce pays, de l’ordre d’un cinquième de son chiffre d’affaires. Il en résulte des pertes de dizaines de milliers d’emplois.

Voilà des réalités économiques, voilà l’économie réelle telle qu’elle est. Le contexte est plutôt terrifiant !

Il reste cependant quelques raisons d’être optimiste, non dans à l’immédiat mais sur le moyen, voire le long terme.

La première est que l’assainissement financier est possible, non pas par une faillite qui conduirait, si elle concernait un grand pays, à un effondrement systémique de l’économie mondiale, non pas par le serrage de ceinture qui nous conduit depuis des années en Europe à une croissance atone, malgré l’injection de milliers de milliards d’euros par la banque centrale, mais tout simplement par l’inflation. Or, après avoir rejeté l’inflation comme un péché capital, les banquiers centraux rêvent aujourd’hui – et vont même jusqu’à exposer en public leur rêve – d’une inflation à 3 % qui arrangerait bien des choses.

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